Déclaration sur le projet de loi relatif à la protection des enfants

Version initiale

  • Assemblée plénière du 8 juillet 2021 Résultat du vote : à l'unanimité


    1. En qualité d'Institution française de promotion et de protection des droits de l'homme (INDH), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a pour mission de " promouvoir et assurer l'harmonisation des lois, des règlements et des pratiques en vigueur sur le plan national avec les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme ", notamment laConvention internationale des droits de l'enfant (CIDE) (1).


    2. La CNCDH a pris connaissance du projet de loi relatif à la protection des enfants enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 16 juin 2021 et sur lequel le Gouvernement a décidé d'engager une procédure accélérée. A l'instar du Conseil d'Etat (2), elle regrette les délais particulièrement serrés du processus législatif. Elle déplore également de ne pas avoir été saisie par le Gouvernement d'un projet de loi relatif aux droits fondamentaux des enfants malgré les nombreux avis relatifs aux droits de l'enfant qu'elle a adoptés (3) et ses constats concernant la situation des mineurs non accompagnés aux frontières (4).


    3. Tout en souscrivant à l'objectif du texte visant à " assurer un socle commun de droits pour tous les enfants, à soutenir les professionnels, et à construire une nouvelle étape dans la politique publique de la protection de l'enfance " (5), la CNCDH rejoint le Conseil d'Etat, cité par la Défenseure des droits dans son avis (6), en ce que " les objectifs poursuivis ne pourront pas être pleinement atteints par cette réforme organisationnelle ". Par ailleurs, elle s'inquiète de certaines dispositions du projet de loi vis-à-vis de la réalisation de cet objectif et de la prise en compte insuffisante de l'intérêt supérieur de l'enfant garanti par la CIDE (7). La CNCDH insiste sur la nécessité de renforcer le dialogue entre l'aide sociale à l'enfance, les enfants et les parents ou responsables légaux alors qu'aucune des dispositions du texte ne traite de ce sujet central. Elle insiste aussi sur la nécessaire continuité de l'accompagnement entre la minorité de l'enfant et sa majorité, voire au-delà pour les jeunes majeurs issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE), complètement absents de ce projet de loi.


    4. A titre préliminaire, la CNCDH rappelle que tous les enfants présents sur le sol français (métropole et outre-mer), nationaux comme étrangers, doivent bénéficier d'un égal respect de leurs droits en matière d'accès aux soins, à l'éducation, la justice, etc., tels que garantis par la CIDE et le droit français.


    Les inquiétudes relatives à certaines modalités de l'autorité parentale (articles 1er, 2 et 7).


    5. L'article 1er du projet de loi vient encadrer le choix du gardien de l'enfant par le juge des enfants prévu par le code civil (8). La CNCDH salue cet article : il favorise l'accueil de l'enfant auprès d'un parent, membre de la famille ou tiers de confiance plutôt que d'une institution. Par ailleurs, il prévoit une évaluation préalable des conditions d'accueil par un service compétent. Ainsi, la CNCDH se félicite de la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, à travers notamment les liens d'attachement noués de manière stable par le mineur avec des référents reconnus. Cette évaluation prévue par le projet de loi constitue un progrès. La CNCDH note l'ajout, au sein de cet article 1er (9), de la nécessaire " cohérence " de cette évaluation avec le projet pour l'enfant (PPE), ainsi que du recueil de l'avis de l'enfant lorsqu'il est " capable de discernement ", afin que toutes les difficultés et solutions soient étudiées avant son accueil par l'aide sociale à l'enfance (10). La CNCDH réitère sa recommandation de " se doter d'outils et de méthodes d'évaluation extrêmement précis, complets et sérieux, permettant en particulier à l'enfant d'être entendu lorsque son âge le permet " (11). Dans le cas où, vu l'urgence, l'une ou l'autre de ces investigations ne pourraient être menées, il conviendrait, pour assurer l'effectivité de ces mesures, de prévoir une sanction qui pourrait aller jusqu'à la caducité du placement dans l'hypothèse où elles ne sont pas mises en œuvre dans un délai de trois mois.


    6. L'article 2 du projet de loi concerne l'accomplissement des actes non usuels de l'autorité parentale par le gardien lors d'une délégation des attributs de l'autorité parentale décidée par le juge des enfants. L'audition de l'enfant et des parents par le juge avant que celui-ci autorise le gardien à accomplir un acte non usuel de l'autorité parentale s'impose pour mieux appréhender les raisons du refus opposé par les parents à cette autorisation, dissiper tous les malentendus éventuels et rechercher un dialogue préalable à la décision judiciaire (12). Or, pour la grande majorité des placements, la possibilité d'étendre l'autorisation par le juge des enfants non plus à un acte (13) mais " à plusieurs actes " paraît contraire à la recherche d'un tel dialogue. La CNCDH rappelle que ce dialogue nécessite une aide appropriée apportée aux parents (14) et que l'intervention judiciaire doit demeurer subsidiaire.


    7. L'article 7 du projet de loi vise à améliorer les garanties procédurales en matière d'assistance éducative, notamment en prévoyant le recours à la collégialité en raison de la complexité de l'affaire. La CNCDH rappelle à nouveau la nécessaire participation des parents et des enfants au processus décisionnel et attire l'attention du législateur sur la difficulté récurrente pour eux d'apporter leur contribution à l'évaluation de la situation du fait du dépôt tardif des rapports de l'aide sociale à l'enfance (15). Ce grave dysfonctionnement de l'institution judiciaire va à l'encontre du respect du principe du contradictoire, garantie procédurale inhérente au droit au procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, combiné avec son article 8 comme cela résulte de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme (16).


    Les inquiétudes aux mesures relatives à la protection des mineurs non accompagnés (articles 3, 14 et 15).


    8. L'article 3 vise à interdire le placement des mineurs dans des hôtels au profit de structures expressément autorisées par le code de l'action sociale et des familles. Tout en saluant cette avancée, la CNCDH s'inquiète de la dérogation prévue par ce texte visant à permettre à titre exceptionnel le recours au placement dans des hôtels en cas d'urgence, laquelle concerne principalement les mineurs non accompagnés. La CNCDH insiste sur la nécessité d'un personnel qualifié en nombre suffisant et s'interroge également sur les capacités d'hébergement.


    9. L'article 14 vise à ajouter des critères à la clé de répartition, prévue par la loi, entre les différents départements, des mineurs non accompagnés présents sur le territoire français (17). Au critère démographique et d'éloignement géographique seraient ajoutés un critère sociodémographique ainsi qu'un critère fondé sur le nombre de bénéficiaires de contrats jeunes majeurs chez les mineurs non accompagnés. La CNCDH dénonce l'absence totale de prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. Ces nouveaux critères risquent d'entraîner des ruptures (réseaux, formation, accès à l'emploi, etc.) dans les parcours déjà discontinus des mineurs non accompagnés.


    10. L'article 15 prévoit un dispositif qui relève davantage du contrôle migratoire que du droit commun de la protection de l'enfance auquel doivent avoir accès les mineurs non accompagnés. En effet, il impose aux départements, en charge de l'évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés demandant la protection, de recourir au fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM). Les départements devront ainsi transmettre à l'Etat, chaque mois, les décisions relatives à l'évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés, à l'exception du cas où " sa minorité est manifeste ". Dans le cas contraire, ils se verront privés de tout ou partie de la contribution forfaitaire versée par l'Etat pour mettre en œuvre cette évaluation. La perspective d'être " fiché " peut aboutir à ce que les mineurs en question ne demandent pas la prise en charge par les services départementaux d'aide sociale à l'enfance. La CNCDH s'inquiète du caractère dissuasif de ce dispositif qui va à l'encontre du principe de la présomption de minorité qu'elle défend (18) et consacré par les instruments internationaux tant au niveau européen qu'onusien. Elle réaffirme aussi son opposition notamment à la pratique des tests osseux (19).


    Les inquiétudes relatives à l'architecture de l'organe de gouvernance (article 13).


    11. La CNCDH s'inquiète de la réforme proposée à l'article 13 des institutions compétentes en matière de protection de l'enfance, d'adoption et d'accès aux origines personnelles. La CNCDH salue l'impulsion affirmée de l'Etat dans la politique de protection de l'enfance qui inclut la prévention. Si elle entend l'ambition de pallier les lacunes du cadre législatif dans ce domaine, elle s'interroge sur la complexité de sa traduction dans la pratique. La CNCDH considère qu'il est important de partir du cadre existant et, à ce titre, encourage le maintien d'une parité financière entre l'Etat et les départements. La CNCDH souligne la nécessité d'une indépendance de fonctionnement des différentes entités. Par ailleurs, elle demande, d'une part, que les missions de l'Observatoire National de la Protection de l'Enfance (ONPE) soient maintenues, notamment avec la poursuite du programme Olinpe (recueil des données) et, d'autre part, que lui soit confiée l'animation du centre national de ressources documentaires et statistiques en lien avec les autres acteurs.


    Les inquiétudes relatives aux silences du projet loi sur des points importants relatifs à la protection de l'enfance.


    12. La CNCDH regrette que ne soit pas inscrit dans ce projet de loi consacré à la protection l'enfance la prohibition du recours à la rétention des mineurs étrangers sans exception, malgré ses recommandations antérieures (20) et l'ensemble des instruments juridiques internationaux.


    13. La CNCDH rappelle aussi que l'intérêt des parents n'est pas toujours en adéquation avec celui de l'enfant, pourtant supérieur. A ce titre, elle déplore que le projet de loi n'envisage ni l'importance de l'avocat pour l'enfant, ni le renforcement du rôle de l'administrateur ad hoc. Préconisée antérieurement par la CNCDH, cette réflexion autour du rôle de l'administrateur ad hoc nécessite une redéfinition et une clarification de ses fonctions (21).


    14. Les personnels sont la condition d'une protection de l'enfance digne de ce nom. La CNCDH insiste sur la nécessité de fournir un accompagnement des enfants par des personnels formés en nombre suffisant et aussi sur l'importance de mieux prendre en compte les missions et le travail des services de la médecine scolaire ainsi que des assistants des services sociaux et psychologues de l'éducation nationale.


    15. Enfin, la CNCDH rappelle la nécessité, concernant tous les enfants présents sur le sol français, d'adopter une politique de prévention et de lutte contre l'exploitation et la traite sous toutes ses formes et en particulier à des fins d'exploitation sexuelle des mineurs (22). En ce sens, elle réitère son appel à mettre en œuvre un mécanisme de référence pour l'identification, l'orientation et la prise en charge des victimes de traite (23).


    (1) Nations unies, Assemblée générale, 20 décembre 1993, Résolution 48/134, Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme (les Principes de Paris).


    (2) Conseil d'Etat, Assemblée générale, 10 juin 2021, Avis sur un projet de loi relatif à la protection des enfants, paragraphe 4.


    (3) Voir notamment : CNCDH, Avis sur les 30 ans de la Convention international relative aux droits de l'enfant (A-2019-6) du 19 novembre 2019 JORF n° 0279 du 1er décembre 2019, texte n° 54 ; CNCDH, Avis sur le respect de la vie privée et familiale en protection de l'enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance (A-2020-8) du 26 mai 2020, JORF n° 0132 du 31 mai 2020, texte n° 99 ; CNCDH, Avis sur la prévention et la lutte contre la prostitution, la traite à des fins d'exploitation sexuelle des mineurs (A-2021-5) du 15 avril 2021, JORF n° 0092 du 18 avril 2021, texte n° 66.


    (4) CNCDH, Avis sur la situation des personnes exilées à Calais et Grande-Synthe (A-2021-3) du 11 février 2021, pp. 18-21, JORF n° 0045 du 21 février 2021, texte n° 44 ; CNCDH, Avis sur la situation des personnes migrantes à la frontière franco-italienne du 19 juin 2018, pp. 33-41, JORF n° 0150 du 1er juillet 2018, texte n° 24 ; CNCDH, Avis droits des étrangers et droit d'asile dans les outre-mer, Cas particulier de la Guyane et Mayotte du 26 septembre 2017, pp. 35-47, JORF n° 0269 du 18 novembre 2017, texte n° 77.


    (5) Projet de loi relatif à la protection des enfants, exposé des motifs.


    (6) Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 21-08, 25 juin 2021, p. 8.


    (7) Convention internationale relative aux droits de l'enfant, article 3.


    (8) Code civil, article 375-3.


    (9) Assemblée nationale, Commission des affaires sociales, Projet de loi n° 4264 relatif à la protection des enfants, amendements n° AS245 et n° AS248.


    (10) Code de l'action sociale et des familles, article L. 223-1 ; CNCDH, Avis sur le respect de la vie privée et familiale en protection de l'enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance (A-2020-8), 26 mai 2020, Recommandation n° 17, JORF n° 0132 du 31 mai 2020, texte n° 99.


    (11) CNCDH, Avis sur le respect de la vie privée et familiale en protection de l'enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance (A-2020-8), Recommandation n° 15.


    (12) Sur la distinction entre actes usuels et non usuels, voir notamment ministère des solidarités et de la santé, L'exercice des actes relevant de l'autorité parentale pour les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance, janvier 2018, disponible sur ; https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_acte_usuels.pdf.


    (13) Code civil, article 375-7.


    (14) CNCDH, Avis sur le respect de la vie privée et familiale en protection de l'enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance (A-2020-8), Recommandation n° 14.


    (15) CNCDH, Avis sur le respect de la vie privée et familiale en protection de l'enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance, Recommandation n° 5.


    (16) Voir notamment CEDH, arrêt du 8 juillet 1987, W. c. R.-U., § 62. CEDH, arrêt du 24 février 1995, Mac Michaël c. R.-U ; CEDH, arrêt du 10 mai 2001, T.P. et K. M. c. R.-U., § 80.


    (17) Code de l'action sociale et des familles, article L. 221-2-2.


    (18) CNCDH, Avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national du 26 juin 2014, Recommandation n° 1, JORF n° 0156 du 8 juillet 2014, texte n° 92.


    (19) CNCDH, Avis sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national.


    (20) CNCDH, Avis relatif à la proposition de loi visant à encadrer strictement la rétention des familles avec mineurs : une occasion manquée (A-2020-12).


    (21) CNCDH, Avis sur le respect de la vie privée et familiale en protection de l'enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance (A-2020-8), Recommandation n° 22.


    (22) CNCDH, Avis sur la prévention et la lutte contre la prostitution, la traite à des fins d'exploitation sexuelle des mineurs (A-2021-5).


    (23) CNCDH, Avis " La création d'un mécanisme national de référence, en France, pour l'effectivité des droits des personnes victimes de traite des êtres humains " (A-2020-5).

Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 225,2 Ko
Retourner en haut de la page