Délibération n° 2022-44 du 10 février 2022 portant avis sur le projet d'arrêté fixant le volume global maximal d'électricité pouvant être cédé par Electricité de France au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique pour l'année 2022

Version initiale


  • Participaient à la séance : Jean-François CARENCO, président, Catherine EDWIGE, Ivan FAUCHEUX, Jean-Laurent LASTELLE et Valérie PLAGNOL, commissaires.
    La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie pour avis le 1er février 2022, d'un projet d'arrêté de la ministre de la transition écologique et du ministre de l'économie, des finances et de la relance pris en application de l'article L. 336-2 du code de l'énergie.
    Ce projet d'arrêté fixe le volume maximal d'électricité pouvant être cédé par Électricité de France (EDF) aux fournisseurs d'électricité dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) pour l'année 2022.


    1. Contexte
    1.1. Fondement juridique


    Le deuxième alinéa de l'article L. 336-2 du code de l'énergie prévoit que « le volume global maximal d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé est déterminé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie, en fonction notamment du développement de la concurrence sur les marchés de la production d'électricité et de la fourniture de celle-ci à des consommateurs finals et dans l'objectif de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final. Ce volume global maximal, qui demeure strictement proportionné aux objectifs poursuivis, ne peut excéder 100 térawattheures par an jusqu'au 31 décembre 2019 et 150 térawattheures par an à compter du 1er janvier 2020 ».
    En application de ces dispositions, la CRE rend, par la présente délibération, son avis sur le projet d'arrêté susmentionné.


    1.2. Situation sur le marché de l'électricité français


    Le second semestre 2021 a vu une hausse exceptionnelle des prix sur les marchés de l'électricité français et européens, liée notamment à la crise du marché gazier, à l'augmentation du prix du CO2, ainsi qu'à des incertitudes sur la disponibilité du parc nucléaire français. Dans ce contexte de crise, les prix de gros futurs de l'électricité ont atteint des niveaux inédits, dépassant régulièrement 200 €/MWh pour le produit calendaire base 2022.
    L'envolée des prix de gros de l'électricité a des effets sur l'ensemble du marché de détail de l'électricité.
    En plus de mesures à caractère social telles que la hausse du chèque énergie, le gouvernement a pris des mesures pour limiter l'impact de la crise des prix sur la facture des consommateurs :


    - une réduction de la Taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), antérieurement fixée à 22,5 €/MWh, à sa valeur minimale. Ce levier, autorisé par la loi de finances 2022 a été mis en œuvre par décret du 28 janvier 2022 (1) ;
    - le gel de la hausse des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE) à + 4 % TTC, prévu par la loi de finances 2022. En application du cadre réglementaire et de sa méthodologie, la CRE avait proposé le 19 janvier 2022 une hausse des TRVE au 1er février 2022 de + 44,5 % HT pour les consommateurs résidentiels et + 44,7 % HT pour les consommateurs professionnels éligibles.


    L'arrêté, objet du présent avis, prévoit la mise à disposition par EDF de 20 TWh d'ARENH supplémentaires au 1er avril 2022. La CRE a été saisie de deux textes supplémentaires cadrant la mise en œuvre de cette mesure et pour lesquels elle rend un avis ce jour : un projet de décret pris en application de l'article L. 336-10 du code de l'énergie et instituant une période de livraison complémentaire à la suite du rehaussement exceptionnel du volume maximal global d'électricité nucléaire historique pouvant être cédé ; et un projet d'arrêté pris en application de l'article L. 337-16 du code de l'énergie et fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés.


    2. Analyse et observations
    2.1. Contenu de l'arrêté


    Le projet d'arrêté, objet de la présente délibération, porte à titre exceptionnel le volume global maximal pouvant être cédé par EDF au titre de l'ARENH à 120 TWh, pour l'année 2022.


    2.2. Position de la CRE sur le plafond de l'ARENH


    Lors du guichet de novembre 2018 pour l'année de livraison 2019, les demandes d'ARENH des fournisseurs alternatifs ont dépassé pour la première fois le plafond ARENH fixé à 100 TWh (2) depuis l'entrée en vigueur du dispositif. Le même dépassement a été observé lors des trois guichets suivants, reflétant l'augmentation continue de l'activité des fournisseurs alternatifs et des ELD (3).
    L'atteinte du plafond affecte l'attribution des volumes d'ARENH demandés par les fournisseurs à destination des consommateurs finals. Les 100 TWh d'ARENH sont alloués par la CRE au prorata des demandes éligibles. La fraction des volumes écrêtée, identique en pourcentage pour l'ensemble des fournisseurs, doit faire l'objet d'un approvisionnement complémentaire proche de l'année de livraison, à des prix moins favorables que celles de l'ARENH.
    Dans ce contexte, le consommateur est non seulement exposé à des hausses de coût d'approvisionnement, mais également à la volatilité des prix de marché dans la mesure où le complément d'approvisionnement est susceptible d'être approvisionné sur une courte période de cotation pour un volume connu juste avant l'année de livraison. Ce phénomène est amplifié à mesure que le volume demandé lors des guichets ARENH successifs augmente.
    Pour ces raisons, la CRE recommande depuis trois ans aux pouvoirs publics de rehausser le niveau du plafond ARENH (4), le cas échéant en modifiant également le prix de l'ARENH, qui n'a pas évolué depuis 2012. Une telle possibilité a été introduite par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019 (5).


    2.3. Proportionnalité de la mesure envisagée dans le projet d'arrêté


    La période de livraison d'ARENH s'étendant du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 est caractérisée par une conjonction de facteurs qui exacerbe les difficultés exposées précédemment : (i) une demande d'ARENH d'environ 160 TWh (hors demande pour les pertes des gestionnaires de réseau et hors filiales d'EDF), cohérente néanmoins avec l'augmentation du nombre de fournisseurs alternatifs et le développement de leur part de marché, et (ii) des prix de gros pour l'année 2022 en hausse constante et exceptionnellement élevés pendant tout le second semestre 2021. Le coût d'approvisionnement du complément consécutif à l'écrêtement de ARENH est dès lors particulièrement élevé pour l'année de livraison 2022 et en très forte hausse par rapport à l'année 2021 (6).
    Le maintien du plafond d'ARENH à 100 TWh avait des effets limités tant que les prix de gros de l'électricité évoluaient entre 40 et 60 €/MWh. Il entraîne des conséquences difficilement soutenables, tant pour les consommateurs résidentiels que pour les entreprises et les collectivités, pour l'année 2022.
    Le projet d'arrêté susmentionné propose de rehausser, pour la seule année 2022, le volume global maximal d'ARENH pouvant être cédé à 120 TWh, contre 100 TWh. Cette mesure permet d'augmenter la part d'électricité approvisionnée à prix régulé dans les offres proposées aux consommateurs, qu'il s'agisse des TRVE ou des offres de marché par les fournisseurs alternatifs et EDF, qui réplique le cadre ARENH dans ses offres de marché. Le taux d'attribution de l'ARENH, égal pour l'année 2022 à 62,48 %, augmentera significativement, ce qui réduira substantiellement le coût d'approvisionnement consécutif à l'écrêtement de l'ARENH sur la facture des consommateurs.
    La mesure envisagée aura pour effet de réduire significativement la hausse du prix de l'électricité pour les consommateurs en 2022.
    En contrepartie, cette mesure aura un coût certain pour EDF, qui est la résultante de deux effets distincts.
    Le premier effet est lié aux opérations nécessaires sur les marchés. EDF indique en effet avoir « mené ses opérations de vente d'électricité (…) dans le strict respect de ses procédures et de sa politique de couverture, qui conduit l'entreprise à fermer l'essentiel de ses positions avant fin décembre » (7) et devra donc acheter de l'électricité sur le marché de gros (ou en vendre moins) pour être en mesure de livrer les 20 TWh d'ARENH à partir du 1er avril 2022.
    En second lieu, EDF devra diminuer le prix de vente de ses offres commerciales à ses propres clients. Il s'agit là d'un coût d'opportunité pour EDF, se matérialisant par des hausses de prix moins fortes que prévu. A titre d'illustration, la CRE a proposé une hausse des TRVE hors taxes de plus de 40 % au 1er février 2022. La prise en compte des 20 TWh viendra réduire l'ampleur de cette hausse des TRVE (à la suite du blocage de la hausse à 4 % TTC, elle se traduira en pratique par un moindre rattrapage à réaliser éventuellement en 2023).
    Enfin, les dispositions du projet d'arrêté sont cohérentes avec l'objectif de l'ARENH de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final, mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 336-2 du code de l'énergie.
    Ainsi, la CRE considère que la mesure envisagée est tout à fait proportionnée à la situation actuelle, qui appelle des mesures adaptées pour atténuer l'effet de la crise des prix de l'énergie sur les consommateurs d'électricité, particuliers, entreprises et collectivités. La CRE veillera à la répercussion effective des cessions d'ARENH additionnelles aux clients des fournisseurs en bénéficiant.


    Avis de la CRE


    Le 2 février 2022, la CRE a été saisie pour avis d'un projet d'arrêté fixant à 120 TWh le volume global maximal d'électricité pouvant être cédé en 2022 par EDF au titre de l'ARENH.
    La CRE considère que cette mesure est proportionnée à la situation actuelle, qui appelle des mesures adaptées pour atténuer l'effet de la crise des prix de l'énergie sur les consommateurs domestiques et les acteurs économiques.
    La CRE émet donc un avis favorable au projet d'arrêté.
    La présente délibération sera publiée sur le site internet de la CRE. Elle sera transmise à la ministre de la transition écologique et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Délibéré à Paris, le 10 février 2022.


Pour la Commission de régulation de l'énergie :
Le président,
J.-F. Carenco


(1) Décret n° 2022-84 du 28 janvier 2022 relatif à la minoration des tarifs de l'accise sur l'électricité prévue à l'article 29 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.
(2) Arrêté du 8 avril 2011 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par Electricité de France au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.
(3) CRE, Observatoire des marchés de détail de l'électricité et du gaz naturel, 3e trimestre 2021.
(4) Rapport de la CRE pris en application de l'article R. 336-39 du code de l'énergie analysant les causes et les enjeux de l'atteinte du plafond du dispositif ARENH, juillet 2020.
(5) Dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 336-2 du code de l'énergie, en vigueur depuis le 10 novembre 2019.
(6) Cette part représente 64,92 €/MWh (HT) dans la proposition de tarifs réglementés de vente d'électricité de la CRE pour 2022, contre 11,31 €/MWh pour 2021. Délibération n° 2022-08 de la CRE portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.
(7) Information presse du 21 janvier 2022 | EDF France.
Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 218,4 Ko
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