Cour de cassation, Chambre criminelle, du 8 novembre 1988, 87-91.445, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique, tenue au Palais de Justice, à PARIS, le huit novembre mil neuf cent quatre vingt huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller Jean SIMON, les observations de Me LE GRIEL et de la société civile professionnelle Philippe et Claire WAQUET et Hélène FARGE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général PRADAIN ; Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... André,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AGEN, chambre correctionnelle, en date du 13 novembre 1987, qui, pour complicité d'apologie de crimes de guerre et de délits de collaboration avec l'ennemi, l'a condamné à 2 000 francs d'amende et à des réparations civiles ; Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881, 427 et 593 du Code de procédure pénale, excès de pouvoir, défaut de motifs et manque de base légale ; " en ce que l'arrêt attaqué a confirmé dans toutes ses dispositions le jugement entrepris déclarant X... coupable de complicité d'apologie des crimes de guerre et délits de collaboration avec l'ennemi ; " aux motifs que l'article incriminé constituait un panégyrique de la personne de Philippe Pétain justifiant un aspect de la collaboration du gouvernement de Vichy avec l'Allemagne hitlérienne, que Philippe Pétain a été condamné à mort par arrêt de la Haute Cour de justice du 14 août 1945 pour intelligence avec l'ennemi et que " l'apologie du criminel étant équipollente à l'apologie du crime, le délit reproché à X... est donc constitué, puisque le crime de collaboration avec l'ennemi est, au cas de l'espèce, présenté sous un jour favorable, ou qu'il est de nature à inciter tout lecteur à porter un jugement de valeur morale favorable à la collaboration avec l'ennemi reprochée à Philippe Pétain par une décision de justice définitive " ; " alors que, d'une part, en matière de délit de presse, lorsque l'auteur d'un article est poursuivi, le juge doit prendre en considération l'ensemble du texte de manière à saisir le véritable sens des passages incriminés, qu'en l'espèce, pour condamner X..., les juges du fond se sont fondés sur un " amalgame " réalisé par le magistrat instructeur en écrivant bout à bout, sans même les séparer par des points de suspension des phrases et même des fragments de phrases extraits de l'article de X... et qu'en conséquence, les juges du fond, qui ont repris cet " amalgame " dans leurs motifs sans replacer dans leur contexte les différentes phrases ou fragments de phrases dont il est composé, n'ont pas statué en toute connaissance de cause ;

" alors que, d'autre part, personne ne saurait être poursuivi et condamné pour apologie d'un crime qui n'a pas été commis et, en tout cas, n'a pas fait l'objet d'une condamnation et qu'en l'espèce, le Maréchal Pétain ayant été condamné à la peine de mort pour " intelligence avec l'ennemi " par un arrêt de la Haute Cour de justice du 14 août 1945, X... ne pouvait pas être lui-même condamné pour complicité d'apologie " des crimes de guerre et délits de collaboration avec l'ennemi " ; " alors qu'enfin, saisi d'une action fondée sur l'article 24, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881, les juges du fond ne pouvaient avoir d'autre mission que de rechercher si le délit poursuivi était ou non constitué en l'espèce, qu'il ne leur appartenait pas de prendre parti dans la controverse historique, vieille de plus de quarante ans, relative au rôle joué par le Maréchal Pétain pendant l'occupation, que le délit d'apologie des crimes ou délits de collaboration avec l'ennemi suppose que la collaboration soit reconnue et présentée sous un jour favorable, que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que, si l'article critiqué reconnaît un certain mérite au Maréchal Pétain, il ne comporte aucune tentative de justification de la collaboration avec l'Allemagne nazie, qualifiée d'ailleurs de " monstre " dans cet article " ; Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que Z..., directeur de la publication du journal l'Opinion Indépendante du Sud-Ouest, a été poursuivi du chef d'apologie de crimes de guerre et de crimes et de délits de collaboration avec l'ennemi, et X... du chef de complicité de ce délit, à la suite de la parution dans le numéro du 29 mars 1985 de ce journal, sous la signature dudit X..., d'un article intitulé " la méthode Pétain " et à raison des passages suivants :

- " Aujourd'hui, hélas, le maréchal Pétain n'est plus là pour nous tirer d'affaire et il n'y a personne de son rang pour le remplacer ",

- " Nous sommes à nouveau à proximité du gouffre et nous aurions grand besoin d'un Pétain pour nous éviter la culbute, faute de pouvoir le ressusciter, faute qu'il ait son pareil à présent, du moins pouvons-nous utiliser sa leçon qui consiste à penser clair et français d'abord ",

- " C'est ce que fit le Maréchal pendant les années noires. Il examina sans complaisance, sans illusion, avec sang-froid, la conjoncture. Il constata qu'il lui était impossible de tout sauver et qu'un choix dramatique s'imposait. Il accepta d'abandonner au monstre un minimum de proie qui fût une proie non-française ".

Attendu que pour déclarer X... coupable de complicité du délit poursuivi, la juridiction du second degré retient tout d'abord que l'article incriminé constitue un panégyrique de Philippe Pétain et entend justifier un aspect de la collaboration du gouvernement de Vichy avec l'Allemagne nazie, à savoir l'acceptation d'abandonner une proie non française, allusion non équivoque à la politique xénophobe ou raciale de ce gouvernement ;

Attendu que les juges d'appel relèvent ensuite que Philippe Pétain a été condamné à mort par arrêt de la Haute Cour de justice du 14 août 1945 pour intelligence avec l'ennemi et que " le crime de collaboration avec l'ennemi est présenté dans cet article sous un jour favorable ou qu'il est de nature à inciter le lecteur à porter un jugement favorable à la collaboration avec l'ennemi reprochée à Pétain " ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la Cour de Cassation à qui il appartient d'exercer son contrôle sur le point de savoir si les faits poursuivis présentent les éléments légaux de l'apologie de crime définie par l'article 24 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 est en mesure de s'assurer par l'examen des passages retenus et qualifiés par le réquisitoire introductif que ces faits constituent en eux-mêmes et sans qu'il soit besoin de se reporter à l'ensemble du texte, fût-il annexé à l'acte initial de poursuites, l'infraction ci-dessus spécifiée ; Qu'en présentant comme digne d'éloge une personne condamnée pour intelligence avec l'ennemi, l'auteur de l'écrit a magnifié son crime et par là même fait l'apologie dudit crime ; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi ;

Retourner en haut de la page