Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 9 novembre 2009, 08-42.806, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1121 1 et L. 1232 1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 30 novembre 1995 comme médecin psychiatre à temps partiel par l'association 3AH qui gérait des établissements médico sociaux et que son contrat de travail a été transféré en 2004 à l'association APAJH 34 (l'association), qui l'a licencié pour faute grave le 28 mars 2006 ;

Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de toutes ses demandes, l'arrêt retient qu'il a refusé sans motif légitime de remplir ses fonctions et qu'il a divulgué auprès des autorités de tutelle et des délégués du personnel, des propos tendancieux et des accusations infondées stigmatisant l'entrave apportée à l'exercice de ses fonctions ou les négligences de l'association dans la prise en charge des personnes handicapées ;

Qu'en statuant ainsi alors d'une part, qu'il résulte de l'article R. 4127 47 du code de la santé publique qu'hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles et qu'au demeurant il résultait de ses propres constatations que le Dr X..., qui avait refusé le 16 février 2006 au matin de renouveler les ordonnances des résidents, était revenu sur ce refus dans l'après-midi, d'autre part que le seul fait pour l'intéressé d'alerter les autorités de tutelle et les délégués du personnel sur les difficultés rencontrées dans l'exercice de sa profession, par une lettre qui ne contenait pas de termes injurieux, excessifs ou diffamatoires, n'était pas constitutif d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression reconnue à tout salarié, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé une faute grave rendant impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a condamné l'APAJH 34 à payer à M. X... une somme à titre de rappel de salaire et congés payés afférents, l'arrêt rendu le 2 avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne l'association APAJH 34 aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'association APAJH 34 à payer la somme de 2 500 euros à M. X... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour M. X....

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur X... de ses demandes de paiement, par l'Association APAJH 34, de sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommagesintérêts pour licenciement vexatoire, d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, de salaire pour la période de mise à pied conservatoire et de congés payés afférents, et de l'AVOIR condamné au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE Monsieur X..., médecin psychiatre travaillant le jeudi au sein de l'établissement, était en droit, dans l'exercice de sa liberté d'expression, d'attirer l'attention de l'APAJH sur les difficultés qu'il allait rencontrer du fait du déplacement de son bureau au 2ème étage du bâtiment administratif, situé à 150 mètres de l'unité « la rotonde », l'éloignant ainsi de l'infirmerie, du bureau de la psychologue et de celui de la responsable de service ; pour autant, il n'ignorait pas le caractère momentané de son déménagement, nécessité par les travaux de réaménagement du bâtiment ; de plus, le bureau mis provisoirement à sa disposition, dans lequel il avait emménagé le 9 février 2006, s'avérait être fonctionnel et équipé du matériel nécessaire, ainsi qu'il ressort du constat d'huissier de justice produit aux débats ; que, dans ce contexte, il ne pouvait prétendre, dans son courrier du 10 février 2006, que son déménagement constituait, de la part de l'employeur, un agissement de harcèlement moral et l'empêchait d'assumer ses fonctions au point de l'amener, d'une part, à dégager toute responsabilité en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'exercer dans les règles de l'art et, d'autre part, à dénoncer l'ensemble des traitements prescrits aux malades, estimant ne plus être en mesure de s'assurer de leurs effets ou de l'apparition d'éventuels effets secondaires ;

QUE dans le courrier litigieux, Monsieur X... a donc affirmé, de façon tendancieuse, que l'APAJH, en lui imposant un déménagement de son bureau, entravait l'exercice de sa profession et le fait d'y dénoncer les traitements prescrits aux patients, dont il se disait dans l'impossibilité d'assurer le suivi, tendait également à en imputer la responsabilité à l'employeur, au mépris de ses propres obligations déontologiques ; qu'il ressort à cet égard du compte-rendu établi le 16 février 2006 par Madame Y..., chef de service, que lors de la réunion tenue à 9 heures 30 ce jour-là, Monsieur X... a refusé de signer les ordonnances de renouvellement des traitements, déclarant ne plus être en mesure d'assurer le suivi des résidents et les effets des traitements prescrits ; que même s'il a finalement accepté, dans l'après-midi, de signer les ordonnances préparées par l'infirmière, son attitude n'en traduit pas moins un refus injustifié de sa part de remplir ses fonctions, alors qu'il était tenu, en tant que médecin, d'assurer la continuité des soins ;

QU'en diffusant ce courrier auprès de diverses autorités (médecin inspecteur de la DDASS, directeur de la solidarité départementale, directeur départemental de l'action sanitaire et sociale, Conseil de l'Ordre des médecins, inspection du travail …), en même temps que celui du 1er février 2006 dans lequel il dénonçait une mise à l'écart dangereuse de la dimension psychiatrique de l'accompagnement des résidents, citant notamment le licenciement d'une infirmière, la disparition inexpliquée d'un chef de service et le décès récent par suicide de deux résidents, Monsieur X... a ainsi colporté à l'extérieur de l'établissement l'idée selon laquelle l'APAJH négligeait gravement la prise en charge thérapeutique des personnes handicapées, ce qui constituait une accusation particulièrement lourde de conséquences dans le contexte de la reprise par l'association de la gestion des établissements médicosociaux du Domaine de La Bruyère ;

QU'il ne peut prétendre que son courrier du 1er février 2006 n'a été envoyé qu'à l'APAJH, alors qu'est communiquée une lettre du directeur des établissements et prestations pour personnes handicapées du département de l'Hérault, organe de tutelle, adressée au directeur général de l'APAJH, faisant précisément état de la transmission de ce courrier ;

QU'enfin, la diffusion aux délégués du personnel du courrier du 10 février 2006 dans lequel Monsieur X... reprochait à l'employeur d'entraver l'exercice de ses fonctions de psychiatre, tout en lui annonçant qu'il dénonçait les traitements prescrits aux malades, était à l'évidence susceptible de provoquer des interrogations et des inquiétudes chez le personnel éducatif et soignant, propres à perturber le fonctionnement de l'établissement ; qu'une telle initiative est d'autant plus dommageable qu'elle émane d'un cadre, tenu à une obligation de réserve ;

QU'ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement, il convient de considérer que le refus injustifié de Monsieur X... de remplir ses fonctions de médecin et la divulgation, notamment auprès des autorités de tutelle et des délégués du personnel, de propos tendancieux et d'accusations infondées sur l'entrave apportée à l'exercice de ses fonctions ou les négligences de l'APAJH dans la prise en charge thérapeutique des personnes handicapées, constituent, malgré l'ancienneté du salarié et l'absence de toute sanction disciplinaire antérieure, des agissements suffisamment graves pour justifier son licenciement immédiat ;

ET AUX MOTIFS PARTIELLEMENT ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE Monsieur X... précise, par courrier en date du 10 février 2006 adressé à Monsieur Z..., directeur de l'APAJH 34, que le déménagement de son bureau ne lui permet plus d'exercer ses fonctions de médecin ; que Monsieur X... précise également, dans son courrier du 10 février 2006, qu'il dénonce l'ensemble des traitements prescrits par ses soins, n'étant plus en mesure de s'assurer de leurs effets ou de l'apparition d'effets secondaires ; qu'il apparaît clairement que les travaux réalisés s'inscrivaient dans une démarche d'intérêt général et de restructuration du « Domaine de La Bruyère » et ce, pour la mise en conformité des établissements avec leurs agréments administratifs ; que le déménagement du bureau de Monsieur X... à l'étage du bâtiment principal de la direction administrative de l'APAJH 34 s'est déroulé dans de bonnes conditions, comme le démontre le constat d'huissier de Maître A... en date du 9 février 2006 ; que ce constat démontre également que le nouveau bureau de Monsieur X... mis provisoirement à sa disposition dispose de tout le matériel nécessaire pour assurer sa mission dans de bonnes conditions ; que Monsieur X... ne travaillant qu'une journée par semaine, ce déménagement momentané ne peut constituer une entrave à l'exercice de ses fonctions ; que l'article R. 4127-47 du Code de la santé publique précise que « quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée » ; que l'article L. 230-3 du Code du travail prévoit qu'« il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail » ; que dans le constat de Maître A..., il apparaît que Monsieur X... s'oppose à ce déménagement, refusant ainsi les directives de son employeur ; que les attestations de Madame Y... Valérie et Mademoiselle C...Stéphanie démontrent clairement le refus de Monsieur X... d'accepter l'autorité de son employeur ;

ALORS, D'UNE PART, QU'en s'abstenant de s'expliquer sur la mise à l'écart de Monsieur X... des réunions d'équipes, à laquelle il imputait, conjointement avec le déménagement de son bureau, l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'assurer un suivi psychiatrique des résidents conforme aux règles de l'art, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 120-2 devenu L. 1121-1 et de l'article L. 122-14-3 devenu L. 1232-1 du Code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE les directions départementales des affaires sanitaires et sociales ont pour mission d'assurer la tutelle et le contrôle des établissements sanitaires, médicaux et sociaux, et que le directeur régional des affaires sanitaires et sociales coordonne les actions de la direction régionale et des directions départementales des affaires sanitaires et sociales des départements compris dans la région ; que l'Ordre des médecins veille à l'observation par tous ses membres des devoirs professionnels ainsi que des règles édictées par le Code de déontologie, et que les courriers adressés à ces différentes instances sont couverts par le secret professionnel ; que l'inspecteur du travail a pour mission notamment d'assurer le respect de la législation du travail et d'assurer un rôle de conseil et de conciliation en vue de la prévention et du règlement des conflits ; qu'enfin, les délégués du personnel ont pour mission de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaries, à l'application du Code du travail et des autres dispositions légales concernant la protection sociale, la santé et la sécurité ainsi que les conventions et accords applicables dans l'entreprise ; qu'en tenant pour fautif le fait pour Monsieur X... d'avoir diffusé auprès du médecin inspecteur de la DDASS, du directeur de la sécurité départementale, du directeur départemental de l'action sanitaire et sociale, du Conseil de l'Ordre des médecins, de l'inspecteur du travail et des délégués du personnel des courriers dans lesquels il dénonçait une mise à l'écart dangereuse de la dimension psychiatrique de l'accompagnement des résidents et les entraves qu'il estimait subir à l'exercice de sa profession, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 120-2 et L. 122-14-3 devenus L. 1121-1 et L. 1232-1 du Code du travail ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE les principes d'indépendance professionnelle et morale des médecins et de liberté de prescription s'appliquent aux médecins salariés ; qu'en estimant que le refus du Docteur X..., sur le fondement de considérations relevant d'une appréciation d'ordre médical, de renouveler les ordonnances de résidents qui lui étaient présentées, refus sur lequel il est du reste revenu l'après-midi même, constituait un acte d'insubordination constituant une faute professionnelle, la Cour d'appel a violé l'article L. 122-14-3 devenu L. 1232-1 du Code du travail ainsi que l'article L. 162-2 du Code de la sécurité sociale ;

ET ALORS, ENFIN, QUE si la continuité des soins aux malades doit être assurée, un médecin a le droit de refuser ses soins pour raisons professionnelles ou personnelles hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité ; qu'en tenant pour fautif le refus du Docteur X..., levé l'après midi même, de signer les renouvellements de prescriptions de résidents, en ce qu'il portait atteinte à la continuité des soins, sans qu'il résulte de ses énonciations qu'il y ait eu urgence, ou que le Docteur X... ait manqué à ses devoirs d'humanité, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 4217-47 du Code de la santé publique.

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