Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 17 février 2009, 08-85.308, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


- X... Sabrina, épouse Y...,


contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 27 juin 2008, qui, pour dénonciation calomnieuse, l'a condamnée à deux mois d'emprisonnement avec sursis, 500 euros d'amende, a ordonné une mesure d'affichage et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 §§ 1 et 3 d de la Convention européenne des droits de l'homme, 513 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de procéder à l'audition de quatre témoins régulièrement cités par Sabrina X... ;

"aux motifs que le dossier comporte une attestation établie par Nathalie Z..., le 5 juillet 2005, une attestation établie le même jour par Annette A..., une attestation le 3 juillet 2005 par Marie-Thérèse B..., ainsi que de nombreuses autres attestations produites par Sabrina X... critiquant les méthodes de Bernadette C... ; que l'audition des témoins n'est pas nécessaire tandis que la cour d'appel dispose déjà de nombreux documents tous concordants produits par Sabrina X... pour assurer efficacement sa défense, conformément aux exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"1°) alors que, selon l'article 513, alinéa 2, du code de procédure pénale, devant la cour d'appel, les témoins cités par le prévenu sont entendus suivant les règles prévues aux articles 435 et 457 dudit code, le ministère public pouvant s'y opposer si ces témoins ont été entendus par le tribunal ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait refuser l'audition des témoins cités par la prévenue, lesquels n'avaient pas déjà été entendus par le tribunal correctionnel et la cour n'ayant pas constaté que le ministère public se soit opposé à leur audition ;

"2°) alors qu'à tout le moins, dès lors que la prévenue sollicitait l'audition de témoins à décharge qui n'avaient jamais été entendus par la juridiction pénale, la cour d'appel ne pouvait s'appuyer sur le seul fait que ces témoins avaient établi des attestations se trouvant dans le dossier, alors que leur audition visait à présenter leur version de la situation dans la maison de retraite et également à apprécier la crédibilité des attestations ou pétitions des personnes favorables à la partie civile, retenues par la cour d'appel, sans méconnaître les articles précités ;

"3°) alors qu'enfin, l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en rejetant les demandes d'audition, en se référant à des attestations de personnes qui n'étaient pas celles qui étaient citées par la prévenue, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires, privant ainsi sa décision de base légale" ;

Vu l'article 513, alinéa 2, du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon ce texte, les témoins cités par le prévenu devant la cour d'appel doivent être entendus dans les règles prévues aux articles 435 à 457 du même code, s'ils ne l'ont pas déjà été par le tribunal ;

Attendu que, pour rejeter la demande présentée par Sabrina X... tendant à l'audition de quatre témoins régulièrement cités par elle, l'arrêt énonce que trois d'entre eux ont fourni des attestations et que l'audition des témoins n'est pas nécessaire, la cour d'appel disposant de nombreux documents, tous concordants, produits par la prévenue pour assurer sa défense ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucun témoin n'avait été entendu par les premiers juges, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Sabrina X... coupable de dénonciation calomnieuse, l'a condamnée à deux mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 500 euros, a ordonné l'affichage du jugement, pendant deux mois aux frais de la condamnée sur la porte d'entrée de la maison de retraite de Kunheim à titre de peine complémentaire et, sur l'action civile, a condamné Sabrina X... à verser à Bernadette C... 1 euro de dommages-intérêts et une somme de 700 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

"aux motifs qu'elle a écrit, le 28 mai 2004, une lettre adressée aux maires de communes ; qu'elle était agent de service auprès de la maison de retraite La Roselière depuis trois ans et s'est plainte des agissements de Bernadette C..., qui y était cadre infirmier depuis deux ans ; qu'elle a indiqué que celle-ci convoquait le personnel dans son bureau, l'insultait, le rabaissait ; qu'elle modifiait le planning à sa guise et qu'il n'était pas possible de parler de la situation du directeur qui ne recevait qu'en présence de Bernadette C... ; qu'elle a indiqué que de ce fait elle avait engagé procédure aux prud'hommes ; que le conseil des prud'hommes a été saisi le 27 septembre 2004 et non avant la lettre du 28 mai 2004, contrairement aux indications de Sabrina X... à laquelle l'association de gestion intercommunale de la maison d'accueil des personnes âgées à Kunheim a répondu par une demande de rupture anticipée pour faute grave consistant dans l'envoi du courrier litigieux ; que, sur le défaut de concertation, il a été prouvé, par de nombreux témoignages versés aux débats, que le directeur recevait les personnes sur simple demande, sans rendez-vous préalable et hors la présence de Bernadette C... ; que Sabrina X... a été reçue seule par le directeur de l'établissement ; qu'elle a aussi été reçue lors d'entretiens conjoints par M. D..., directeur de maison de retraite et Bernadette C... pour des mises au point, car la situation s'était détériorée depuis août 2003 et qu'elle a refusé de suivre les formations qualifiantes ; que Sabrina X... a indiqué, à tort, qu'aucune discussion n'était possible dans l'établissement par la faute de Bernadette C..., alors que la possibilité de discuter existait et qu'elle a pu en user, même si elle estime n'avoir pas bénéficié de l'écoute qu'elle souhaitait recevoir, tandis qu'elle s'est abstenue de répondre à M. le maire de Kunheim qui se proposait, le 9 juin 2004, de la recevoir ; que, s'agissant du planning, dix-neuf membres du personnel de la maison de retraite ont indiqué, par lettre du 7 juillet 2004, que Bernadette C... avait le devoir de faire des modifications pour un bon fonctionnement du service en avertissant les personnes concernées ; qu'il est indiqué, sur ce même document, que Bernadette C... n'insulte pas le personnel et ne les déconsidère pas ; que Bernadette C... n'a pas été appréciée à son arrivée par une partie du personnel, dont certains sont partis, mais sans licenciement, en raison de l'introduction d'une culture centrée sur le résidant ; que la pratique des relations humaines est difficile par nature, mais que Sabrina X... ne devait pas reprocher à tort à Bernadette C... de ne pas vouloir l'aider à progresser et d'être opposée à tout dialogue ;
qu'elle ne devait pas, non plus, lui contester le droit d'aménager le planning pour tenir compte des effectifs disponibles ;

"alors que, pour caractériser la dénonciation calomnieuse, il appartient aux juges du fond de constater, d'une part, que des faits précis susceptibles d'avoir des conséquences préjudiciables pour la personne visée dans la dénonciation étaient faux et la connaissance par le prévenu, lors de la dénonciation, de l'inexactitude des faits dénoncés ; que, pour retenir l'infraction, la cour d'appel constate que la dénonciation en cause, en l'espèce, faisait état de faits faux en ce qu'elle affirmait qu'il était impossible de voir le directeur hors la présence de Bernadette C..., que celle-ci modifiait le planning sans aucune concertation avec le personnel, qu'elle insultait ou rabaissait le personnel, et précisait que l'agent avait engagé une procédure prud'homale ; que les deux premiers faits dénoncés, comme l'affirmation de l'engagement d'une procédure prud'homale, n'étaient pas de nature à avoir des conséquences préjudiciables pour Bernadette C..., dès lors, du moins, que la cour d'appel constatait, elle-même, qu'en modifiant les plannings, Bernadette C... agissait dans le cadre de ses fonctions ; que, par ailleurs, s'agissant de l'ensemble des faits visés dans le courrier adressé aux maires, la cour d'appel n'a pas constaté que la prévenue avait eu l'intention de faire état de faits faux, n'excluant pas ainsi que l'agent ait pu effectivement considérer, même de manière excessive, que la façon de parler à ses subordonnés de Bernadette C..., était trop brutale ; que, dès lors, la cour d'appel, faute d'avoir caractérisé la mauvaise foi de la prévenue, a privé sa décision de base légale" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Sabrina X..., agent de service dans une maison de retraite, a été citée par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel du chef de dénonciation calomnieuse à la suite d'un courrier, qu'elle a envoyé le 28 mai 2004 à plusieurs autorités ayant le pouvoir d'y donner suite, et mettant en cause l'attitude et le comportement professionnel de Bernadette C..., cadre infirmier ;

Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable, l'arrêt se borne à relever que la preuve est rapportée que les faits dénoncés sont en partie inexacts ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si Sabrina X... connaissait au moment de la dénonciation la fausseté des faits dénoncés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 27 juin 2008, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Palisse conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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