Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 mars 2015, 12-15.505, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SARL Le Chanoine (la SARL), constituée entre Mme X... et la société Assistance charpente rénovation, a été mise en liquidation judiciaire le 3 juillet 2008 ; que le liquidateur a assigné Mme X... et M. Y..., en leur qualité de gérants de la SARL, en responsabilité pour insuffisance d'actif ;

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 ;

Attendu que pour condamner Mme X... à payer une certaine somme sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce, l'arrêt retient qu'elle n'a pas apporté à la société qu'elle créait des fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas une faute de gestion, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que Mme X... a engagé des travaux importants sans disposer de financements appropriés ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de Mme X... qui faisait valoir que les travaux en cause n'avaient ni été commandés par elle, ni fait l'objet d'un devis accepté, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme la disposition du jugement du 10 décembre 2009 déboutant Mme X... de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme X... à payer à la société Z... venant aux droits de M. Z..., en qualité de liquidateur de la SARL Le Chanoine, les sommes de 20 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboute Mme X... de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés à raison des 9/ 10èmes par Mme X..., l'arrêt rendu le 21 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

Condamne la société Louis et Laurent Z..., en sa qualité de liquidateur de la société Le Chanoine, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour Mme X....

Il est fait grief à la Cour d'appel de Bordeaux statuant en matière de comblement d'insuffisance d'actif social, d'avoir condamné Mme X... à payer la somme de 20. 000 € à Me Z... ès qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de la SARL LE CHANOINE ;

AUX MOTIFS QU'immatriculée le 25 mai 2000, la SARL LE CHANOINE a été constituée par deux associés : l'un très majoritaire, la SARL Assistance Charpente Rénovation (ACR) que dirigeait M. Y... (porteur de 19 des 20 parts sociales ayant fait un apport en industrie sous forme de travaux dans le local commercial à hauteur d'une somme de 190. 000 francs) et l'autre très minoritaire, Mme X... (porteur d'une des 20 parts sociales pour un apport en numéraire de 10. 000 francs), aux fins d'exploiter un fonds de commerce de rénovation, restauration ou réhabilitation de site présentant un caractère historique, artistique ou architectural d'une part et de restauration et dégustation alimentaire d'autre part ; Qu'elle a eu pour co-gérants M. Y... également gérant de la société ACR et Mme X... ; que la société ACR a procédé à des travaux dans le local de la société LE CHANOINE dont elle n'a pas été réglée ; que par un jugement du 26 juillet 2001, la SARL ACR a été mise en liquidation judiciaire par le Tribunal de commerce d'ANGOULEME et Me B... a été nommé liquidateur ; que par un jugement du 14 septembre 2006, la SARL LE CHANOINE a été condamnée par le Tribunal de commerce d'ANGOULEME à payer à Maître B... ès qualités la somme de 190. 080, 26 francs soit 28. 977, 55 € au titre des travaux impayés ; que par un jugement du 3 juillet 2008, la SARL LE CHANOINE a été mise en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce d'ANGOULEME et Me Z... a été nommé liquidateur ; que le 16 juillet 2008, Me B... ès qualités a déclaré une créance de 33. 934, 13 € au titre des condamnation en principal et intérêts fixées par le jugement du 14 septembre 2006 ; que par acte du 25 novembre 2008, Me Z... ès qualités a fait assigner Mme X... devant le Tribunal de commerce d'ANGOULEME en comblement d'insuffisance d'actif (33. 934, 13 €) ; que par un jugement du 10 décembre 2009, le Tribunal a débouté le liquidateur de cette prétention ; que par acte du 25 mars 2008, Maître Z... ès qualités a fait assigner M. Y... devant le Tribunal de commerce d'ANGOULEME en comblement d'insuffisance d'actif (33. 934, 13 €) ; que par un jugement du 24 mars 2011, le Tribunal a débouté le liquidateur de cette prétention ; que Mme X... a joué un rôle déterminant pour lancer le projet commercial de la SARL LE CHANOINE, constituer la société et prendre les principales décisions en vue d'exploiter elle-même un salon de dégustation et de vente de produits à emporter ; que le 20 mai 1999, elle est devenue locataire à titre personnel, pour une durée de 23 mois, sous condition suspensive de l'obtention d'un permis de construire, d'un local commercial d'une superficie de 41 m ², propriété de la SCI SOBEK, l'activité autorisée étant celle de « dégustation et vente de produits à emporter et notamment le fromage ainsi que de café-théâtre accessoirement » ; que le 29 mars 2000, le bailleur l'avait autorisée à y domicilier la SARL LE CHANOINE en cours de constitution ; que le 24 août 1999, l'atelier d'architecture Hervé Bertrand et Nicolas A... envoyait à l'EURL LE CHANOINE Mme Josiane X... une estimation des travaux concernant son projet d'aménagement d'un espace de vente et dégustation ; que selon M. Y..., la Chambre de commerce et d'industrie d'ANGOULEME avait établi à la demande de Mme X... un document prévisionnel du 20. 09. 2009 dont il produit un extrait et dont il ressort que celle-ci déjà exploitante d'une autre affaire à ANGOULEME n'envisageait pas dans l'immédiat de retirer un bénéfice d'exploitation u Chanoine et que pour couvrir les charges de l'EURL elle devrait réaliser un chiffre d'affaires de 916. 000 frs ttc ; que Josette X... ne conteste pas avoir eu ainsi recours à la chambre de commerce ; que le 30 mars 2000, la SARL ACR avait établi au nom de « Mme X... Josiane pour SARL LE CHANOINE » un devis de travaux d'aménagement d'un montant total de 377. 827, 74 frs ttc portant les mentions suivantes : « total à la charge ACR 190. 000 et total à la charge de Mme X... Josiane 187. 827, 74 frs » ; qu'enfin la lecture du document du 12 mai 2000 dénommé « contrat d'apport pour la constitution de la SARL LE CHANOINE » signé par Josiane X... et Jean-Pierre Y... en qualité de gérant de la société ACR, révèle clairement le rôle majeur qu'entendait jouer Josiane X... ; qu'en effet, elle s'engageait à apporter en numéraire la somme de 10. 000 frs, à faire bénéficier la société de ses connaissances techniques et professionnelles pour l'exploitation de l'établissement, à obtenir un concours financier de son brasseur de 100. 000 frs « du fait de son crédit commercial dans l'exercice de l'activité projetée » qui sera dans la quinzaine de sa libération intégralement affecté au fond de roulement de la société et à l'achat du matériel destiné à l'exploitation du fonds de commerce, à assurer « la gérance technique de la SARL LE CHANOINE et de son fonds de commerce » puisqu'« il est expressément prévu que la SARL ACR n'interférera en aucune manière dans la gérance technique » ; à proposer de faire travailler le cabinet d'expert-comptable avec lequel elle travaille en partenariat depuis plusieurs années pour la comptabilité, l'établissement des fiches de paie ainsi que celui des déclarations sociales et fiscales de la société LE CHANOINE, à organiser une réunion d'information le premier lundi de chaque mois pour compléter l'information de la société ACR sur l'évolution et les perspectives de la SARL LE CHANOINE ; qu'en outre selon l'article 11 de la convention, « un contrat d'assistance technique tel que prévu par la convention collective sera établi au profit de Mme X... pour ses fonctions de direction de la cuisine, de la restauration et de la vente de produits à consommer sur place, à emporter ; que selon les statuts de la SARL LE CHANOINE en raison d'un apport en numéraire de 10. 000 frs de Josiane X... et d'un apport en industrie de la société ACR de 190. 000 f sous forme de travaux que cette société s'engageait à effectuer à concurrence de ce montant, le capital social de 20. 000 frs fut divisé en 20 parts sociales une étant attribuée à Josette X..., 19 à la société ACR ; que si Josiane X... et Pierre Jean Y... étaient tous deux gérants de droit de la SARL LE CHANOINE, il ressort donc de ces pièces comme d'ailleurs des rapports de gérance de la SARL ACR et des autres courriers produits, que Josette X... fut la personne qui a joué un rôle déterminant pour mettre en place et débuter l'activité de la société LE CHANOINE ; que comme l'indique le liquidateur alors que cette société ne dispose d'aucun actif, que selon état des créances au 23. 09. 2011 son passif est constitué par la créance de la SARL ACR, en engageant des travaux importants sans disposer des financements appropriés, en n'apportant pas à la société qu'elle créait des fonds suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales, Josiane X... gérante de droit a commis des fautes de gestion qui sont directement à l'origine de l'insuffisance d'actif ; que Pierre-Jean Y... n'a pas eu le même rôle ; que s'il expose avoir effectué un apport en industrie en commençant à réaliser des travaux pour le compte de la société LE CHANOINE dans l'espoir que d'autres marchés suivraient et qu'il serait réglé du solde de ses travaux par Josiane X..., il n'en demeure pas moins qu'en sa qualité de gérant de droit dès lors qu'il avait accepté un mandat social, le fait de ne pas l'exercer et d'abandonner la gestion de la société le CHANOINE à la cogérante, constitue également une faute de gestion puisqu'il lui appartenait avant d'engager tous travaux, de s'assurer que la société disposait des financements appropriés ; que cependant sa faute de gestion n'a constitué que pour une faible part à l'insuffisance d'actif ; que compte tenu du comportement respectif de chacun des gérants de droit, il n'y a pas lieu de prononcer une condamnation solidaire, Josiane X... sera condamnée à payer la somme de 20. 000 ¿ et Pierre-jean Y... 2. 000 ¿ ;

1/ ALORS QUE la faute de gestion susceptible de permettre la condamnation d'un dirigeant de droit à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif, s'entend d'actes de gestion consécutifs à sa désignation comme dirigeant ; qu'en reprochant à Mme X... d'avoir lors de la « mise en place » de la SARL LE CHANOINE, omis d'apporter à la société qu'elle constituait des fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce ;

2/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QU'après avoir constaté que, selon les statuts, la société ACR dirigée par M. Y... s'était engagée en sa qualité d'associée à apporter en industrie une somme de 190. 000 f. sous forme de travaux, ce qui lui avait donné droit à 19/ 20ème des parts sociales et que Mme X..., s'était engagée, en cette même qualité, à apporter une somme de 10. 000 frs, ce qui lui avait donné droit à 1/ 20ème des parts sociales, mais que la société ACR dirigée par M. Y..., par ailleurs co-gérant de la SARL LE CHANOINE, n'avait que « commenc(é) à réaliser les travaux » constitutifs de son apport, la cour d'appel ne pouvait reprocher à la seule Mme X... d'avoir omis d'apporter à la société en constitution, des fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 651-2 du code de commerce ;

3/ ALORS TRES SUBSIDIAIREMENT QUE dans ses conclusions d'appel, Mme X... avait soutenu qu'elle n'avait pas été impliquée dans l'engagement des travaux autre que ceux constitutifs de l'apport en industrie, réalisés pour la SARL LE CHANOINE par la société ACR que dirigeait M. Y... par ailleurs co-gérant de la SARL LE CHANOINE, dès lors que ces travaux avaient été réalisés sans devis accepté et sans facture (cf. jugement entrepris) ; que ce moyen était péremptoire dès lors que, selon l'état des créances de la SARL LE CHANOINE, son passif n'était constitué que par la créance de la SARL ACR au titre desdits travaux (cf. arrêt, p. 3) ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions avant de considérer que Mme X... avait engagé des travaux sans disposer de financements appropriés, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4/ ET ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QU'après avoir constaté que, selon l'état des créances de la SARL LE CHANOINE, son passif n'était constitué que par la créance de la SARL ACR au titre desdits travaux (cf. arrêt, p. 3), que M. Y... comme Mme X... en leur qualité de co-gérants avaient tous deux commis une faute en engageant ces travaux sans s'assurer que la SARL LE CHANOINE disposait des financements appropriés, la cour d'appel a considéré, pour fixer la répartition au comblement à hauteur de 9/ 10ème pour Mme X... et de 1/ 10ème pour M. Y..., que la faute de gestion de M. Y... n'avait contribué que pour une faible part à l'insuffisance d'actif ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 651-2 du code de commerce.

ECLI:FR:CCASS:2015:CO00268
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