Avis n° 412016, 412053 du 18 octobre 2017

Version initiale


  • ECLI:FR:CECHR:2017:412016.20171018


    Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 8e et 3e chambres réunies),
    Sur le rapport de la 8e chambre de la section du contentieux,
    Vu la procédure suivante :
    Par deux jugements nos 1604905 et 1602615 du 27 juin 2017, enregistrés le 3 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur les demandes des sociétés Elaborados Metalicos Emesa SL et Sea Chef Cruise Service GmbH tendant au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens qui ont leur été livrés ou les services qui leur ont été fournis en France au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative de transmettre le dossier de ces demandes au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
    1° Si, lorsque le service des impôts demande, conformément aux dispositions de l'article 242-0 W de l'annexe II du code général des impôts, des informations complémentaires à un assujetti établi hors de France mais dans un Etat de l'Union européenne, qu'il s'agisse de compléter la demande initiale par la production des pièces visées au II de l'article 242-0 R ou par la production d'autres informations, l'absence de réponse du demandeur dans le délai d'un mois peut-elle être régularisée par la production des pièces et renseignements sollicités devant le tribunal administratif ? Dans ce cas, cette régularisation doit-elle respecter la procédure suivie par les dispositions du 3e alinéa de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales ?
    2° Un rapport de suivi de courriel émis par le serveur informatique mentionnant la délivrance au serveur distant peut-il être regardé comme constituant un accusé de réception d'une demande formulée à l'occasion d'une telle procédure de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée, qu'elle émane de l'administration ou du demandeur ? Si non, quelles preuves peuvent être admises pour justifier de l'échange d'un courriel et notamment de sa réception par le destinataire effectif ?
    Vu les autres pièces des dossiers ;
    Vu :


    - le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;
    - la directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008 ;
    - le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
    - le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;


    Après avoir entendu en séance publique :


    - le rapport de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, auditeur ;
    - les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.


    La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la Archers avocats, avocat de la société Elaborados Metalicos Emesa SL.
    Rend l'avis suivant :
    Les jugements du tribunal administratif de Montreuil visés ci-dessus soumettent au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, des questions analogues. Il y a lieu de les joindre pour y répondre par le même avis.
    1. Aux termes du d du V de l'article 271 du code général des impôts : « V. Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (…) d) Les opérations non imposables en France réalisées par des assujettis dans la mesure où elles ouvriraient droit à déduction si leur lieu d'imposition se situait en France (…) ».
    2. L'article 242-0 N de l'annexe II du même code dispose : « Un assujetti non établi en France peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France par d'autres assujettis ou ayant grevé l'importation de biens en France, dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes : /1° les opérations dont le lieu d'imposition se situe hors de France mais qui ouvriraient droit à déduction si ce lieu d'imposition était situé en France ; / 2° les opérations mentionnées au 2° de l'article 242-0 O ». Aux termes de l'article 242-0 R de cette même annexe : « I. - Pour bénéficier du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, l'assujetti non établi en France doit adresser au service des impôts une demande de remboursement souscrite par voie électronique au moyen du portail mis à sa disposition par l'Etat de l'Union européenne où il est établi. / II. - L'assujetti mentionné au I doit joindre par voie électronique à la demande de remboursement une copie de la facture ou du document d'importation lorsque la base d'imposition figurant sur la facture ou le document d'importation est égale ou supérieure à un montant de 1 000 euros. Toutefois, lorsque la facture porte sur des dépenses de carburant, ce seuil est fixé à 250 euros » ; et aux termes de l'article 41 decies de l'annexe IV du même code : « I. - La demande de remboursement mentionnée à l'article 242-0 T de l'annexe II au code général des impôts comporte les informations suivantes : (…) 2° Une adresse de contact par voie électronique (…) / II. - Outre les informations mentionnées au I, pour chaque facture ou document d'importation, la demande de remboursement comprend les informations suivantes (…) ».
    3. En vertu de l'article 242-0 W de l'annexe II du code général des impôts : « I. - Le service des impôts peut demander par voie électronique dans le délai mentionné au II de l'article 242-0 V des informations complémentaires, notamment auprès du requérant ou des autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne dans lequel il est établi, lorsqu'il estime ne pas être en possession de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la totalité ou une partie de la demande de remboursement introduite par le requérant. Lorsque ces informations complémentaires sont demandées à une autre personne que le requérant ou que les autorités compétentes d'un Etat membre, la demande doit être transmise par voie électronique si le destinataire de la demande est équipé en conséquence. / S'il le juge utile, le service des impôts peut demander de nouvelles informations complémentaires. /Dans le cadre de ces demandes, le service des impôts pourra solliciter du requérant la communication de l'original d'une facture ou d'un document d'importation lorsqu'il a des raisons de douter de la validité ou de l'exactitude d'une créance particulière. La demande peut viser toutes les opérations sans considération de leur montant. / II. - Les informations complémentaires exigées conformément aux dispositions du I doivent être fournies dans un délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'informations par le destinataire ».
    4. Il résulte, en premier lieu, de ces dispositions, qui se bornent sur ce point à transposer en droit interne la directive 2008/9/CE du Conseil du 12 février 2008 définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l'Etat membre du remboursement mais dans un autre Etat membre, et notamment ses articles 7, 8, 10 et 20, qu'une fois que l'assujetti a souscrit sa demande de remboursement par voie électronique au moyen du portail mis, à cette fin, à sa disposition par l'Etat de l'Union européenne où il est établi, les échanges entre l'administration fiscale de l'Etat de remboursement et l'assujetti, qu'il s'agisse notamment de demandes de documents ou d'informations complémentaires émanant de cette administration ou des réponses qui leur sont apportées par l'assujetti, doivent intervenir par voie électronique.
    5. En cas de désaccord entre l'administration fiscale française et l'assujetti au sujet de la réception d'un échange électronique émanant de l'une ou de l'autre, et dans l'hypothèse où cet échange n'aurait pas emprunté une voie permettant de certifier les envois et réceptions de messages et documents, telle que notamment un portail électronique sécurisé de l'administration fiscale ou, à défaut, une lettre recommandée électronique, mais aurait pris la forme d'un simple courriel transitant entre l'adresse de contact par voie électronique mentionnée par l'assujetti dans sa demande et l'adresse de contact de l'administration fiscale, il y a lieu de considérer qu'un rapport de suivi de courriel émis par le serveur informatique hébergeant l'adresse de contact de l'envoyeur mentionnant la délivrance au serveur hébergeant l'adresse de contact du destinataire permet d'établir la réalité de l'envoi du courriel et de présumer sa réception par le destinataire. Il revient en effet au destinataire de s'assurer de la remise effective, par le serveur gérant sa boîte aux lettres électronique, des courriels qui lui sont adressés.
    6. Il résulte, en second lieu, de ces mêmes dispositions que, lorsque l'administration fiscale française ne dispose pas de l'ensemble des éléments lui permettant de s'assurer que l'assujetti non établi en France satisfait aux conditions subordonnant le droit au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France, qu'il s'agisse des documents et informations, visés à l'article 242-0 R de l'annexe II du code général des impôts et à l'article 41 decies de l'annexe IV du même code, qui doivent accompagner la demande de remboursement, ou des informations complémentaires qui peuvent être requises en vertu de l'article 242-0 W de l'annexe II, l'administration les lui demande par voie électronique. L'assujetti dispose d'un délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'informations pour fournir ces éléments.
    7. La directive, que les dispositions précitées du code général des impôts se sont bornées sur ce point à reproduire, ne précise ni les conséquences sur le droit au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée d'une méconnaissance du délai de réponse d'un mois que le 2. de son article 20, repris au dernier alinéa de l'article 242-0 W de l'annexe II au code général des impôts, impartit à l'assujetti, ni si ce dernier dispose de la possibilité de régulariser sa demande en produisant directement devant le juge de l'impôt les éléments propres à établir l'existence de son droit à remboursement. En conséquence, la question de l'interprétation à donner à ces prescriptions de la directive dans le respect des principes de proportionnalité et de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée présente une difficulté sérieuse.
    8. Il revient au tribunal administratif de Montreuil d'apprécier si, compte tenu de ces éléments, il estime nécessaire, pour rendre son jugement, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne, conformément à la possibilité qui lui est ouverte par l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne afin que celle-ci tranche la question précitée.
    9. Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, aux sociétés Elaborados Metalicos Emesa SL et Sea Chef Cruise Service GmbH, et au ministre de l'action et des comptes publics.
    Il sera publié au Journal officiel de la République française.

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