Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 31 mars 2015, 13-25.436, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par la société Autoroute Paris Rhin Rhône (APRR) en qualité d'ouvrier routier qualifié, à compter du 15 décembre 1986 ; qu'il a été mis à pied à titre conservatoire le 24 août 2011 et convoqué devant le conseil de discipline et à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement ; qu'il a été licencié pour faute grave le 12 septembre suivant, notamment pour s'être trouvé en état d'imprégnation alcoolique sur son lieu de travail ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié qui est préalable :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de nullité du licenciement et, en conséquence, de ses demandes de réintégration et de paiement des salaires qu'il aurait dû percevoir depuis la date de son éviction jusqu'à celle de sa réintégration, alors, selon le moyen, que le fait de soumettre un salarié à un contrôle d'alcoolémie en dehors du lieu de travail, en méconnaissance des modalités prescrites par le règlement intérieur de l'entreprise caractérise la violation d'une liberté fondamentale emportant nullité du licenciement ;

Mais attendu que ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale, le recours à un contrôle d'alcoolémie permettant de constater l'état d'ébriété d'un salarié au travail, dès lors qu'eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, et que les modalités de ce contrôle, prévues au règlement intérieur, en permettent la contestation, peu important qu'il s'effectue, pour des raisons techniques, hors de l'entreprise ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur, pris en sa première branche :

Vu l'article 3 du règlement intérieur entré en vigueur le 27 novembre 2006 ;

Attendu que pour dire le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que, si de principe, rien n'interdit à l'employeur d'utiliser les résultats d'un contrôle d'alcoolémie à des fins disciplinaires, faut-il encore qu'il ne se le soit pas interdit et que le contrôle soit réalisé en conformité avec les prescriptions du règlement intérieur et qu'ill résulte des dispositions combinées du règlement intérieur et de la charte du district de Dijon concernant la consommation d'alcool sur les lieux de travail que le contrôle d'alcoolémie a pour objet de faire cesser une situation dangereuse et non de faire constater une faute et que des « mesures » autres que celles prévues à la charte (une sanction) ne sont envisagées qu'en cas de récidive, que n'étant pas soutenu que l'épisode alcoolique présenté par le salarié le 23 août 2011 ait eu des précédents, il ne peut à lui seul justifier le licenciement du salarié, au regard des dispositions en vigueur au sein de l'entreprise ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le règlement intérieur entré en vigueur le 27 novembre 2006 permettait à l'employeur d'opérer des contrôles de l'état d'imprégnation alcoolique de certaines catégories particulières de salariés auxquelles appartenait l'intéressé et qui, en raison de la nature de leurs fonctions, pouvaient exposer les personnes ou les biens à un danger, peu important l'existence d'une « charte d'entreprise », entrée en vigueur en décembre 1997, et ayant pour seul objet de prévenir l'alcoolisation sur les lieux de travail de l'ensemble du personnel et de définir les mesures immédiates à prendre en cas d'imprégnation aigüe et occasionnelle de certains, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement de M. X... sans cause réelle et sérieuse, condamne la société APRR à lui payer 5 908 euros à titre d'indemnité représentative de préavis, 590,80 euros au titre des congés afférents, 23 632 euros brut à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, et 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, et ordonne le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage perçues par M. X... dans la limite de six mois, l'arrêt rendu le 19 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mars deux mille quinze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour la société Autoroute Paris-Rhin-Rhône.

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement du salarié était sans cause réelle et sérieuse et d'avoir en conséquence condamné la Société APRR, d'une part, à lui verser les sommes de 5.908 euros brut à titre d'indemnité représentative de préavis, 590,80 euros brut au titre des congés afférents, 23.632 euros brut au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, et 30.000 euros à titre de dommages et intérêts, et d'autre part, à rembourser à Pôle-Emploi les indemnités de chômage perçues par M. X... jusqu'à la date de l'arrêt d'appel dans la limite de six mois ;

aux motifs que si de principe, rien n'interdit à l'employeur d'utiliser les résultats d'un contrôle d'alcoolémie à des fins disciplinaires, faut-il encore qu'il ne se le soit pas interdit et que le contrôle soit réalisé en conformité avec les prescriptions du règlement intérieur ; que l'article 3 du règlement intérieur est ainsi rédigé : ''l'état d'imprégnation alcoolique d'un salarié présente des dangers pour lui-même et pour les tiers. En conséquence, les salariés appartenant aux catégories suivantes pourront, dans l'exercice de leur contrat de travail, faire l'objet d'un contrôle d'alcoolémie dès lors que leur comportement donnera à penser qu'ils se trouvent en état d'imprégnation alcoolique, et qu'ils présentent un risque pour eux-mêmes et leur environnement de travail : - personnels des districts affectés aux activités viabilité, sécurité, parc et bâtiments ; - électroniciens ; - personnels d'encadrement ; - autre personnels lorsqu'ils utilisent un véhicule par nécessité de service. Les modalités du contrôle d'alcoolémie seront les suivantes : il sera réalisé par l'encadrement, en présence d'une tierce personne appartenant au personnel de la société ; il s'effectuera à l'aide d'appareils de type alcootest, calibrés au taux réglementaire en matière de conduite de véhicules ; en cas de contrôle positif, l'agent concerné se verra renvoyé, et si nécessaire raccompagné, à son domicile ; un bon de sortie sera établi à cette occasion ; les heures non travaillées ne seront pas rémunérées, mais pourront faire l'objet d'une récupération ultérieure'' ; que la SA APRR s'est également pourvue ¿'d'une charte du district de Dijon concernant la consommation d'alcool sur les lieux des travail'' ; que les parties ne contestent pas que cette charte soit applicable aux faits de l'espèce, quand bien même ils ne sont pas survenus en Côte d'Or ; que cette charte comporte notamment une annexe 2 intitulée ¿'Réagir face aux situation d'alcoolisme aigu et occasionnel'' ; que le paragraphe 3b de ce document est libellé en ces termes : ¿'il n'a pas conscience de son état, la situation est découverte : soit par un collègue ou subordonné qui prévient alors la hiérarchie compétente, soit par la hiérarchie ou le cadre d'astreinte. S'il existe un danger pour lui-même ou pour des tiers, le salarié peut être invité à se soumettre à l'alcootest. Si le test se révèle positif, la hiérarchie ne le laisse plus travailler. Il signe un bon de sortie. La hiérarchie le fait raccompagner par deux personnes si nécessaire. L'alcootest a pour objet de faire cesser une situation dangereuse et non de faire constater une faute. Si l'alcootest ne peut être utilisé (refus de l'agent), la hiérarchie fait appel aux services spécialisés (médecins de garde, SAMU, pompiers) qui sont seuls habilités à constater si l'agent est physiquement capable d'effectuer son travail ou non. Dans tous les cas, suite à un événement de ce type, dans les jours suivants et le plus tôt possible, un entretien de fond devra avoir lieu entre l'agent et sa hiérarchie directe. Cet entretien aura entre autre pour objectif de définir les mesures en cas de récidive. De plus l'agent sera prévenu qu'en cas de récidive il sera orienté vers le médecin du travail avec un courrier circonstancié'' ;qu'il résulte des dispositions combinées des deux textes qui viennent d'être cités que le contrôle d'alcoolémie a pour objet de faire cesser une situation dangereuse et non de faire constater une faute et que des ¿¿mesures'' autres que celles prévues à la charte (une sanction) ne sont envisagées qu'en cas de récidive » ;

1°) alors que, d'une part, une charte d'entreprise est dépourvue en principe de toute valeur juridique ; qu'elle ne saurait, dès lors, constituer une limitation au pouvoir disciplinaire de l'employeur sans que son caractère contraignant n'ait été au préalable établi ; qu'en l'espèce, le règlement intérieur prévoyait la possibilité pour l'employeur de licencier pour faute grave un salarié affecté à la conduite de véhicules en cas de contrôle d'alcoolémie positif ; que pour dire le licenciement du salarié dénué de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a estimé, sur la base d'une simple charte d'entreprise, que la société APRR s'était interdit d'utiliser les résultats d'un contrôle d'alcoolémie pour établir une faute d'un salarié ; qu'en statuant ainsi, sans établir le caractère contraignant des dispositions de ladite charte au regard des dispositions contraires du règlement intérieur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1321-1 du code du travail ;

2°) alors, d'autre part, qu'en tout état de cause, les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales ; qu'en l'espèce, les dispositions de la charte invoquées par le salarié s'appliquaient généralement à tous les salariés de l'entreprise, sans distinction de leurs fonctions dans un but de prévention générale, tandis que celles du règlement intérieur visaient spécialement les salariés conduisant un véhicule ; que pour déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement d'un salarié dont les fonctions comprenaient la conduire d'un véhicule sur le réseau autoroutier ouvert à la circulation publique, la cour d'appel a privilégié l'application des dispositions de la charte sur celle des dispositions du règlement intérieur, violant ainsi derechef l'article L. 1321-1 du code du travail et le principe susvisé.

Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils pour M. X....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté le salarié de ses demandes tendant à voir ordonner la nullité de son licenciement, ordonner sa réintégration avec tous les droits attachés au contrat de travail et condamner l'employeur à lui payer une indemnité forfaitaire égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir depuis la date de son éviction le 24 août 2011 jusqu'à la date de la réintégration, sur la base de la moyenne mensuelle qu'il avait touché au 31 août 2011 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE outre certains cas envisagés par la loi où le licenciement prononcé est nul, dites nullités textuelles, la jurisprudence juge nuls, bien qu'aucun texte ne le prévoit spécifiquement, les licenciements intervenus en violation d'une liberté fondamentale, dites nullités virtuelles ; qu'en l'espèce, l'intimé soutient que la nullité de son licenciement doit être prononcée, à raison d'une double violation d'une liberté fondamentale : - le prononcé du licenciement sur la base d'un règlement intérieur ne permettant pas de constater une faute, - le non-respect des dispositions relatives au contrôle de l'alcoolémie prévues par ce règlement ; mais qu'à la supposer établie, l'illicéité du règlement intérieur ne peut induire la nullité du licenciement que dans la mesure où elle est la conséquence de la violation d'une liberté fondamentale ; qu'il incombe à celui qui se prévaut de la nullité de caractériser l'atteinte portée à ses droits et d'établir qu'elle s'est réalisée dans son cas ; que, pour le salarié, une atteinte de ses droits fondamentaux résulte de ce que : - d'une part, le contrôle d'alcoolémie prévu par le règlement intérieur ne pouvait être utilisé dans un but disciplinaire, une telle utilisation étant contraire à la charte alcool en vigueur au sein de l'entreprise ¿ d'autre part, les dispositions du règlement intérieur relatives aux modalités du contrôle, n'ont pas été respectées dans son cas ; que cependant, le détournement d'usage d'une possibilité de contrôle prévue par le règlement intérieur enlève tout caractère probant aux constatations qu'elle a permis d'effectuer, sans entacher le licenciement de nullité, en absence de violation de toute liberté fondamentale ; qu'il en est a fortiori de même des vices de procédure affectant le contrôle lui-même ; qu'aussi, les premiers juges doivent-ils être approuvés d'avoir débouté Jean-Luc X... de sa demande de nullité de licenciement et subséquemment de sa demande de réintégration ;

AUX MOTIFS ADOPTES QUE M. X... réclame la nullité du licenciement au double motif que l'employeur ne pouvait se fonder sur le règlement intérieur pour faire constater une faute et que les dispositions de contrôle prévues par le règlement intérieur n'ont pas été respectées ; que M. X... a été licencié pour cause d'alcoolémie constatée après sa prise de poste ; que M. X... n'était pas un salarié protégé ; qu'ainsi, tous les arguments fournis par celui-ci autour du règlement intérieur, de sa licite et de son application ne peuvent faire opposition à la réalité de ce licenciement qu'il soit justifié ou sans cause réelle et sérieuse ; qu'ainsi M. X... sera débouté de sa demande d'annulation de licenciement ;

ALORS QUE le licenciement prononcé en violation d'une liberté fondamentale est nul ; que le fait de soumettre un salarié à un contrôle d'alcoolémie en dehors du lieu de travail, en méconnaissance des modalités prescrites par le règlement intérieur de l'entreprise, caractérise la violation d'une liberté fondamentale ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1 et L. 1321-3, 2° du code du travail.

ECLI:FR:CCASS:2015:SO00572
Retourner en haut de la page