Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 novembre 2009, 08-41.241, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1234 1, L. 1234 5 et L. 1234 9 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 15 septembre 1982 par la société Groupe Volkswagen France en qualité de secrétaire, a été licenciée pour faute grave le 9 juillet 2003 après une mise à pied à titre conservatoire ;

Attendu que pour juger que le licenciement de Mme X... reposait sur une faute grave, l'arrêt, après avoir constaté que la salariée avait diffusé dans l'entreprise et en dehors de celle-ci deux courriers électroniques, énonce que les propos contenus dans ces documents étaient révélateurs d'une volonté manifeste de dénigrement et d'une intention de nuire à l'employeur dépassant largement la liberté d'expression reconnue à tout salarié au sein de l'entreprise ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'en la circonstance, le comportement isolé de la salariée, travailleur handicapé, qui justifiait d'une ancienneté de vingt années, n'était pas de nature, à lui seul, à rendre impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 juin 2007, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne la société Groupe Volkswagen aux dépens ;

Vu l'article 37 du code de procédure civile et 75 de la loi du 10 juillet 1991 condamne la société Groupe Volkswagen à payer à la SCP Masse Dessen et Thouvenin la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit novembre deux mille neuf.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour Mme X....

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame Dominique X... de ses demandes en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

AUX MOTIFS QUE Madame Dominique X..., engagée le 15 septembre 1982 en qualité de secrétaire par le groupe VOLKSWAGEN FRANCE, a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 juillet 2003 par lettre du 25 juin précédent, mise à pied à titre conservatoire, puis licenciée pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 9 juillet 2003, motivée comme suit : « Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave. En effet, le 25 juin 2003 à 17h19 puis à 17h47, vous avez délibérément rédigé et envoyé deux courriers électroniques sur l'adresse « Groupe Volkswagen France ». Les destinataires de ces courriers ont ainsi été : - en interne, l'ensemble du personnel du groupe Volkswagen France S.A. dont le directoire, soit plus de 650 collaborateurs implantés sur l'ensemble du territoire français, les intérimaires et les stagiaires du groupe, - en externe, la société indépendante « Volkswagen transport » et des collaborateurs de la société « gedas France SES », société prestataire de service. Le premier de ces courriers met gravement en cause votre supérieur hiérarchique direct ainsi que la direction de la société dans son ensemble par l'emploi de termes à caractère injurieux et diffamatoire. Cette conduite met en cause la bonne marche du service. Au cours de notre entretien du 3 juillet 2003, vous avez reconnu avoir envoyé vous même ces emails et les explications recueillies auprès de vous ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet. Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute. Compte tenu de la gravité de celle-ci, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible… » ; que contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplis de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, Madame X... a saisi le Conseil de prud'hommes de SOISSONS, qui, statuant par jugement du 10 mars 2005, dont appel, s'est prononcé comme indiqué ci-dessus ; que la faute grave autorisant le licenciement sans indemnité du salarié est constitué par un fait ou un ensemble de faits rendant impossible pendant la durée limitée du préavis la poursuite des relations de travail ; que la preuve de la faute grave incombe à l'employeur et à lui seul ; que le fait pour un salarié de diffuser au sein de l'entreprise et auprès des partenaires et prestataires de service de celle-ci un courrier électronique à destination de l'ensemble des personnels concernés proférant de graves accusations à l'égard de sa hiérarchie et de son employeur, dans des termes vexatoires emportant dénigrement de ceux-ci revêt en principe et sauf circonstances justificatives particulières, les caractères d'une faute grave ; que l'email daté du 25 juin 2003 à 17h17 dont ni le contenu, ni l'envoi effectué en « importance haute » ne sont contestés par la salariée, est libellé comme suit : « Bonjour à toutes et à tous, Je me présente. Je m'appelle Dominique X.... Je fais partie de la famille GVF depuis 21 ans. J'ai 50 ans et élève seule mon enfant. Je suis reconnue travailleur handicap visuel et pense avoir subi, durant deux ans, un harcèlement de mon supérieur N+1 qui me fixait des quotas sur ce que je ne voyais pas. Croyez -moi deux ans d'enfer quotidien, c'est très long. Je voulais avant de quitter la société vous faire part de mes souffrances. Je vais recevoir aujourd'hui ou demain une lettre de licenciement pour faute (à ce jour, je ne connais toujours pas les griefs que l'on me reproche). Je sais, j'ai dénoncé des cadres et j'en paie aujourd'hui le prix fort (2 ans de chômage et 8 ans de RMI, sans compter la retraite…). Mais sachez toutes et tous que pour moi j'ai gagné mon combat car j'ai gardé ma dignité humaine. Je vous remercie de m'avoir lue et j'adresse un très grand merci à tous ceux qui m'ont soutenue moralement » ; que celui expédié aux mêmes destinataires quelques minutes plus tard, à 17h47, est quant à lui rédigé de la manière suivante : « Rebonjour, Je vous apporte une précision. Je quitte momentanément la société pour des raisons médicales et ne démissionne en aucun cas » ; que par leur contenu, les expressions employées et les modalités de leur diffusion interne et externe à l'ensemble des personnels concernés (755 personnes) ces courriers électroniques sont révélateurs d'une volonté manifeste de dénigrement et d'une intention de nuire à l'employeur dépassant largement la liberté d'expression reconnue à tout salarié au sein de l'entreprise ; qu'ils ne peuvent davantage trouver de justification dans le comportement de l'employeur auquel aucune faute de nature à expliquer ou à atténuer la portée de l'initiative prise par la salariée ne peut être reprochée ; qu'en effet, malgré son handicap visuel, la salariée a été systématiquement déclarée apte à son poste de travail à l'issue des examens régulièrement pratiqués par le médecin du travail ; que son poste de travail a toutefois été aménagé pour tenir compte de ses difficultés visuelles, notamment par l'attribution d'une loupe et par l'assignation de quotas de saisies sur ordinateur largement inférieurs à ceux de ses collègues de travail ; que la possibilité d'obtenir une mutation dans un autre service ou un autre poste, en fonction des postes proposés en interne, lui a été laissée ouverte, étant observé qu'en l'état des avis d'inaptitude délivrés par la médecine du travail, aucune obligation de mutation ne s'imposait à l'employeur ; que les procédures disciplinaires initiées à l'encontre de la salariée en novembre 2002 et avril 2003 pour des faits en rapport avec l'exécution de ses tâches, procédures d'ailleurs demeurées sans suite, ne peuvent en l'état des pièces du dossier être considérées comme abusives ou comme procédant d'une volonté de déstabilisation de l'intéressée susceptible de caractériser un harcèlement ; que si la salariée était en droit de penser que son handicap visuel n'avait pas été suffisamment pris en compte par son employeur au regard des difficultés qu'elle ressentait dans l'exécution des tâches relevant de son emploi et si elle a pu éprouver un certain ressentiment à l'absence de suite donnée à ses demandes de mutation, ces circonstances n'apparaissent pas en l'espèce de nature à justifier son comportement ou à atténuer la gravité des faits invoqués dans la lettre de notification du licenciement, lesquels n'autorisaient plus, sans risque pour l'entreprise, la poursuite des relations contractuelles, même pendant la durée limitée du préavis ; que le jugement entrepris sera à la faveur de ces motifs infirmé et le licenciement de Madame X... déclaré justifié pour faute grave, l'intéressée devant par voie de conséquence être déboutée de toutes ses prétentions, y compris de sa demande indemnitaire présentée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

ALORS QUE la lettre de licenciement fixe les termes du litige quant aux motifs qui y sont énoncés ; que dans la lettre lui notifiant son licenciement, la société Groupe Volkswagen France reprochait à Madame Dominique X... d'avoir employé, dans un courrier électronique du 25 juin 2003, des termes à caractère injurieux et diffamatoire ; qu'en jugeant justifié le licenciement pour faute grave de Madame Dominique X... sans aucunement se prononcer sur le caractère prétendument injurieux et diffamatoire du courrier électronique litigieux, la Cour d'appel a violé l'article L.122-14-2 du Code du travail alors en vigueur, actuellement L.1232-6 du Code du travail.

ALORS en outre QUE le salarié jouit en principe dans et à l'extérieur de l'entreprise de sa liberté d'expression, sous réserve de l'abus de droit ; que cette liberté ne peut subir de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; que le courrier électronique qu'il était reproché à la salariée d'avoir expédié à l'annonce de son licenciement, en remerciement aux personnes qui l'avaient soutenue, ne révélait aucun abus de sa liberté d'expression, et à tout le moins ne présentaient pas le caractère de gravité nécessitant son licenciement sans préavis ; qu'en jugeant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article L.120-2 du Code du travail alors en vigueur, actuellement article L.1121-1 du Code du travail.

ALORS en toute hypothèse QUE le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; que la salariée soutenait dans ses écritures d'appel que son supérieur hiérarchique lui avait assigné des tâches ne relevant pas de ses fonctions et incompatibles avec son handicap, lui avait assigné des quotas irréalisables, que la mutation qu'elle avait demandé à plusieurs reprises lui avait été refusée et qu'elle avait en outre fait l'objet de plusieurs procédures disciplinaires injustifiées ; que la Cour d'appel a effectivement constaté que « la salariée était en droit de penser que son handicap visuel n'avait pas été suffisamment pris en compte par son employeur au regard des difficultés qu'elle ressentait dans l'exécution des tâches relevant de son emploi et si elle a pu éprouver un certain ressentiment à l'absence de suite donnée à ses demandes de mutation » ; qu'en jugeant néanmoins le licenciement de la salariée justifié, la Cour d'appel a violé les articles L.122-6, L.122-8, L.122-9, L.122-14-3 et L.122-14-4 du Code du travail alors en vigueur, actuellement articles L.1234-1, L.1234-5, L.1234-9, L.1232-1, L.1235-1 et L.1235-3 du Code du travail, ensemble l'article 1134 du Code civil.

ET ALORS surtout QUE la faute grave s'apprécie in concreto ; qu'en ne tenant aucun compte des difficultés de la salariée, travailleuse handicapée, ayant 21 ans d'ancienneté, ni du fait qu'elle avait du être placée dès le lendemain de l'expédition de la lettre, en arrêt de travail pour dépression, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard desdites dispositions.

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