Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 7 décembre 2005, 05-85.876, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire CARON, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... William,

- Y... Jean,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 21 septembre 2005, qui, dans l'information suivie contre eux pour infractions à la législation sur les stupéfiants en bande organisée, association de malfaiteurs, contrebande en bande organisée, a prononcé sur leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure ;

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 20 octobre 2005, joignant les pourvois en raison de la connexité et prescrivant leur examen immédiat ;

Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Attendu que, saisi d'une information n° 03/15, ouverte à la suite d'un rapport de police faisant état d'un important trafic de stupéfiants portant, notamment, sur l'importation imminente de grandes quantités de cannabis en provenance du Maroc, le juge d'instruction de Marseille a fait procéder, sur commission rogatoire, à l'interception des conversations téléphoniques de certaines personnes soupçonnées d'appartenir à ce réseau ; que les surveillances ont permis d'identifier Jean Y... comme l'un des participants supposés de ce trafic ; que, par commission rogatoire, le juge d'instruction a prescrit le placement sous écoutes de la ligne téléphonique attribuée à ce dernier ; que ses conversations avec l'un de ses interlocuteurs, dont l'identité n'était pas mentionnée par la procédure, paraissant avoir trait à une livraison de stupéfiants, une surveillance physique effectuée à l'occasion d'un rendez-vous entre ces deux personnes a permis d'identifier William X..., déjà condamné à plusieurs reprises pour trafic de stupéfiants, comme l'interlocuteur de Jean Y... ; que, cependant, William X... n'a pas été mis en examen dans ce dossier ;

Attendu que le même magistrat a été également saisi d'une information distincte n° 03/26, portant sur un important trafic international de cocaïne susceptible d'impliquer certains protagonistes du dossier précédent ; que les investigations, notamment les surveillances et écoutes téléphoniques opérées sur commission rogatoire, ont confirmé l'existence de livraisons par véhicules équipés de cachettes ainsi que d'importantes importations de cocaïne en cours ou en préparation en provenance du Venezuela via les Antilles ; qu'elles ont permis d'identifier de nombreux participants à ces opérations et de procéder à leurs interpellations, dont celles de Jean Y... et de William X... ; que le magistrat a ordonné le versement, dans le dossier de la procédure n° 03/26, d'éléments de la procédure n° 03/15, notamment la transcription des conversations téléphoniques échangées entre Jean Y... et William X... ;

Attendu que, saisie, dans le cadre de l'information n° 03/26, d'une requête en annulation présentée par William X..., visant l'irrégularité de l'interception de sa conversation téléphonique, de sa transcription et de son versement dans une procédure distincte, la chambre de l'instruction, après avoir ordonné la production de certains actes de l'information n° 03/15, a procédé à l'examen de la régularité des actes litigieux dans chacune des procédures, au regard tant des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale que des principes conventionnels, notamment de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 171, 802, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité présentée par William X..., ainsi que les demandes formées par Jean Y... ;

"aux motifs que, dans la rédaction de son procès-verbal d'annexion de pièces, le juge d'instruction précisait que cette annexion apparaissait utile à la manifestation de la vérité ; qu'il convient de vérifier si l'annexion du dossier 2003/15 et le contenu des pièces sont conformes aux dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le versement par le juge d'instruction de constatations effectuées dans une procédure, dans le dossier d'une autre information pénale, correspond à l'un des actes utiles à la manifestation de la vérité, tel que prévu par l'article 81 du Code de procédure pénale et n'est pas contraire à la Convention sus-citée ( ) puisque les parties peuvent, en application de l'article 173 du Code de procédure pénale, solliciter auprès de la chambre de l'instruction l'annulation du procès-verbal d'annexion à la seconde procédure, des pièces qui y sont versées, ainsi que le retrait de ces pièces ; ( ) que n'ont été retranscrites que les communications qui font apparaître un lien avec le trafic, en l'occurrence l'organisation de rendez-vous aux fins de livraison ; que William X... entend soutenir que, n'ayant pas fait l'objet d'une décision d'écoute téléphonique par le magistrat instructeur, sa conversation avec Jean Y... ne pouvait être enregistrée ni retranscrite ; que, cependant, l'interception d'une conversation téléphonique n'a d'utilité que si la signification peut en être comprise, et qu'il est inconcevable de n'enregistrer ou ne retranscrire que les questions, réponses ou bribes de phrases prononcées par un seul interlocuteur ; que la chambre de l'instruction ne peut pousser le raisonnement jusqu'à l'absurde en censurant la moitié de la conversation, sinon la conversation interceptée n'a plus aucun sens ; qu'au demeurant, l'identification de l'interlocuteur de la personne écoutée fait partie des investigations nécessaires à la recherche des auteurs du trafic de stupéfiants ; que, dans la procédure initiale, la retranscription des écoutes ne mentionne pas le nom de William X..., les interlocuteurs de Jean Y... étant désignés sous l'abréviation "HX" ;

que, toutefois, les conversations enregistrées apparaissant avoir trait à la livraison de stupéfiants, les enquêteurs ont été amenés à identifier l'interlocuteur de Jean Y... ; qu'il convient de constater que William X..., qui s'est donc révélé être l'interlocuteur de Jean Y..., personne écoutée, a parfaitement usé du droit de contester, comme ce dernier pouvait lui-même le faire, la validité de l'écoute téléphonique versée au dossier qui le concerne ; que les constatations ci-dessus permettent de rejeter la demande de nullité du versement des pièces du dossier 2003/15 dans le dossier 2003/26 présentée par Jean Y... ;

"alors que l'ingérence de l'autorité publique dans l'exercice des droits garantis par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être "prévue par la loi" ; que le Code de procédure pénale française, qui ne règle pas de façon précise et détaillée les conditions dans lesquelles l'interlocuteur de la personne titulaire de la ligne écoutée, entendu "par hasard", en qualité de "participant nécessaire" à une conversation téléphonique enregistrée par les autorités, peut voir ses propos retranscrits, qui ne précise pas les précautions à prendre à son égard, ni ne règle de manière précise la situation des personnes qui ont été écoutées dans le cadre d'une procédure à laquelle elles sont étrangères, ne satisfait pas à cette exigence, que le soit-transmis et les pièces versées en exécution de cet ordre, relatives à des écoutes de William X... non prévues par la loi, devaient donc être annulées" ;

Attendu que, pour rejeter les moyens de nullité présentés par William X..., l'arrêt attaqué relève que le placement sous écoutes de la ligne téléphonique attribuée à Jean Y..., l'interception de ses conversations échangées avec William X... et la transcription dans la procédure dans laquelle cette mesure a été légalement ordonnée des seules conversations révélant un lien avec les infractions poursuivies, ont été justifiés par la nécessité de vérifier l'existence d'un trafic international de stupéfiants, d'en rechercher l'organisation, d'en identifier les participants à quelque titre que ce soit et de prévenir la commission de nouvelles infractions ; que les juges ajoutent que le contenu des propos enregistrés étant de nature à faire présumer l'implication de l'un et de l'autre dans les infractions dont était saisi le magistrat instructeur, l'ingérence ainsi opérée dans la vie privée de Jean Y... et de William X... a donc été prévue par la loi, en l'espèce les articles 81, 100 et suivants du Code de procédure pénale, qu'elle a été placée sous l'autorité et le contrôle d'un juge, qu'elle a répondu à une finalité légitime, qu'elle a été proportionnée à la gravité des infractions commises et en cours de commission au regard de l'ordre public ainsi que de la protection de la santé et qu'elle a été strictement limitée aux nécessités de la manifestation de la vérité ;

Attendu qu'en prononçant par ces motifs, qui établissent la régularité de l'interception, de l'enregistrement et de la transcription des conversations téléphoniques des demandeurs, la chambre de l'instruction, qui a satisfait, tant aux dispositions de droit interne qu'aux exigences de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme en assurant à William X... et à Jean Y..., s'agissant de l'atteinte à leur vie privée, un contrôle effectif sur la régularité des actes accomplis dans la procédure dont elle a été saisie comme sur celle des actes dépendant d'une procédure distincte, a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 11, 80, 81, 171, 802, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité du soit-transmis du 15 novembre 2004 et du procès-verbal du 15 novembre 2004 présentée par William X..., ainsi que les demandes formées par Jean Y... ;

"aux motifs que, par soit-transmis du 15 novembre 2004, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Marseille, en charge du dossier 2003/26, sollicitait le versement de l'ensemble des procès-verbaux de la procédure 2003/15 pouvant intéresser la procédure 2003/26 ; que, le même jour, en exécution de ce soit-transmis, le capitaine de police en charge de la commission rogatoire délivrée par ce juge établissait un procès-verbal dans lequel il énumérait les procès-verbaux de la procédure 2003/15 intéressant la procédure 2003/26 et auquel il annexait lesdites pièces ; que le même juge d'instruction, en charge tant du dossier 2003/26 que du dossier 2003/15, établissait, le 26 avril 2005, un procès-verbal par lequel il procédait à l'annexion, à la procédure 2003/26, des cotes D 1782 à 1806 extraites de son dossier 2003/15, ces pièces correspondant au procès-verbal de police 2004/1795 relatif à la retranscription de l'écoute téléphonique de la ligne n° 0034639946018 attribuée à Jean Y... ( ) ; que, dans la rédaction de son procès-verbal d'annexion de pièces, le juge d'instruction précisait que cette annexion apparaissait utile à la manifestation de la vérité ; que le versement par le juge d'instruction de constatations effectuées dans une procédure, dans le dossier d'une autre information pénale, correspond à l'un des actes utiles à la manifestation de la vérité, tel que prévu par l'article 81 du Code de procédure pénale ;

"alors, d'une part, que le juge d'instruction en charge d'une information dans le cadre de laquelle ont été accomplis des actes pouvant intéresser une autre instruction n'a pas le pouvoir d'ordonner le versement de ces actes dans cette autre procédure, ce pouvoir de décision appartenant au seul juge d'instruction qui a la charge de cette autre procédure ; qu'il résulte du soit-transmis du 15 novembre 2004 que le juge d'instruction, qui était par ailleurs en charge de la procédure 2003/26, a, agissant dans le cadre de la procédure 2003/15, sans être saisi d'aucune demande en ce sens, ordonné que des actes de la procédure 2003/15 soient versés dans le dossier 2003/26 ; que, ce faisant, il a excédé ses pouvoirs ;

"alors, d'autre part, que l'officier de police judiciaire agissant en vertu d'une commission rogatoire délivrée dans le cadre d'une information n'est pas compétent pour exécuter un soit-transmis relatif à une autre instruction ; qu'il résulte du procès-verbal du 15 novembre 2004 que le soit-transmis délivré par le juge d'instruction en charge du dossier 2003/15 a été exécuté par un officier de police judiciaire agissant dans le cadre d'une commission rogatoire relative à la procédure 2003/26 ; que cet excès de pouvoir devait entraîner la nullité de l'acte qui en est entaché et des actes subséquents ;

"alors, encore, que, lorsque des faits, non visés au réquisitoire, sont portés à la connaissance du juge d'instruction à l'occasion d'une écoute téléphonique, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes ou les procès-verbaux qui les constatent, lequel a seul le pouvoir de décider de la suite à leur donner ; que, selon les propres constatations de l'arrêt, l'information numérotée 2003/15, à l'occasion de laquelle ont lieu les écoutes litigieuses, concerne des faits de trafic de stupéfiants mis en place par une équipe de malfaiteurs originaires de Marseille et ses environs et portant sur l'importation d'une très grande quantité de résine de cannabis avec des complicités au Maroc, mettant principalement en cause un certain Z..., tandis que la procédure 2003/26 concerne essentiellement un trafic de cocaïne et de résine de cannabis entre l'Espagne, l'Italie et la France, mettant en cause les associés d'un certain A..., dont l'associé principal serait le dénommé B..., prétendument en lien avec les prévenus, dont les écoutes auraient révélé la participation au trafic ; qu'enfin, William X... et Jean Y... n'ont pas été mis en examen dans le cadre de la procédure 2003/15, mais uniquement dans le cadre de la procédure 2003/26 ; qu'il résulte de ces constatations que les écoutes téléphoniques réalisées dans le cadre d'une première information (n 2003/15) ont révélé une prétendue livraison se rapportant à un prétendu trafic de stupéfiants sans rapport avec les faits instruits dans le cadre de cette procédure, de sorte que le fait, pour le juge d'instruction, d'avoir, sous couvert d'un soit-transmis, décidé, de son propre chef, le versement dans une seconde procédure qu'il instruisait (n 2003/26) de telles écoutes téléphoniques, constitue un excès de pouvoir du juge et une violation du secret de l'instruction, qui doit entraîner la nullité du soit-transmis, des actes d'exécution de ce soit-transmis et du procès-verbal d'annexion desdites écoutes" ;

Attendu qu'aucune disposition légale n'interdit au juge d'instruction chargé de deux informations distinctes d'annexer à l'une des procédures des éléments provenant de l'autre dont la production est de nature à contribuer à la manifestation de la vérité, à condition que cette jonction ait un caractère contradictoire et que les documents communiqués puissent être soumis à la discussion des parties ; que tel a été le cas en l'espèce, peu important le numéro d'identification de la procédure porté sur le soit-transmis adressé au service de police aux fins de transmission des pièces concernées ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Caron conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Mme Koering-Joulin, M. Corneloup conseillers de la chambre, MM. Sassoust, Lemoine conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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