Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 3 juillet 2013, 10-27.043, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen :

Vu les articles 2270-1 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, dans leur rédaction alors applicable, ensemble les articles L. 211-4 et L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... alias Y..., qui avait participé, le 18 septembre 1979, en tant que soliste, à une séance d'enregistrement de l'oeuvre musicale " Just because of you ", chanson destinée à intégrer la bande sonore du film " Les bronzés font du ski ", et avait perçu à ce titre une rémunération de 2 000 francs, a, le 13 novembre 2003, assigné la société Trinacra music, devenue Trinacra (la société) en reconnaissance et indemnisation de ses droits d'artiste-interprète méconnus, son nom n'étant jamais apparu sur le générique ni sur les pochettes du disque ultérieurement édité, et aucune part aux produits de l'exploitation ne lui ayant jamais été proposée ; que, par arrêt mixte, la cour d'appel a accueilli sa demande ;

Attendu que, pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la société à l'action engagée par M. X..., l'arrêt retient que, selon l'article L. 211-4-1° du code de la propriété intellectuelle, la durée des droits patrimoniaux est de cinquante années à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation pour les artistes-interprètes, qu'en application de l'article L. 212-1 de ce même code, le droit moral de l'artiste-interprète au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation, attaché à sa personne, est inaliénable et imprescriptible, que M. X... ayant la qualité d'artiste-interprète, les délais de prescription de dix ans prévus aux articles L. 110-4 du code de commerce et 2270-1 du code civil dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 ne lui sont pas applicables ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, si le droit moral de l'artiste-interprète est imprescriptible et son droit patrimonial ouvert pendant cinquante ans, les actions en paiement des créances nées des atteintes qui sont portées à l'un ou à l'autre sont soumises à la prescription du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 septembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Trinacra music

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à l'action engagée par M. X..., d'avoir dit que la société Trinacra avait porté atteinte au droit moral et aux droits patrimoniaux de M. X... sur sa prestation, d'avoir dit que ce dernier était en droit d'obtenir réparation de ses préjudices et d'avoir en conséquence condamné la société Trinacra à lui payer la somme provisionnelle de 15. 000 euros,

AUX MOTIFS QUE, selon l'article L. 211-4-1° du code de la propriété intellectuelle, la durée des droits patrimoniaux est de cinquante années à compter du 1er janvier de l'année civile suivant celle de l'interprétation pour les artistes-interprètes ; qu'en application de l'article L. 212-1 de ce même code, le droit moral de l'artiste-interprète au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation, attaché à sa personne, est inaliénable et imprescriptible ; que M. X... ayant la qualité d'artiste-interprète, les délais de prescription de dix ans prévus aux articles L. 110-4 du code de commerce et 2270-1 du code civil dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 ne lui sont pas applicables ;

ALORS QU'il résulte des articles 2270-1 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, que l'action civile fondée sur l'atteinte à un droit voisin du droit d'auteur se prescrit par dix ans ; qu'en retenant, pour affirmer que l'action engagée par M. X... n'était pas prescrite, que la durée du droit exclusif d'exploitation de l'artiste-interprète était de cinquante ans et que son droit moral était imprescriptible, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé les textes précités par refus d'application, ensemble les articles L. 211-4 et L. 212-2 du code de la propriété intellectuelle par fausse application.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Trinacra avait porté atteinte au droit moral et aux droits patrimoniaux de M. X..., d'avoir dit que ce dernier était en droit d'obtenir réparation de ses préjudices et d'avoir en conséquence condamné la société Trinacra à lui payer la somme provisionnelle de 15. 000 euros,

AUX MOTIFS QUE, selon l'article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle, l'artiste-interprète, contrairement à l'artiste de complément, est la personne qui, notamment, représente, joue ou exécute une oeuvre littéraire ou artistique ; que M. X... ayant assuré l'interprétation de la chanson « Just because of you » est, dès lors, en droit de prétendre à la qualité d'artiste-interprète ; que, cependant, la société Trinacra soutient que la qualité d'artiste-interprète doit néanmoins être refusée à M. X... aux motifs, d'une part, que cette qualité lui a été refusée par l'A. D. A. M. I. et, d'autre part, parce qu'ayant signé, à l'occasion de l'enregistrement, une feuille de présence de la S. P. E. D. I. D. A. M., M. X... ne saurait revendiquer d'autres droits que ceux d'un artiste d'ensemble ; que, toutefois, les moyens ainsi développés par la société Trinacra ne sont pas fondés dès lors que, d'une part, le refus de l'A. D. A. M. I. de reconnaître le statut d'artiste-interprète ne saurait priver l'artiste qui le revendique d'en bénéficier dès lors qu'il remplit les conditions prévues par l'article L. 212-1 susvisé et, d'autre part, qu'il n'apparaît nullement que M. X... ait été mentionné sur la feuille de présence qu'il a signée lors de l'enregistrement du 8 septembre 1979 comme étant choriste, artiste de complément ; que si M. X... s'était adressé à la S. P. E. D. I. D. A. M., c'était uniquement pour assurer en toute hypothèse la préservation de ses droits et nullement pour se voir reconnaître le statut d'artiste de complément ; qu'il s'ensuit que M. X... a la qualité d'artiste-interprète de la chanson « Just because of you », bande originale du film « Les bronzés font du ski », enregistrée le 8 septembre 1979 ; (¿) qu'en vertu de l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, l'existence d'un contrat de travail conclu avec un artiste-interprète n'emporte pas dérogation à la jouissance par celui-ci de ses droits de propriété intellectuelle ; que l'autorisation de l'artisteinterprète, qui doit être expresse, est exigée pour chaque utilisation de sa prestation ; qu'en l'absence de tout élément de nature à établir l'existence d'une autorisation expresse de M. X... à cet égard, celui-ci est bien fondé à se plaindre d'une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle résultant de ce que la société Trinacra a assuré dans les années suivant l'enregistrement du 8 septembre 1979 l'exploitation de la chanson « Just because of you », bande originale du film « Les bronzés font du ski » ;

1°/ ALORS QUE la société Trinacra n'a jamais contesté à M. X... la qualité d'artiste-interprète et n'a jamais fait valoir qu'il avait participé à la séance d'enregistrement litigieuse en tant qu'artiste de complément ; que le débat ne portait que sur le point de savoir si M. X... avait enregistré sa prestation en tant que soliste ou en tant que choriste (conclusions récapitulatives n° 3 de la société exposante, p. 13, 15 et 22) ; qu'en retenant, pour affirmer qu'il aurait été porté atteinte au droit moral et aux droits patrimoniaux de M. X... sur sa prestation, qu'il se serait vu dénier par la société Trinacra la qualité d'artiste-interprète, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ ALORS QUE l'exigence d'une autorisation écrite de l'artiste-interprète pour la fixation, la reproduction et la communication au public de sa prestation, instaurée par la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985, d'application immédiate, n'a pris effet que le 1er janvier 1986, date d'entrée en vigueur de la loi ; qu'en retenant, pour affirmer que la société Trinacra avait porté atteinte aux droits patrimoniaux de M. X..., qu'il n'était pas établi que ce dernier ait expressément autorisé l'exploitation de sa prestation enregistrée en 1979, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, tel qu'issu de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985.

ECLI:FR:CCASS:2013:C100718
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