Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 30 avril 1996, 95-82.500, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

IRRECEVABILITE et CASSATION PARTIELLE dans l'intérêt de la loi sans renvoi sur les pourvois formés par :

- X... Bernadette,

- Y... Jean-Louis,

parties civiles,

contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier, du 16 mars 1995, qui, dans l'information suivie contre Marcel Z... des chefs de coups mortels et infractions à la législation sur les armes, a dit n'y avoir lieu à suivre.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I. Sur le pourvoi de Jean-Louis Y... :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi et qu'il n'est ainsi justifié d'aucun des griefs énumérés à l'article 575 du Code de procédure pénale comme autorisant la partie civile à se pourvoir en cassation contre un arrêt de chambre d'accusation, en l'absence de recours du ministère public ;

II. Sur le pourvoi de Bernadette X... :

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 174 du décret du 20 mai 1903, 327 ancien du Code pénal, 122-4 nouveau du Code pénal, 575-2. 6o et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre Marcel Z... du chef de coups mortels ;

" aux motifs que la preuve du caractère illégitime des violences exercées par le gendarme Z... n'est pas rapportée ; qu'au contraire, ce militaire, après une juste appréciation des circonstances, a fait usage de son arme dans les conditions de la loi ; qu'aux termes de l'article 327 devenu l'article 122-4 du Code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par les dispositions légales ou réglementaires ;

" alors que le fait justificatif prévu par les articles 327 ancien et 122-4 nouveau du Code pénal ne peut être retenu que lorsque les actes litigieux étaient prescrits ou autorisés par la loi ; qu'en d'autres termes, la justification n'est admissible que dans le cas où l'auteur n'a pas outrepassé, voire violé les termes de la loi ; qu'en aucun cas l'article 174 du décret du 20 mai 1903 n'autorise et encore moins ne prescrit à un gendarme de tirer, en le tuant, des coups de feu sur un individu quel qu'il soit, eût-il commis un vol de vêtements ; qu'en l'espèce, en se bornant à invoquer l'ordre de la loi pour enlever aux coups mortels leur caractère radicalement illicite et écarter la responsabilité pénale de leur auteur et en renversant la charge de la preuve du caractère " légitime " des violences, l'arrêt attaqué a gravement méconnu les textes visés ci-dessus ; qu'il ne peut, dès lors, être considéré comme satisfaisant aux conditions essentielles de son existence légale et doit être annulé " ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 575, alinéa 2. 6o, et 593 du Code de procédure pénale, 327 ancien et 122-4 nouveau du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre Marcel Z... du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ;

" aux motifs que le service demandé aux militaires, s'il comporte une part de travail accompli dans le cadre d'un programme déterminé et d'horaires réguliers, s'étend aussi, sans restriction de temps et de lieu, aux activités liées à la permanence de l'action ; qu'ainsi, les militaires ont coutume de dire qu'ils sont de service 24 heures sur 24 ; que même hors service et en tenue civile, ils doivent intervenir en cas de crime ou délit flagrant ; qu'ils sont alors considérés comme en fonctions ; que regagnant sa caserne et constatant le peu de réaction de ses collègues, Marcel Z... avait été amené, vu l'urgence, à renoncer à revêtir son uniforme et à repartir vers les lieux du cambriolage porteur d'une arme personnelle, puisqu'il s'était trouvé dans l'impossibilité d'accéder à son arme de dotation ;

" alors que la notion d'exercice des fonctions est d'interprétation stricte et ne résulte pas de la seule affirmation que les militaires seraient de service 24 heures sur 24 ; qu'à l'instar du délit d'outrage à agents de la force publique qui n'est constitué que si son auteur ne pouvait ignorer la qualité de la victime, l'exercice des fonctions suppose des indices apparents d'un acte entrant dans les attributions d'un fonctionnaire de police en service ; qu'en l'espèce, il ne résulte pas des mentions de l'arrêt que le conducteur du véhicule et son passager aient entendu les sommations d'usage alléguées par Marcel Z... ; qu'en revanche, l'arrêt constate que Marcel Z... n'était pas en uniforme mais en tenue civile, revêtu d'un survêtement, et qu'il a utilisé une arme lui appartenant personnellement ; que, dès lors, en décidant que le mis en examen se trouvait dans l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'imposaient " ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 575, alinéa 2. 6o, et 593 du Code de procédure pénale, 327 ancien et 122-4 nouveau du Code pénal, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre Marcel Z... du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ;

" aux motifs que la preuve du caractère illégitime des violences exercées par le gendarme Z... n'est pas rapportée ; qu'au contraire ce militaire, après une juste appréciation des circonstances, a fait usage de son arme dans les conditions de la loi ; qu'aux termes de l'article 327 devenu l'article 122-4 du Code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par les dispositions légales ou réglementaires ;

" alors que, dans son mémoire régulièrement déposé, la partie civile faisait valoir qu'il ne pouvait être valablement allégué par Marcel Z..., gendarme spécialement entraîné à l'activité de tir, que les 6 coups de feu successifs avaient pour objet d'arrêter la fuite du véhicule alors qu'aucun projectile n'a atteint ce véhicule et qu'au contraire, les deuxième et troisième tirs ont touché à moins de 15 mètres Laurent Y..., cible quasi immobile et tournée de dos, en ses parties vitales ; que, dès lors, faute d'avoir recherché si les agissements de Marcel Z... ne pouvaient être constitutifs d'actes de violence, hors de proportion avec les nécessités de l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel n'a pas répondu à l'argumentation péremptoire de la partie civile, de sorte que sa décision ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale et doit être annulée " ;

Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 111-5 du Code pénal, 174 du décret du 20 mai 1903, 34 de la Constitution de 1958, 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre Marcel Z... du chef de coups mortels ;

" aux motifs qu'aux termes de l'article 174 du décret du 20 mai 1903, le gendarme peut déployer la force armée dès lors qu'il n'avait, comme en l'espèce, d'autre moyen que d'ouvrir le feu pour contraindre les malfaiteurs à s'arrêter ;

" alors, d'une part, que le décret du 20 mai 1903 est inconstitutionnel et contraire à l'article 34 de la Constitution de 1958, dès lors qu'il touche à l'organisation des garanties fondamentales accordées aux citoyens en matière d'exercice des libertés publiques, matière relevant de la compétence exclusive du législateur ; que la chambre d'accusation devait donc en constater la nullité ;

" alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse le déploiement de la force armée dans les termes de l'article 174 du décret précité n'est autorisé qu'aux gendarmes en tenue et manifestant ainsi qu'ils sont dans l'exercice de leurs fonctions ; que ce texte n'est pas applicable aux gendarmes non en uniforme, peu important par ailleurs qu'en leur qualité de militaires ils soient susceptibles d'être amenés à servir à tout instant à la requête de leurs chefs " ;

Sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles 2, § 2, et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 575 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre Marcel Z... du chef de coups mortels ;

" alors, d'une part, que toute personne a droit à la vie et qu'aux termes de l'article 2, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme le recours à la force ayant éventuellement entraîné la mort ne peut justifier celle-ci que s'il a été rendu absolument nécessaire pour effectuer notamment une arrestation régulière ; que, dès lors qu'il n'est pas constaté que la mort fût l'unique moyen absolument nécessaire pour assurer l'arrestation d'un éventuel voleur de vêtement, qui pouvait être retrouvé, la chambre d'accusation a violé les textes précités ;

" alors, d'autre part, que aux termes de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne dont les droits sont consacrés par cette Convention doit avoir droit à un recours effectif, y compris, lorsqu'il est organisé par le droit interne, au recours du contrôle de légalité de droit commun ; que, dès lors, l'article 575 du Code de procédure pénale, qui interdit en principe le contrôle de légalité et l'exercice du pourvoi en cassation à propos d'une décision relative à l'éventuel renvoi d'un gendarme pour être jugé du fait de la mort qu'il a provoquée, est contraire aux textes précités et que le pourvoi est recevable " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à suivre contre Marcel Z... des chefs de coups mortels et infractions à la législation sur les armes, la chambre d'accusation, après avoir analysé les faits, objet de l'information, a répondu aux articulations essentielles du mémoire de la partie civile et exposé les motifs dont elle a déduit que les infractions reprochées à l'inculpé n'étaient pas constituées en raison du fait justificatif d'ordre de la loi prévu par les articles 327 ancien et 122-4 nouveau du Code pénal, dont elle a estimé qu'il y avait lieu de faire application ;

Attendu qu'aux termes de l'article 575 du Code de procédure pénale, la partie civile n'est pas admise à contester le bien-fondé de tels motifs, certains fussent-ils erronés en droit, à l'appui de son seul pourvoi contre un arrêt de chambre d'accusation, en l'absence de recours du ministère public ;

Que, dès lors, les moyens ne sont pas recevables et, qu'en application du texte susvisé, qui n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la victime disposant d'un recours devant les juridictions civiles ou administratives pour faire valoir ses droits, il en est de même du pourvoi ;

DECLARE les pourvois IRRECEVABLES ;

Mais sur le pourvoi formé oralement à l'audience, dans l'intérêt de la loi, par M. l'avocat général ;

Vu l'article 621 du Code de procédure pénale ;

Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de l'article 231 de la loi du 28 germinal an VI et des articles 96 et 174 du décret du 20 mai 1903 :

Vu lesdits articles ;

Attendu que, selon les dispositions combinées des articles 96, alinéa 2, et 174 du décret du 20 mai 1903, seuls les gendarmes exerçant leur action en tenue militaire sont autorisés, sous les conditions définies par ce dernier texte, à faire usage des armes pour immobiliser les véhicules dont les conducteurs n'obtempèrent pas aux ordres d'arrêt ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que le gendarme Marcel Z..., qui se trouvait, hors service, en tenue civile, a fait usage de son arme à feu personnelle pour immobiliser un véhicule au moment où ses occupants, qui venaient de commettre un vol avec effraction, tentaient de prendre la fuite sans obtempérer à ses ordres d'arrêt ; que le passager de la voiture, Laurent Y..., a été mortellement atteint de 2 projectiles ;

Attendu que, pour prononcer non-lieu du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, la chambre d'accusation retient que Marcel Z... n'avait d'autre moyen que d'ouvrir le feu pour immobiliser le véhicule et qu'il remplissait les conditions prévues par l'article 174 du décret du 20 mai 1903 autorisant l'usage de la force armée par la gendarmerie ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le gendarme n'était pas en uniforme et ne se trouvait pas en état de légitime défense, les juges ont méconnu les textes et principes sus-énoncés ;

Que dès lors la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement dans l'intérêt de la loi, l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier, du 16 mars 1995, en ses dispositions comportant non-lieu en faveur de Marcel Z... du chef de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

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