Avis n° 2022-17 du 30 novembre 2022 relatif aux projets d'avenants aux contrats d'objectifs et de moyens 2020-2022 de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour l'exercice 2023

Version initiale


  • Par un courrier en date du 28 octobre 2022, la ministre de la culture a saisi pour avis l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ci-après « ARCOM »), conformément à l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, des projets d'avenants aux contrats d'objectifs et de moyens (ci-après « COM ») susceptibles d'être conclus entre l'Etat et les sociétés France Télévisions, Radio France et France Médias Monde (1).
    A titre liminaire, l'ARCOM rappelle que les COM 2020-2022 devaient initialement traduire les grandes orientations politiques et budgétaires arrêtées par le Gouvernement au mois de juillet 2018. Leur négociation a cependant été suspendue dans l'attente du projet de réforme de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, lui-même ajourné en raison notamment de la crise sanitaire de mars 2020. Les COM actuels n'ont au final été conclus et approuvés qu'au cours du premier semestre 2021, soit une année après le début effectif de la période qu'ils couvrent.
    Les projets d'avenants, objet du présent avis, résultent du choix fait par le Gouvernement de prolonger d'un an ces COM, dans un contexte de transition pour l'audiovisuel public.
    La contribution audiovisuelle publique a en effet été supprimée par la loi de finances rectificative pour 2022 du 16 août 2022 et remplacée par un mécanisme d'affectation d'une fraction des recettes de la TVA pour les exercices 2023 et 2024. Un dispositif pérenne de financement de l'audiovisuel public devra donc être fixé à compter de 2025.
    Dans ce contexte, l'ARCOM prend acte du choix du Gouvernement de prolonger les COM d'une année supplémentaire afin de bâtir une nouvelle feuille de route stratégique de l'audiovisuel public. Elle émet un avis positif sur ces avenants, au bénéfice des observations suivantes.


    1. Des objectifs qui s'inscrivent dans la continuité des précédents exercices


    Sur la centaine d'indicateurs que comptent au total les COM des trois groupes, une large majorité est renouvelée à l'identique pour l'année 2023 ou s'inscrit dans la droite ligne du COM initial. Ce choix s'explique non seulement par la période de transition décrite plus haut mais aussi par le fait que les grandes exigences initiales des COM portaient des ambitions fortes pour les missions fondamentales de service public.
    Des exigences initiales réaffirmées.
    L'ARCOM rappelle que certains des objectifs fixés par les COM en matière d'audiences, de financement de la création ou de responsabilité sociale sont très ambitieux. Ils ont été atteints par les sociétés et sont donc reconduits dans les projets d'avenants.
    A titre d'exemple, France Télévisions devait faire croître sa couverture dès 2020 pour atteindre au moins 80 % de la population chaque semaine avec un de ses programmes. De même, la part des dépenses de programmes dans les dépenses totales pour France Télévisions et Radio France a été fixée à un très haut niveau (respectivement fixée à 80 % et 79 %).
    L'indicateur d'investissement dans la création audiovisuelle et cinématographique de France Télévisions s'affiche à 500 millions d'euros depuis 2021, niveau très supérieur à celui issu des seuls taux d'investissements réglementaires et inégalé au sein de l'audiovisuel français.
    Des cibles pour l'essentiel reconduites à l'identique.
    Dans une large majorité des cas, les indicateurs qui comportaient des cibles identiques pour les années 2020, 2021 et 2022 sont reconduits en l'état en 2023 et ce, indépendamment des réalisations effectives des groupes. L'Autorité, s'interroge sur le juste niveau de certains indicateurs.
    Ainsi, la cible du groupe France Télévisions en matière de couverture hebdomadaire des 15-24 ans (2) reste inchangée depuis 2020 alors même que les performances du groupe sont de près de 15 points supérieures à la cible.
    A contrario, pour Radio France, trois des quatre indicateurs relatif aux audiences numériques (3) applicables en 2022 seraient reconduits à l'identique en 2023 alors même que les cibles fixées pour 2021 n'étaient pas atteintes.
    Des adaptations ponctuelles.
    Certains indicateurs ont été adaptés en termes de cibles chiffrées pour tenir compte des circonstances et résultats intervenus récemment.
    L'indicateur 2.1 consacré à Culture Prime, fixé à 45 M€ de vidéos vues mensuellement sur Facebook en 2022, est abaissé dans les projets d'avenants à 30 M€ de vues, les résultats enregistrés en 2021 s'établissant à 25 millions de vues. L'Autorité regrette l'ampleur de cette diminution, qui conduit à un niveau d'exigence en baisse par rapport à l'objectif de 2020.
    Comme l'Autorité l'a souligné dans les derniers rapports d'exécution des COM, la couverture hebdomadaire des 4-14 ans par France Télévisions est en recul depuis 2019. La cible de l'indicateur 7.1 a été adaptée en conséquence. Elle devait dépasser 60 % en 2022. Selon le projet d'avenant, ce taux devrait seulement être supérieur en 2023 à son niveau de 2022. L'Autorité regrette la modestie de l'ambition ainsi affichée.
    De même, s'agissant de l'objectif de déploiement des matinales communes (4), l'Autorité relève que la cible de 36 matinales à horizon 2022 est reportée à 2023 afin de tenir compte du retard de déploiement dû en partie à la crise sanitaire.
    L'indicateur 6.1 de France Médias Monde relatif au pourcentage d'opinions favorables sur les valeurs d'expertise, d'objectivité et de référence est revu à la baisse pour France 24 dans la zone Maghreb et MCD dans la zone Proche et Moyen-Orient.
    Par ailleurs, le périmètre de l'objectif 9 de France Télévisions sur le nombre de spectacles en première soirée intègre désormais la chaine dédiée à la culture France 4/CultureBox (5). L'ARCOM rappelle cependant son attachement fort à ce que l'ensemble des chaînes du groupe contribuent à la bonne exposition des spectacles.
    La nécessité de mieux harmoniser certains indicateurs.
    S'agissant d'une prolongation d'un an des COM actuels, il paraît pertinent de ne modifier ni la structure ni la définition des indicateurs de suivi. Néanmoins, il serait opportun de mener durant l'année 2023 les travaux nécessaires pour moderniser et harmoniser ces indicateurs, véritables outils de pilotage global de l'audiovisuel public. L'Autorité l'avait relevé dans son avis sur les projets de COM, s'agissant par exemple des indicateurs de productivité ou d'audience.
    A titre d'exemple, les nombreux indicateurs fondés sur des sondages d'opinion, comme ceux portant sur la confiance dans l'information, pourraient reposer sur une méthodologie unique.
    De même, la mesure et la réduction de l'empreinte carbone de Radio France et de France Télévisions, enjeu majeur pour le service public, semblent devoir être harmonisées.
    Enfin, les COM 2020-2022 prévoyaient d'engager l'harmonisation des plans d'affaires avant 2022. Les projets d'avenants auraient pu être l'occasion de progresser dès 2023 en la matière.


    2. Un financement conforté pour 2023 mais un nouveau cadre de pilotage budgétaire des COM à mettre en place


    La poursuite et l'adaptation de la trajectoire financière des COM en vigueur pour 2023.
    La trajectoire financière inscrite dans les COM en vigueur reprend la séquence fixée par le Gouvernement en juillet 2018 pour la période 2019-2022. Les projets d'avenant prolongent cette trajectoire au-delà de 2022, conformément aux montants inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023, avec une contribution publique de 2 430 millions d'euros pour France Télévisions, de 623 millions d'euros pour Radio France et de 285 millions d'euros pour France Médias Monde.
    La progression affichée de la ressource publique tente de prendre en compte les conséquences encore incertaines du contexte inflationniste et intègre la compensation des charges fiscales nouvelles induites par le nouveau régime de financement (assujettissement des recettes à la taxe sur les salaires, perte de droits à déduction de TVA dans le cas de France Médias Monde) (6).
    Les projets d'avenants ne fixent pas, en revanche, de trajectoire pluriannuelle. L'ARCOM souligne la nécessité de donner rapidement de la visibilité aux entreprises concernées au-delà du prochain exercice.
    Des outils à développer.
    La suppression de la CAP et le changement d'environnement macro-économique, avec une inflation significative et des variations importantes des prix des achats et des charges externes (notamment de l'énergie), rendent nécessaire un renforcement des outils de pilotage financier et budgétaire. Les plans d'affaires qui figurent en seconde partie des projets d'avenants ne répondent pas pleinement à cette attente :


    - d'une manière générale, si les projets de budget des entreprises pour 2023 semblent leur permettre de maintenir leurs équilibres financiers, les plans d'affaires présentés dans les projets d'avenants aux COM de Radio France et, singulièrement, de France Télévisions, sont moins détaillés que ceux figurant dans le COM 2020-2022 ; il est donc malaisé en l'état de juger pleinement de l'adéquation des ressources allouées aux besoins des entreprises ; il ressort des échanges entre les services de l'ARCOM et France Télévisions qu'un plan d'affaires détaillé pourrait être prochainement soumis au conseil d'administration pour être intégré à la version amendée du COM après, le cas échéant, transmission à l'ARCOM ;
    - en outre, les trajectoires financières reposent sur des hypothèses d'évolution de variables-clés peu documentées. C'est le cas de la masse salariale, comme de l'évolution des ressources propres, en particulier publicitaires, dans un contexte de dégradation du contexte économique global ;
    - par ailleurs, la méthode de répartition du financement public entre les trois sociétés et la progression différenciée de ce financement (+ 3 % pour France Télévisions, + 8 % pour Radio France et + 12 % pour France Médias Monde) n'est pas explicitée par le Gouvernement.


    La nécessité d'étayer de façon plus solide les hypothèses de construction des exercices budgétaires couverts par le prochain COM.
    Si les circonstances exceptionnelles de l'année 2023 et son contexte macro-économique incertain peuvent expliquer la présentation succincte des plans d'affaires figurant dans les projets d'avenant, il importe en revanche que les prochains COM précisent, pour chaque société :


    - les hypothèses économiques sous-jacentes à l'exercice de programmation budgétaire ;
    - l'hypothèse de progression de sa masse salariale, en distinguant le mécanisme d'indexation de l'évolution attendue hors prise en compte de l'inflation et en précisant les effets attendus des plans de départs volontaires en cours dans les trois entreprises jusqu'à fin 2022 ;
    - l'hypothèse d'évolution des ressources propres ;
    - les facteurs de répartition de l'évolution de la ressource entre les trois sociétés.


    L'ARCOM est attentive à ce que puisse être définie rapidement une trajectoire pluriannuelle de financement de l'audiovisuel public, afin que celui-ci dispose d'une meilleure visibilité sur le niveau de ses ressources, dont la garantie est un élément de son indépendance de l'audiovisuel, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi de finances rectificative pour 2022 du 16 août 2022.
    Elle ne souscrit pas à un scénario qui conduirait à asseoir à moyen terme une part croissante du financement des sociétés de l'audiovisuel public sur la ressource publicitaire, au regard des équilibres actuels du secteur audiovisuel. En effet, le développement des ressources propres des entreprises, par l'accroissement de leurs recettes de publicité et de parrainage, ne doit pas avoir pour conséquence, dans un marché par ailleurs soumis à la pression des grands acteurs du numérique, de déstabiliser les segments les plus fragiles de l'audiovisuel privé tels que les acteurs ultramarins et les radios et télévisions locales en métropole.
    Par ailleurs, l'ARCOM considère nécessaire de relancer et approfondir la dynamique de coopération au sein de l'audiovisuel public. Les projets d'avenants pourraient y contribuer, sans attendre d'éventuelles initiatives législatives et la conclusion des prochains COM. En premier lieu, il conviendrait que les indicateurs portant sur les projets de coopération stratégique soient assortis d'objectifs plus ambitieux, ou a minima équivalent à ceux de l'année 2022. En second lieu, il serait utile d'actualiser la liste des projets de coopération prioritaires de l'audiovisuel public, dont la liste figure en annexe des COM.
    Enfin, le service public doit donc disposer de nouvelles orientations stratégiques pour transformer son offre et répondre à l'évolution des usages. Comme l'indiquent de nombreuses études, l'année 2020 a accéléré l'essor des usages numériques, et la désaffection du jeune public pour la télévision linéaire, au profit des offres de vidéos à la demande, des contenus en ligne et des réseaux sociaux.
    L'année 2023 doit être ainsi l'occasion de prendre pleinement en compte les transformations actuelles du paysage audiovisuel et numérique ainsi que les changements des modes de consommation. Cette année de transition nécessite d'établir des constats précis visant à fixer un nouvel horizon qui réponde au décalage entre les attentes du public, y compris celles des plus jeunes, et l'offre de l'audiovisuel public. Ce défi, notamment générationnel, doit trouver des réponses par l'élaboration d'une stratégie nouvelle, traduite par de nouvelles missions assorties d'objectifs forts et ambitieux. Cette ambition passe notamment par le renforcement de l'offre numérique des groupes publics, une stratégie de distribution qui préserve l'autonomie des éditeurs et la possibilité d'accéder à des contenus répondant aux exigences culturelles et aux attentes du public.
    L'année 2023 doit permettre de préparer les orientations volontaristes dans ce domaine qui seront inscrites au prochain COM.
    Cet avis sera publié au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 30 novembre 2022.


Pour l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique :
Le président,
R.-O. Maistre


(1) La ministre de la culture a transmis pour avis à l'Autorité les projets d'avenants aux COM 2020-2022 de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et pour information, le projet d'avenant au COM 2020-2022 de l'INA.
(2) Indicateur 7.1 Jeunesse et éducation - France Télévisions.
(3) Indicateur 1.2 Audiences numériques - Radio France.
(4) Indicateur 2.1 Audiences et évolution des offres offertes en partenariat - France Télévisions et Radio France.
(5) Le périmètre initial de cet indicateur était France 2, France 3 et France 5 uniquement.
(6) Avis de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'assemblée nationales sur le projet de loi de finances pour 2023.
Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 233,2 Ko
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