Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 14 octobre 2015, 14-19.214, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., auteur de musique, a conclu avec la société d'édition musicale Artists plus divers contrats de cession et d'édition d'oeuvres musicales, complétés par un pacte de préférence ; que deux contrats portaient sur des oeuvres de collaboration créées avec M. Y..., auteur des paroles, intitulées « Boom boom » et « Toujours là » ; qu'alléguant que la société Artists plus avait failli à son obligation d'exploitation permanente et suivie de ses oeuvres, M. X... l'a assignée en résiliation des contrats et du pacte de préférence ; que celle-ci a sollicité reconventionnellement la condamnation de M. X... au paiement de dommages-intérêts pour non-respect du pacte de préférence ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Artists plus fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande reconventionnelle et de prononcer, à ses torts exclusifs, la résiliation du pacte de préférence, alors, selon le moyen :

1°/ que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère ; que l'auteur qui, en méconnaissance du pacte de préférence qu'il a conclu avec son éditeur, ne propose pas à ce dernier d'éditer une oeuvre qu'il a composée et qui rentre dans les prévisions dudit pacte, ceci préalablement à la divulgation de cette oeuvre, engage sa responsabilité à l'égard de son cocontractant, peu important que ce dernier se voie ultérieurement reconnaître la qualité de coéditeur de l'oeuvre ; qu'en retenant, pour rejeter la demande indemnitaire formée à titre reconventionnel par la société Artists plus et fondée sur la violation par M. X... du pacte de préférence du 9 juillet 2009 concernant l'oeuvre intitulée « Celui », qu'une régularisation était intervenue et que la société Artists plus était dorénavant coéditeur de cette oeuvre, quand la responsabilité de M. X... était engagée à l'égard de la société Artists plus du seul fait de l'inexécution du pacte, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé l'article 1147 du code civil ;

2°/ qu'en jugeant, pour prononcer aux torts exclusifs de la société Artists plus la résiliation du pacte de préférence du 9 juillet 2009 avec effet au 15 février 2012, que la résiliation aux torts exclusifs de ce même éditeur des trente-quatre contrats de cession et d'édition conclus avec M. X... était de nature à altérer définitivement le lien de confiance qui doit unir l'auteur et son éditeur et que ces trente-quatre contrats forment avec ledit pacte un ensemble indivisible, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité des conventions en cause, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;

3°/ qu'en estimant, pour débouter la société Artists plus de sa demande reconventionnelle au titre de la violation par M. X... du pacte de préférence du 9 juillet 2009 concernant l'oeuvre intitulée « Quand les masques tombent », qu'il était établi en cause d'appel que l'éditeur avait levé l'option par courrier du 12 avril 2013 pour une coédition de l'oeuvre, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'oeuvre en cause avait été divulguée près de deux mois avant que M. X... propose à son éditeur de la coéditer, de sorte que celui-ci avait enfreint les obligations qui lui incombaient en vertu dudit pacte de préférence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu, d'abord, qu'appréciant, d'une part, la portée de la régularisation relative à l'exploitation de l'oeuvre intitulée « Celui », intervenue entre les sociétés Step et Artists plus, de telle sorte que cette dernière était inscrite à la SACEM en qualité de coauteur, d'autre part, les circonstances dans lesquelles la société Artists plus avait levé l'option pour une coédition de l'oeuvre intitulée « Que les masques tombent », la cour d'appel a souverainement estimé que la société éditrice ne justifiait pas d'une violation du pacte de préférence par M. X..., ouvrant droit à indemnisation ;

Et attendu, ensuite, qu'ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain, la nécessité du lien de confiance unissant l'auteur à son éditeur et l'existence d'un lien intime entre le pacte de préférence et les contrats de cession et d'édition, elle a ainsi caractérisé l'indivisibilité des conventions en cause ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que l'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs qui doivent exercer leurs droits d'un commun accord, sauf à saisir la juridiction de leur différend ;

Attendu que, pour prononcer aux torts exclusifs de la société Artists plus la résiliation des contrats de cession et d'édition sur les oeuvres de collaboration « Toujours là » et « Boom Boom », et la condamner à payer à M. X... une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que l'opposition de M. Y..., coauteur desdites oeuvres, à la demande de résiliation formée par M. X..., ne vaut que pour ses propres liens contractuels avec la société éditrice et ne fait pas obstacle au prononcé de résiliation à l'égard de M. X... ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la résiliation des contrats de cession et d'édition consentis par M. X... sur les oeuvres de collaboration « Toujours là » et « Boom, boom », l'arrêt rendu le 9 avril 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société Artists plus et M. Y....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé aux torts exclusifs de la société Artists Plus, à compter du 15 février 2012, la résiliation des contrats de cession et d'édition consentis par M. Deniz X... sur les oeuvres de collaboration « Toujours là » et « Boom Boom » et d'avoir condamné la société Artists Plus à payer à M. Deniz X... la somme de 3 500 ¿ en réparation de son préjudice ;

AUX MOTIFS QUE, sur la demande de résiliation des contrats de cession et d'édition d'oeuvres musicales, l'opposition de Benoit Y... à la résiliation des contrats de cession et d'édition portant sur les oeuvres de collaboration « Toujours là » et « Boom Boom » dont il est coauteur avec Deniz X... ne saurait valoir que pour ses propres liens contractuels avec la société Artists Plus et ne fait pas obstacle au prononcé de la résiliation de ces contrats à l'égard de Deniz X... dans ses rapports avec la société Artists Plus ; que sur les mesures réparatrices le tribunal, par de justes motifs que la cour fait siens, a procédé à une exacte appréciation des circonstances de la cause en allouant à Deniz X... la somme de 3.500 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi des suites de la résiliation des contrats de cession et d'édition ; que le montant indemnitaire retenu par le tribunal est suffisant même si en cause d'appel la résiliation a été étendue aux contrats portant sur les oeuvres « Toujours là » et « Boom Boom » et le jugement dont appel sera confirmé sur ce point » ;

ALORS QUE l'oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs qui doivent exercer leurs droits d'un commun accord ; qu'en retenant, pour prononcer aux torts exclusifs de la société Artists Plus la résiliation des contrats de cession et d'édition consentis par M. X... sur les oeuvres de collaboration « Toujours là » et « Boom Boom » et condamner l'éditeur à payer à celui-ci des dommages-intérêts, que l'opposition de M. Y..., coauteur desdites oeuvres, à la résiliation souhaitée par M. X... ne saurait valoir que pour ses propres liens contractuels avec la société Artists Plus et ne ferait pas obstacle au prononcé d'une telle résiliation à l'égard de M. X... dans ses rapports avec la société Artists Plus, la cour d'appel a violé l'article L. 113-3 du code de la propriété intellectuelle.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Artists Plus de sa demande reconventionnelle et d'avoir prononcé aux torts exclusifs de la société Artists Plus, à compter du 15 février 2012, la résiliation du pacte de préférence contracté le 9 juillet 2009 par M. Deniz X... ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur la demande de résiliation du pacte de préférence, selon le « Pacte de préférence éditoriale » conclu le 9 juillet 2009, Deniz X... a consenti à la société Artists Plus un droit de préférence exclusif pour l'édition de ses oeuvres futures et de celle de ses oeuvres déjà écrites et/ou composées pour une durée de 4 années à compter de la signature du premier contrat de cession et d'édition conclu en application de ce pacte (article VII) ; que la résiliation aux torts exclusifs de l'éditeur des 34 contrats de cession et d'édition litigieux est de nature à altérer définitivement le lien de confiance qui doit unir l'auteur à son éditeur et justifie que soit nécessairement prononcée la résiliation, aux torts exclusifs de l'éditeur, du pacte de préférence qui est intimement lié aux contrats de cession et d'édition d'oeuvres musicales et forme avec ces derniers un tout indivisible ; que le jugement entrepris doit être réformé en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation du pacte de préférence éditoriale du 9 juillet 2009 qui sera résilié aux torts de l'éditeur à compter du 15 février 20(12) ; que sur la demande reconventionnelle de la société Artists Plus, la société Artists Plus fait grief à Deniz X... d'avoir manqué à ses obligations contractées au titre du pacte de préférence du 9 juillet 2009 en confiant à la société Step Out l'édition de l'oeuvre « Celui » composée à la fin de l'année 2009, en composant l'oeuvre « Toutes les nuits » ainsi que des morceaux pour les artistes interprètes Shérifa Luna, Colonel Reyel, Senior Canardo et Celis ; que selon le pacte de préférence l'auteur s'oblige à soumettre à l'éditeur toutes ses oeuvres, futures ou déjà écrites, afin de lui permettre de lever l'option dans un délai de trois mois à compter de la remise d'un manuscrit définitif ; Qu'il y est stipulé, en cas d'oeuvre de collaboration, que l'auteur doit préalablement informer ses collaborateurs de l'existence du pacte de préférence et faire ses meilleurs efforts pour que le coauteur signe au profit de l'éditeur le contrat de cession et d'édition d'oeuvre musicale ; que s'agissant de l'oeuvre « Celui », il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une oeuvre de collaboration et qu'une régularisation est intervenue entre les sociétés Step Out et Artists Plus de telle sorte que cette dernière est inscrite à la Sacem en qualité de coéditeur ; que la société Artists Plus ne démontre pas, au demeurant, que Deniz X... aurait manqué aux obligations mises à sa charge en cas d'oeuvre de collaboration en ne faisant pas ses meilleurs efforts pour obtenir du coauteur qu'il contracte avec la société Artists Plus ; (¿) que s'agissant de l'oeuvre de collaboration « Quand les masques tombent » interprétée par Shérifa Luna, il est établi en cause d'appel que la société Artists Plus a levé l'option suivant courrier du 12 avril 2013 pour une coédition de l'oeuvre » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, sur la demande reconventionnelle, l'article 1142 du code civil dispose que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur ; qu'en l'espèce, le pacte de préférence conclu entre les parties le 9 juillet 2009 oblige l'auteur à soumettre toutes ses oeuvres, futures ou déjà écrites, à la société Artists Plus, afin de lui permettre de lever l'option dans un délai de trois mois à compter de la remise d'un manuscrit définitif ; qu'en cas d'oeuvres de collaboration, il est prévu que l'auteur doit préalablement informer les collaborateurs ou auteurs de l'existence d'un droit de préférence de l'éditeur afin de permettre à ce dernier d'en acquérir les droits ou de conclure un contrat de co-édition ; que la société Artists Plus reproche à l'auteur d'avoir manqué à ses obligations en s'abstenant de lui proposer l'oeuvre « Celui » composée à la fin de l'année 2009, en signant un contrat de cession et d'édition avec un tiers et en composant des morceaux pour les artistes Sherifa Luna, Colonel Reyel Senior Canardo et Celis ; que cependant, il est établi que l'oeuvre de collaboration « Celui » a fait l'objet d'une régularisation entre les sociétés Artists Plus et Step Out, ainsi que l'indique la défenderesse dans ses écritures et dès lors qu'elle est inscrite à la Sacem en qualité de co-éditeur et qu'elle ne se plaint d'aucune perte financière de ce chef, aucun préjudice ouvrant droit à indemnisation n'en résulte » ;

1°) ALORS QUE le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère ; que l'auteur qui, en méconnaissance du pacte de préférence qu'il a conclu avec son éditeur, ne propose pas à ce dernier d'éditer une oeuvre qu'il a composée et qui rentre dans les prévisions dudit pacte, ceci préalablement à la divulgation de cette oeuvre, engage sa responsabilité à l'égard de son cocontractant, peu important que ce dernier se voie ultérieurement reconnaître la qualité de coéditeur de l'oeuvre ; qu'en retenant, pour rejeter la demande indemnitaire formée à titre reconventionnel par la société Artists Plus et fondée sur la violation par M. X... du pacte de préférence du 9 juillet 2009 concernant l'oeuvre intitulée « Celui », qu'une régularisation était intervenue et que la société Artists Plus était dorénavant coéditeur de cette oeuvre, quand la responsabilité de M. X... était engagée à l'égard de la société Artists Plus du seul fait de l'inexécution du pacte, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé l'article 1147 du code civil ;

2°) ALORS QU'en jugeant, pour prononcer aux torts exclusifs de la société Artists Plus la résiliation du pacte de préférence du 9 juillet 2009 avec effet au 15 février 2012, que la résiliation aux torts exclusifs de ce même éditeur des trente-quatre contrats de cession et d'édition conclus avec M. X... était de nature à altérer définitivement le lien de confiance qui doit unir l'auteur et son éditeur et que ces trente-quatre contrats forment avec ledit pacte un ensemble indivisible, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité des conventions en cause, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;

3°) ALORS QU' en estimant, pour débouter la société Artists Plus de sa demande reconventionnelle au titre de la violation par M. X... du pacte de préférence du 9 juillet 2009 concernant l'oeuvre intitulée « Quand les masques tombent », qu'il était établi en cause d'appel que l'éditeur avait levé l'option par courrier du 12 avril 2013 pour une coédition de l'oeuvre, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'oeuvre en cause avait été divulguée près de deux mois avant que M. X... propose à son éditeur de la coéditer, de sorte que celui-ci avait enfreint les obligations qui lui incombaient en vertu dudit pacte de préférence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.

ECLI:FR:CCASS:2015:C101095
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