Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 3 octobre 2006, 05-86.587, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois octobre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA, et de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Stéphane,

- Y... Dominique,

- LA SOCIETE LA PROVENCE, civilement responsable,

contre un arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 19 septembre 2005, qui, pour diffamation publique envers un particulier et complicité, les a condamnés, le premier, à 3 000 euros d'amende, la seconde, à 1 500 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29, 32, 42, 43, 44, 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 121-1 et 121-3 du code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Stéphane X... et Dominique Y... coupables de diffamation publique envers un particulier ;

"aux motifs que, sur le caractère diffamatoire, est diffamatoire toute allégation ou imputation de faits précis de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée ; que, peu importe que l'allégation ou l'imputation soit faite sous une forme dubitative ou interrogative ou même par insinuations dès lors qu'elle est suffisamment significative à l'encontre de cette personne ; que les termes employés doivent s'apprécier dans leur contexte ; que lorsque des expressions outrageantes ou appréciations injurieuses sont indivisibles d'une imputation diffamatoire, le délit d'injures est absorbé par celui de diffamation ; que le tribunal a exactement analysé le sens et la portée des propos incriminés et en a justement déduit qu'ils présentaient, contrairement à ce que soutient la défense, un caractère diffamatoire ; qu'en effet, si le simple fait d'affirmer qu'une personne a fondé une association qui est en réalité une secte, n'est pas en soi de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de cette personne, même si dans l'opinion publique, le terme secte revêt un caractère péjoratif, il en va différemment lorsque cette affirmation est assortie d'autres commentaires de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération ; qu'en l'espèce, Bernard Z... est présenté dans le premier article comme le fondateur d'une secte présentée comme telle dans le fameux rapport parlementaire sur les sectes publié en 1995 (ce qui tend à

présenter celle-ci comme dangereuse), comme manipulant les enfants pour provoquer une rupture brusque avec leurs parents, et après la dissolution de la secte (dont le lecteur peut penser qu'elle a été décidée par l'autorité publique) comme ayant, pour pouvoir continuer son activité répréhensible, créé une nouvelle association, qui, si elle a pour objet officiel la protection des enfants, poursuit en réalité un but lucratif ; que de tels propos sont incontestablement de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de Bernard Z... ; que l'imputation faite dans le second article au même d'être le fondateur d'une secte composée de charlatans faisant commerce de la protection de l'enfance et d'avoir réussi à infiltrer le service public de la justice et de la santé, ce qui suppose des manoeuvres subreptices de sa part, constitue bien l'imputation de faits précis, susceptibles de preuves, de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile ; que sur les offres de preuve, l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 exige que le prévenu qui fait offre de preuve spécifie les faits articulés et qualifiés dans la citation desquels il entend prouver la vérité ; que cette spécification est nécessaire alors même qu'il entendrait faire la preuve de tous les faits visés dans la citation ; qu'il s'agit d'une formalité substantielle qui doit être observée à peine de déchéance du droit de faire la preuve ; que cette déchéance étant d'ordre public, elle doit être relevée d'office par les juges ; qu'en l'espèce, les prévenus, dans l'acte de signification de l'offre de preuve, se sont contentés de reproduire les propos cités dans l'acte introductif d'instance, en indiquant que, par l'audition de deux témoins et la production de documents, ils entendaient " rapporter la preuve de l'ensemble des propos et commentaires incriminés comme susceptibles de constituer des allégations diffamatoires et publiées dans l'article du 24 mai 2003 et dans l'article du 27 mai 2003 "le fondateur d'une secte" " ; qu'à l'audience de la cour, les parties ont été invitées par le président à formuler leurs observations sur la validité de l'offre de preuve ; qu'en raison de l'absence de spécification des faits dont ils entendaient rapporter la preuve, permettant à la partie civile de faire une offre de contre-preuve répondant aux exigences de l'article 56 de la loi susvisée, il y a lieu de déclarer le prévenu déchu du droit de rapporter la preuve des faits allégués ; que l'offre de preuve contraire devient sans objet ; que sur l'élément intentionnel, les imputations diffamatoires impliquent l'intention coupable de leur auteur ; que, pour pouvoir bénéficier du fait justificatif de la bonne foi invoqué en l'espèce et dont la preuve leur incombe, les prévenus doivent notamment démontrer la réunion des éléments suivants, à savoir la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ; que la cour adopte les motifs pertinents par lesquels les tribunal a écarté le bénéfice de la bonne foi ; qu'il est constant que l'association " l'arbre au milieu " a été classée dans le rapport établi en 1995 au nom de la commission d'enquête parlementaire sur les sectes, comme faisant partie des mouvements sectaires de moins de 50 adeptes ; que, suite au désaccord manifesté

par Bernard Z... par l'intermédiaire de son avocat sur cette classification, le président de la commission, Alain A..., par lettre du 5 février 1996, a fait connaître à l'intéressé que "l'arbre au milieu " avait été classé comme secte sur le fondement d'une " analyse menée par la direction centrale des Renseignements Généraux sur la base de critères dont la commission a estimé qu'ils permettaient d'apprécier au mieux la dangerosité de certaines associations à l'égard de la société et des individus " ; que cependant, la partie civile justifie par un constat d'huissier que M. B..., le rapporteur, au cours d'une émission diffusée par la cinquième chaîne de télévision le 14 novembre 1998, a déclaré : " l'association de l'arbre au milieu fait partie des mouvements qu'on n'aurait pas dû mettre dans la liste, parce que ce n'est manifestement pas une secte " ; qu'à la suite de la dissolution de "l'arbre au milieu ", Bernard Z... et son avocat ont par la suite fait partie du conseil d'administration de l'association pour la formation à la protection de l'enfance (AFPE) ;

que le 24 février 2000, le Ministre de l'Education Nationale, à l'occasion d'un colloque organisé par cette association devant se dérouler à Paris, intitulé " l'enfant et l'adolescent dans la famille, l'école et la société : gérer les conflits, rôle de la médiation ", a adressé une circulaire aux inspecteurs d'académie leur demandant d'informer les personnes placées sous leur autorité que cette association faisait l'objet d'une enquête et ne présentait pas toutes les garanties nécessaires à un agrément par l'Education Nationale ;

que plusieurs journalistes ont, avant les articles litigieux, dénoncé l'existence d'une cabale contre Bernard Z... ; que l'un de ceux-ci, M. C..., journaliste à " Libération ", qui avait fait une enquête sur " l'arbre au milieu ", entre la publication des deux articles, avait fait part de ses conclusions en ce sens à Dominique Y... en lui suggérant de contacter Bernard Z..., ce qu'elle s'est abstenue de faire ; que Dominique Y..., si elle a obéi à un souci légitime d'informer le lecteur, ne peut prétendre avoir fait une enquête sérieuse, ni avoir satisfait aux exigences de mesure et de prudence dans l'expression, dès lors que, sans recueillir la position de l'intéressé, elle a présenté comme certains des faits contestés, dans un domaine où la vérité est particulièrement difficile à cerner, ce qu'elle ne pouvait ignorer (arrêt, pages 6 à 8) ;

"alors, d'une part, que ni le fait, pour un journaliste, d'avoir omis de solliciter l'opinion de la personne qui est l'objet d'un article de presse ni le fait d'avoir refusé de tenir compte d'avis divergents exprimés, sur le sujet traité, par des confrères, ne sont de nature à remettre en cause le sérieux de l'enquête conduite par l'intéressé ni, par conséquent, la bonne foi du prévenu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a admis que, pour rédiger ses articles, la demanderesse s'est notamment fondée d'une part, sur le rapport parlementaire faisant figurer l'association "l'arbre au milieu ", dont le fondateur est la partie civile, au nombre des mouvements sectaires, d'autre part, sur une circulaire du Ministre de l'Education Nationale du 24 février 2000, alertant les inspecteurs d'académies sur le fait que l'association AFPE - qui, dirigée par Bernard Z..., succédait à l'association "l'arbre au milieu ", préalablement dissoute

- ne présentait pas toutes les garanties nécessaires à un agrément par l'Education Nationale, ce qui témoigne du sérieux de l'enquête menée par la journaliste ; qu'en relevant toutefois que la demanderesse n'a pas tenu compte de l'avis d'un confrère, qui invoquait l'existence d'une cabale dirigée contre Bernard Z..., ni accepté de recueillir l'opinion de ce dernier, pour en déduire que la prévenue ne pouvait prétendre avoir fait une enquête sérieuse, la cour d'appel qui se détermine par une motivation inopérante, a privé sa décision de toute base légale ;

"alors, d'autre part, qu'en se déterminant par la circonstance que la journaliste a présenté comme certains des faits contestés, pour en déduire que l'intéressée n'a pas satisfait aux exigences de mesure et de prudence dans l'expression, sans préciser les faits qui, dans les articles incriminés, auraient été indûment présentés comme certains et seraient, en réalité, contestés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 593 du code de procédure pénale" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs répondant aux conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les circonstances particulières invoquées par les prévenus et énoncé les faits sur lesquels elle s'est fondée pour écarter l'admission à leur profit du bénéfice de la bonne foi ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

FIXE à 2 000 euros la somme que Stéphane X... et Dominique Y... devront payer à Bernard Z... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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