Cour d'appel de Lyon, 15 janvier 2008, 08/304

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


COUR D'APPEL DE LYON

SERVICE DES RETENTIONS ADMINISTRATIVES
DES ETRANGERS

Dossier no : 15 / 08
Nom du ressortissant : X... Serkan
Préfet de : la DROME

ORDONNANCE

Nous, Alain JICQUEL, Conseiller à la Cour d'Appel de LYON,

Délégué par ordonnance du Premier Président de ladite Cour en date du 05 décembre 2007 pour statuer à l'occasion des procédures ouvertes en application des articles L. 222-6 et L. 552-9 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d'asile,

Assisté de Dominique LAMY BAILLY, Greffier,

En présence du Ministère Public, représenté par R. M. RIGAUD, Substitut de Monsieur le Procureur Général près la Cour d'Appel de LYON ;

En audience publique du 15 janvier 2008

Dans la procédure concernant :

Le Préfet de la DROME
APPELANT

Représenté à l'audience par Monsieur Y...,

ET

Monsieur X... Serkan
né (e) le 24 avril 1984 à AKSARAY (Turquie)
nationalité : turque
demeurant : ... 26200 MONTELIMAR
INTIME

Non comparant, représenté à l'audience par son conseil, Maître ROMANET DUTEIL, avocat au barreau de LYON

Après avoir entendu le Ministère Public en ses réquisitions, le représentant du Préfet en ses observations, Me ROMANET DUTEIL en sa plaidoirie,

Avons mis l'affaire en délibéré au 15 janvier 2008 à 16 H 45, et à cette date et heure prononcé l'ordonnance dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Attendu que par arrêté du 8 janvier 2008, notifié le 9, Monsieur le préfet du département de la Drôme a prononcé la reconduite à la frontière de Mr. Serkan X...,
de nationalité turque, et a décidé de le maintenir en rétention dans les locaux ne dépendant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée de 48 heures, prenant effet à compter du 9 janvier 2008 à 9h05 ;
Attendu que par ordonnance en date du 11 janvier 2008 à 13 heures, le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de Grande Instance de Lyon a dit n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de Mr. Serkan X... pour un délai maximum de 15 jours, en raison de l'irrégularité de la procédure ;

Attendu que par déclaration parvenue au greffe de la Cour le 14 janvier 2006 à 12h26, Mr. le préfet a interjeté appel de l'ordonnance susvisée ;

Attendu que le préfet appelant soutient tant verbalement que dans son acte d'appel que la procédure est régulière pour les motifs qu'il y expose,

Attendu que le ministère public requiert l'infirmation de l'ordonnance entreprise ;

Attendu que Mr. Serkan X... demande par l'intermédiaire de son conseil qui le représente la confirmation de l'ordonnance entreprise,

DISCUSSION

Attendu que l'appel de Monsieur le préfet relevé dans les délais légaux, est régulier et recevable ;

Attendu qu'en l'espèce se trouve exclusivement posée la question de l'exigence de la loyauté d'une convocation d'un étranger par les services de police ou de gendarmerie,

I-a) Attendu d'une part, qu'il convient de rappeler qu'il a été jugé :

"... attendu que l'administration ne peut utiliser la convocation à la préfecture d'un étranger faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, qui sollicite l'examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention ; qu'ayant relevé que M. X avait été convoqué sur sa demande, pour l'examen de sa situation administrative, la cour d'appel a, par ce seul motif, jugé à bon droit, que les conditions de cette interpellation étaient contraires à l'article 5 de la CEDH (Cass 1o Ch. 6 février 2007),

Qu'est ainsi sanctionnée par le droit positif en application des dispositions de l'article 5 précité de la CEDH la " pratique objectivement déloyale " consistant, pour un service administratif, comme aussi pour un service de police, à convoquer un étranger, dont on sait qu'il est en situation irrégulière, pour un autre motif que le contrôle de sa situation au regard du droit des étrangers, et avec comme intention de pouvoir l'interpeller,

Qu'en effet, dans un " Etat de Droit ", une convocation par un service de l'Etat, ne doit pas donner l'impression, de par son objet, d'avoir constitué un guet-apens,

I-b) Attendu qu'il est vrai cependant, comme l'a rappelé à juste titre Monsieur le représentant du préfet, qu'aucun texte n'oblige les services de police ou de gendarmerie qui convoquent une personne, d'avoir à lui indiquer précisément les raisons de cette convocation, pas plus que d'avoir à le faire par écrit, de sorte que cette convocation peut être verbale, et approximative ou muette quant à son objet,

I-c) Attendu qu'à l'inverse, aucun texte n'oblige un particulier, sous peine de sanction pénale, à répondre à une convocation d'un service de police ou de gendarmerie,

Que cela est si vrai que si, en application de l'article 62 du NCPC, l'officier de police judiciaire peut, en matière de flagrance, appeler ou entendre toutes personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits délictueux ou criminels commis, et si les personnes convoquées par lui sont tenues de comparaître, il reste que cet OPJ ne peut contraindre ces personnes à comparaître par la force publique, qu'" avec l'autorisation préalable du procureur de la République... "

II-Attendu que c'est au regard du rappel de ces trois données que peuvent s'analyser les différentes hypothèses de convocation par les services de police ou de gendarmerie, sur réquisition du parquet, d'un étranger signalé par un maire comme ayant déposé un dossier mariage, et qui par ailleurs serait susceptible de se trouver en situation irrégulière,

Que l'obligation du maire de signaler au parquet l'apparent séjour irrégulier de l'étranger projetant de se marier résulte des dispositions générales de l'article 40 du NCPC,

Que l'obligation du maire de signaler au parquet, ses éventuelles doutes sur la validité du mariage envisagé résulte, des dispositions de l'article 175-2 du Code Civil,

Que dans ce cas, trois situations justifiant la convocation de l'étranger par les services de police ou de gendarmerie, peuvent se présenter :

a) Le parquet ne s'intéresse qu'à l'aspect pénal du signalement (art. 40 du CPP)

-qu'ou bien, il n'est indiqué aucun motif pour la convocation, qu'elle soit écrite ou orale, et dans ce cas, il appartient à l'étranger d'y répondre ou de ne pas y répondre, avec les conséquences qu'impliquent les dispositions de l'article 62 précitées du CPP,

-ou bien, le motif verbal ou écrit de la convocation est indiqué, et il importe alors que soit indiqué à l'étranger, pour qu'il sache à quoi s'en tenir, qu'il est convoqué en raison de sa situation irrégulière, et non pas que cette convocation lui soit présentée comme lui étant délivré à propos de son projet de mariage... dès lors que dans ce dernier cas, il y aurait en effet " pratique déloyale " (hypothèse de la semaine dernière),

b) Le parquet ne s'intéresse qu'à l'aspect civil du signalement (art. 175-2)

-qu'ou bien, il n'est indiqué aucun motif pour la convocation, qu'elle soit écrite ou orale, et dans ce cas, il appartient à l'étranger d'y répondre ou de ne pas y répondre, avec les conséquences qu'impliquent les dispositions de l'article 62 précitées du CPP,

-ou bien, le motif verbal ou écrit de la convocation est indiqué (enquête civile à propos de votre projet de mariage), et dans ce cas, il appartient à l'étranger d'y répondre ou de ne pas y répondre, avec les conséquences qu'impliquent les dispositions de l'article 62 précitées du CPP,

Que dans cette hypothèse en effet, les policiers ou les gendarmes ne font que suivre les réquisitions du parquet,

Que si l'étranger se présente ensuite de cette convocation, il est alors normal que son audition commence par une vérification d'identité, laquelle, avant toute audition sur le fond, peut alors faire apparaître, qu'il est effectivement étranger, ce qui autorise alors le policier chargé de l'auditionné à lui demander les justificatifs de sa présence sur le territoire français, et ce sur le fondement des dispositions de l'article L. 611-1 du CESEDA, puis à constater, si tel est le cas, qu'il peut alors agir en état de flagrance pour délit de séjour irrégulier... (suit ensuite la procédure habituelle : garde à vue, puis rétention),

Qu'il y aurait cependant dans cette hypothèse aussi objectivement, " pratique déloyale ", s'il résultait du signalement du maire au parquet, que l'étranger auteur du dépôt de dossier de mariage, est ou paraît être en situation irrégulière, puisque le comportement déloyal résulterait cette fois du la décision du parquet, consistant à ne faire des réquisitions qu'à propos du projet du mariage, ce qui impliquerait des convocations dont l'objet mentionné ne se limiteraient qu'à cela, alors qu'il ne pourrait pas ignorer les conséquences d'une présentation pour l'étranger à la suite de pareille convocation...

c) Le parquet adresse des réquisitions à la fois à propos de l'aspect pénal et à propos de l'aspect civil.

-qu'ou bien, il n'est indiqué aucun motif pour la convocation, qu'elle soit écrite ou orale, et dans ce cas, il appartient à l'étranger d'y répondre ou de ne pas y répondre, avec les conséquences qu'impliquent les dispositions de l'article 62 précitées du CPP,

-ou bien le motif verbal ou écrit de la convocation est indiqué, et il importe alors dans ce cas, que la convocation, verbale ou écrite, précise les deux motifs qui résultent des réquisitions du parquet, même s'il est vrai que ces deux motifs pourraient en fait paraître liés, ce qui en droit ne l'est pas, le mariage sur le territoire français, d'une française (ou d'un français) avec un étranger (ou une étrangère) en situation irrégulière, n'étant aucunement prohibé par les textes,

Que dès lors que la convocation verbal ou écrite ne ferait mention comme motif, que de la seul enquête civile à propos du projet de mariage, alors que parallèlement, le parquet aurait aussi demandé aux policiers (qu'il s'agisse d'une réquisition avec deux objets comme à LYON, ou de deux réquisitions séparant le pénal du civil, comme à VALENCE) d'enquêter sur la régularité de la situation sur le territoire français du futur marié étranger, qu'il y aurait aussi là, " comportement déloyal ", puisque l'étranger aurait ainsi été " invité " à répondre à une convocation dont l'un des objets aurait été occulté, ce qui constituerait là, objectivement, la " commission d'un acte de déloyauté par omission ", que sens de l'article 5 de la CEDH...

III-Attendu qu'en l'espèce le parquet de VALENCE avait adressé aux services de police en suite d'un signalement du député-maire de Montélimar deux types de réquisitions :

-l'une de nature pénale, faisant référence à la situation irrégulière de l'intéressé,

-l'autre de nature civile, relativement à son projet de mariage,

Qu'il résulte de la procédure que les policiers se sont présentés au domicile des futurs époux, alors que seule la future épouse y était présente,

Que dans le procès-verbal du 7 janvier 2008 à 8 heures ne figurent que les indications suivantes :

" Déclinons notre qualité, nos cartes professionnelles exhibées et le but de notre visite énoncé (sans aucune précision mentionnée quant à ce " but "). Mlle A... nous demande d'entrer dans son logement... nous informe que son concubin vit avec elle... Invitons Mlle A... à se présenter ce jour à 15 h00 à notre service pour y être entendue (en l'espèce, s'agissant d'elle, nécessairement à propos de son projet de mariage). Lui indiquons également la nécessité pour M. X... de se présenter à notre service en sa compagnie, muni d'une pièce d'identité (sans que le motif invoqué pour cette convocation ne soit précisé, tandis que le contexte de cette visite chez le futur couple ne pouvait faire penser qu'à une convocation à propos du projet de mariage, même si, dans cela, figurait en arrière fond, la situation irrégulière de Mr. Serkan X...). "

Qu'a ensuite été dressé un second procès-verbal le 7 janvier à 11h40, qui est l'audition de Mlle A..., la future épouse,

Qu'on peut y lire :

" Je me présente seule (sans attendre 15 heures) à votre service car mon concubin M. X... a été avisé par moi-même de votre convocation... (puis après justification verbale) : Donc il ne viendra pas à votre rendez-vous ce jour.

Il pourrait venir répondre à votre enquête mariage le 10 / 01 / 08 (ce qui démontre, pour le moins, la compréhension qu'avait les futurs époux de l'objet de leurs convocations).

Concernant ce qui a précédé le mariage ? QUESTION :... "

Qu'à l'audience de ce jour Monsieur le représentant du préfet appelant a loyalement indiqué que selon les gendarmes ces derniers avaient bien effectivement demandé aux deux membres du couple de se présenter " à propos de leur projet de mariage ",

Attendu que c'est dans ces conditions que le lendemain,8 janvier 2008 à 9h20 s'est présenté Mr. Serkan X... au commissariat de police " suite à notre convocation ",

Que le procès-verbal continue alors immédiatement : " Constatons que celui-ci est en situation irrégulière... " tandis que suit une procédure de flagrant délit, garde à vue, puis rétention administrative,

Attendu qu'en l'espèce, sans que l'honnêteté des policiers ne soit en cause, il existe un sérieux manquement quant au critère de " loyauté objective de l'objet de la convocation indiqué aux futurs époux ",

Que les policiers avaient (et devaient) en effet laisser une convocation écrite ou verbale à l'intention de Monsieur X..., par l'intermédiaire de sa future épouse, en lui indiquant le double objet de sa convocation, et correspondant aux deux réquisitions dont ils étaient chargés,

Que l'appelant reconnaissant lui-même que Monsieur X... n'avait pas été informé de ce qu'il était convoqué aussi à propos de sa situation irrégulière sur le territoire français, force est de constater au regard du contexte de cette affaire qu'il apparaît que Monsieur X..., comme Mlle A..., pensaient que la convocation du futur mari était relative à leur projet de mariage, et non directement aussi à propos de sa situation irrégulière,

Que c'est d'ailleurs ce qu'a bien résumé Mr. Serkan X... lors de son audition devant le JLD en déclarant :

" Je savais que j'étais en situation irrégulière et je me suis rendu au commissariat pour pouvoir me marier... "

Qu'il apparaît donc que la convocation verbale de Mr. Serkan X... s'est faite dans un contexte correspondant à une " pratique objectivement déloyale ",

Que c'est donc avec raison, qu'au regard de ces circonstances, le premier juge a estimé que la procédure était irrégulière,

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise ;

PAR CES MOTIFS

Déclarons recevable l'appel de Monsieur le préfet ;

Confirmons l'ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de Grande Instance de Lyon, en date du 11 janvier 2008,

Vu les dispositions de l'article L. 554-3 du CESEDA,

Rappelons toutefois à Mr. Serkan X... qu'il a l'obligation de quitter le territoire national français dans les plus brefs délais,

Disons que la présente ordonnance sera notifiée sans délai par le greffier aux parties présentes qui en accuseront réception, ou sinon, par tous moyens et dans les meilleurs délais aux autres parties qui en accuseront aussi réception,

Disons que la présente ordonnance sera communiquée au ministère public ;

Ainsi jugé et prononcé en audience publique le 15 janvier 2008 à 16 H 45.

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