Décret du 21 octobre 2020 portant dissolution d'un groupement de fait

NOR : INTD2028358D
ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2020/10/21/INTD2028358D/jo/texte
JORF n°0257 du 22 octobre 2020
Texte n° 16

Version initiale


Le Président de la République,
Sur le rapport du Premier ministre et du ministre de l'intérieur,
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 10 et 11 ;
Vu le code des relations entre le public et l'administration, notamment ses articles L. 121-1 et L. 121-2 ;
Vu le code de la sécurité intérieure, notamment son article L. 212-1 ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : […] 6° […] qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; 7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger » ;
Considérant que le « Collectif Cheikh Yassine », fondé en 2004 et dirigé par M. A., s'identifie explicitement comme un mouvement pro-Hamas, ainsi qu'en témoigne son nom choisi en hommage au Cheikh Ahmed Yacine, chef spirituel et leader du Hamas, éliminé lors d'une opération de l'armée israélienne, le 22 mars 2004 ; que ce collectif, organisé autour de la personne de son dirigeant et de ses proches, est à l'origine de nombreuses manifestations et actions publiques depuis sa création ; que ses membres disposent de moyens d'expression collective, tels qu'un site internet et des comptes sur les réseaux sociaux Facebook et Youtube, qui font référence les uns aux autres ; que ce mouvement s'identifie au travers d'une symbolique commune, illustrée par la présence du drapeau palestinien sur son site et ses réseaux sociaux ; que ces éléments permettent d'établir l'existence d'un groupement de fait au sens de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant, en premier lieu, que le « Collectif Cheikh Yassine » organise, depuis 2009, de multiples actions virulentes et mobilisations à l'occasion desquelles des discours du Hamas ont été diffusés et traduits par M. A. ; que de nombreux chants et paroles à la gloire de la branche armée du Hamas, prônant l'anéantissement d'Israël, des Etats-Unis ou encore la mort des juifs ont été scandés par les militants radicaux du « Collectif Cheikh Yassine », Israël étant qualifié de « cancer qu'il faut éradiquer » et les sionistes accusés de profaner Al-Aqsa ; que ces actions et propos sont ouvertement antisémites et appellent à la destruction d'Israël ;
Considérant que le collectif intervient également sur le thème de l'islamophobie en tenant des propos de nature conspirationniste ; qu'ainsi, il a accusé le gouvernement français d'être « à la solde du lobby sioniste » ; que M. A. a conduit une campagne hostile aux intellectuels musulmans et imams modérés, en qualifiant notamment M. B., imam de la mosquée de Drancy (Seine-Saint-Denis), d'« imam des juifs » et d'« apostat », générant parmi les membres de son groupement des volontés de représailles envers cet imam ; qu'en février 2015, en plein contexte des attentats de Charlie Hebdo, M. A. a dénoncé l'islamophobie en tentant de légitimer les actes de terrorisme des frères C. et de D., victimes, selon lui, d'un complot orchestré par les services de renseignement israéliens avec la complicité de la France ;
Considérant que par suite, le « Collectif Cheikh Yassine » doit être regardé comme provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et propageant des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence, au sens du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant, en second lieu, que le « Collectif Cheikh Yassine » s'est positionné, dès sa création, en faveur de la branche armée du Hamas, inscrite sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne ; que son nom même constitue un hommage au Cheikh Ahmed Yacine, chef spirituel et leader de ce mouvement ; que, le 1er juin 2012, devant 12 militants pro-palestiniens rassemblés devant la mosquée d'Evry Courcouronnes, M. A. a terminé son discours en priant Allah de soutenir « les frères moudjahidines partout, en Palestine, en Afghanistan, en Tchétchénie, en Irak, au Yémen, en Somalie et en Syrie », lui demandant de « guider leurs pas et de neutraliser Bachar » ; qu'en outre, ce groupement rassemble de nombreux islamistes radicaux dont certains fervents soutiens de l'idéologie pro-djihadiste ; qu'il s'est entouré de plusieurs groupes informels assurant la sécurité des manifestations publiques pro-palestiniennes, composés de militants pro-djihadistes, entraînés aux sports de combats et techniques d'aguerrissement à des fins de préparation pour la zone syro-irakienne ;
Considérant que les interventions du « Collectif Cheikh Yassine » ont permis à son dirigeant de rencontrer de nombreux individus connus pour leur appartenance à des groupes islamistes radicaux, pour leur participation à des projets d'attentats terroristes ou encore à des filières d'acheminement de djihadistes en zone irako-syrienne ; que parmi les membres actifs et sympathisants du « Collectif Cheikh Yassine » figure un militant très virulent, condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, financement d'entreprise terroriste, escroquerie et tentative d'escroquerie et faux, en avril 2017, avec lequel M. A. a maintenu des liens durant la détention de ce dernier puis après sa sortie de prison ; que plusieurs autres membres se sont illustrés en facilitant le départ de plusieurs jeunes islamistes radicaux vers la zone irako-syrienne, en partant eux-mêmes combattre sur zone ou en préparant des attentats à l'étranger ; que certains d'entre eux sont présumés décédés lors de combats sur zone ou ont été condamnés pour des faits de terrorisme ; que les actions du « Collectif Cheikh Yassine » ont été relayées auprès de M. E., ex président de Forsane Alissa, que de même, M. A. est entré à de nombreuses reprises, dont en dernier lieu au printemps 2020, avec la veuve de M. C., l'un des deux auteurs de l'attentat perpétré contre le journal Charlie Hebdo ;
Considérant qu'à la suite du cours dispensé le 5 octobre 2020 par M. F., professeur d'histoire au collège du Bois-d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), portant sur l'attentat de Charlie-Hebdo et s'appuyant sur deux caricatures du prophète Mahomet, plusieurs vidéos et messages ont été publiés sur les réseaux sociaux, notamment par un parent d'élève de ce collège ; que, lorsqu'ils ont été reçus à leur demande par la principale de l'établissement, M. A. a accompagné ce parent d'élève ; qu'il s'est présenté comme « responsable des imams de France », a demandé la suspension immédiate de l'enseignant et s'est opposé de manière virulente à l'administration scolaire ; qu'il s'est ensuite exprimé sur les réseaux sociaux en précisant qu'il y avait eu « offense d'un sacré » et qu'il refusait « qu'un voyou utilise la liberté d'expression et la liberté de la presse pour montrer une caricature du prophète » ; que l'appui apporté au parent d'élève ainsi que la diffusion de ces propos hostiles à M. F. sont susceptibles d'avoir facilité l'acte de terrorisme dont il a été victime le 16 octobre 2020 ;
Considérant que l'ensemble des prises de positions de M. A. sont réputées intervenir au nom du groupement de fait qu'il incarne ; que ces éléments sont à l'origine d'une légitimation de l'islamisme radical, que par suite, le groupement doit être regardé comme se livrant sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger au sens du 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant qu'au regard de l'ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de prononcer la dissolution du groupement de fait dénommé « Collectif Cheikh Yassine » sur les fondements des 6° et 7° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant que ce groupement est directement impliqué, par la diffusion sur les réseaux sociaux, de publications hostiles à M. F. et appelant à des actions de rétorsion à son encontre ; qu'il est susceptible, par la diffusion de ces propos de son dirigeant de fait, d'avoir facilité l'acte de terrorisme commis le 16 octobre dernier ; que, compte tenu de ces circonstances, il y a urgence à procéder à sa dissolution sans qu'il y ait lieu de mettre en œuvre la procédure contradictoire préalable prévue par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
Le conseil des ministres entendu,
Décrète :


  • Le groupement de fait dénommé « Collectif Cheikh Yassine » est dissous.


  • Le Premier ministre et le ministre de l'intérieur sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l'application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 21 octobre 2020.


Emmanuel Macron
Par le Président de la République :


Le Premier ministre,
Jean Castex


Le ministre de l'intérieur,
Gérald Darmanin

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