Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 11 mars 1997, 95-16.853, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Bouygues, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 12 mai 1995 par la cour d'appel de Paris (15ème chambre, section B), au profit du Crédit Commercial de France, société anonyme, dont le siège est ..., défendeur à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 28 janvier 1997, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Le Dauphin, conseiller référendaire rapporteur, Mme Pasturel, MM. Grimaldi, Apollis, Mme Clavery, MM. Lassalle, Tricot, Badi, Armand-Prevost, conseillers, M. Rémery, conseiller référendaire, Mme Piniot, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Le Dauphin, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Bouygues, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat du Crédit Commercial de France, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 1995), que le 28 avril 1989, la société Bongiorni a cédé à la société Bouygues la totalité des actions représentant le capital de la société Boutel; qu'aux termes d'une "convention spécifique de garantie fiscale et parafiscale", le cédant s'est engagé à rembourser au cessionnaire toutes sommes que la société Boutel serait contrainte de payer pendant la durée de cette garantie, dans la limite d'un certain plafond; que par un autre acte du même jour, le Crédit commercial de France (la banque) a déclaré garantir les engagements ainsi souscrits au profit de la société Bouygues par la société Bongiorni; que celle-ci ayant été mise en redressement puis en liquidation judiciaires après avoir fait l'objet d'un redressement fiscal, la société Bouygues a assigné la banque en exécution de son engagement; que la cour d'appel a qualifié cet engagement de cautionnement et en a déduit que la banque était fondée à se prévaloir de l'extinction de la créance de la société Bouygues faute de déclaration au passif de la liquidation judiciaire de la société Bongiorni ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Bouygues fait grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en vertu de l'article 1134 du Code civil, constitue un engagement autonome interdisant au garant d'invoquer les exceptions qui appartiendraient au débiteur principal, le contrat par lequel la banque s'engage à effectuer sur la demande d'un donneur d'ordre, le paiement d'une somme à concurrence d'un montant convenu, sans que l'établissement financier puisse différer le paiement ou soulever une contestation pour quelque motif que ce soit; que dès lors, ayant relevé que la banque s'était engagée à payer à première demande de la société Bouygues la somme de 500 000 francs, sans pouvoir différer le paiement ou soulever une contestation pour quelque motif que ce soit, sauf dans un cas précis non en cause en l'espèce, la cour d'appel aurait dû en déduire que la garantie donnée par la banque était une garantie autonome et que la banque ne pouvait opposer à la société Bouygues le défaut de déclaration de sa créance à la procédure collective de la société Bongiorni ;

qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil; et alors, d'autre part, qu'en vertu de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil, nul ne peut se contredire illégitimement aux dépens d'autrui, et tromper ainsi l'attente légitime de son cocontractant; qu'il en résulte qu'une banque garante doit être déchue de son droit d'opposer au créancier les exceptions que le débiteur pourrait opposer à ce dernier, quand elle a inséré dans un acte de garantie de la dette d'autrui, une clause d'interdiction de différer le paiement pour quelque cause que ce soit, dont elle pensait qu'elle serait inefficace en raison des autres clauses de l'acte, mais qui a contribué à tromper l'attente légitime du créancier, lors de la conclusion de l'acte et lors de son inexécution; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la caution était une banque, donc une professionnelle de la rédaction des actes de cautionnement ou de garantie, et qu'elle avait rédigé l'acte en y insérant une interdiction de différer le paiement pour quelque cause que ce soit; que la banque ne saurait donc, en se prévalant des autres clauses de l'acte, tromper l'attente légitime créée chez la société Bouygues par l'insertion de cette clause d'interdiction de différer le paiement; qu'en conséquence, en ne déclarant pas la banque déchue sur le fondement de l'article 1134, alinéa 3, du Code civil de son droit de se prévaloir de l'article 2036 du Code civil, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 3, susvisé ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions, ni de l'arrêt, que la société Bouygues ait soutenu devant les juges du fond l'argumentation exposée par le seconde branche ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que la banque avait garanti à la société Bouygues le paiement de toute somme dont la société Bongiorni serait reconnue débitrice envers cette dernière, de sorte que l'engagement litigieux avait pour objet la propre dette de ladite société, la cour d'appel en a justement déduit, peu important les stipulations dont fait état la première branche, que cet engagement n'était pas autonome ;

D'où il suit que, pour partie irrecevable comme nouveau et mélangé de droit et de fait, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le second moyen :

Sur recevabilité du moyen, contestée par la défense :

Attendu que la banque soutient que le moyen est irrecevable comme nouveau et mélangé de fait et de droit ;

Mais attendu que le moyen est né de la décision attaquée; que la fin de non-recevoir doit donc être rejetée ;

Et sur le moyen :

Vu l'article 1153, alinéa 3, du Code civil ;

Attendu que la partie qui doit restituer une somme qu'elle détient en vertu d'une décision de justice exécutoire n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ;

Attendu que l'arrêt a condamné la société Bouygues à rembourser à la banque la somme de 545 142,32 francs qui lui avait été versée en vertu de la décision de première instance, assortie de l'exécution provisoire, et a dit que cette somme serait augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 1993, date de la signification des conclusions par lesquelles la banque demandait la restitution de ladite somme avec intérêts ;

Qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé au 20 juillet 1993 le point de départ des intérêts au taux légal, l'arrêt rendu le 12 mai 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que les intérêts courent à compter de la notification de l'arrêt du 12 mai 1995 jusqu'à la date de restitution des fonds ;

REJETTE la demande présentée par le Crédit commercial de France sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Condamne le Crédit Commercial de France aux dépens ;

Dit que sur les diligences de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.

Retourner en haut de la page