Conseil d'État, 5ème / 4ème SSR, 27/05/2015, 368440

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme B...E...veuveG..., Mme F...G...et Mme H...G...ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice à réparer les préjudices ayant résulté de la prise en charge de M. I... G...dans cet établissement en avril 2001. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes-Maritimes a demandé le remboursement de ses débours. Par un jugement n° 1001160 du 1er octobre 2010, le tribunal administratif a condamné le CHU de Nice, en premier lieu, à verser aux requérantes la somme de 220 336,46 euros au titre des préjudices subis par M. G...avant son décès, en second lieu, à verser à chacune une somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et, enfin, à verser à la CPAM des Alpes-Maritimes la somme de 439 968,55 euros ainsi que la somme de 966 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un arrêt n° 10MA04660 du 11 mars 2013, la cour administrative d'appel de Marseille, à la demande du CHU de Nice, a réformé ce jugement en ramenant le montant des indemnités à 30 177 euros pour Mme B...E..., 22 906 euros chacune pour Mme F...G...et Mme H...G...et 165 902,67 euros pour la CPAM des Alpes-Maritimes. La cour a refusé d'admettre l'intervention formée par Mme C...G..., M. A... G...et Mme D...G..., enfants nés d'une précédente union de M. I...G....

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 mai et 7 août 2013 et le 17 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...E..., Mme F...G..., Mme H...G..., Mme C...G..., M. A... G...et Mme D... G...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'admettre l'intervention de Mme C...G..., M. A... G...et Mme D...G..., de rejeter l'appel du centre hospitalier universitaire de Nice et de faire droit à l'appel incident de Mme B...E..., de Mme F...G...et Mme H... G...contre le jugement du tribunal administratif de Nice du 1er octobre 2010, en portant à 501 460,54 euros la somme allouée à la succession de M. G...en réparation des préjudices subis par lui avant son décès et à 50 000 euros la somme allouée aux requérantes au titre de leur préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Nice la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Collet, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat des consortsE..., à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Nice et à la SCP Boutet, Hourdeaux, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes ;




1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. I... G...s'est présenté au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice le 16 avril 2001 pour des céphalées, des vomissements et une raideur de la nuque ; qu'ayant été examiné par un interne, il a rejoint son domicile après une perfusion d'antalgiques ; qu'il a été de nouveau admis dans le même service d'urgences le 21 avril en raison d'une aggravation de son état ; qu'une hémorragie méningée par rupture d'anévrisme cérébral a alors été diagnostiquée ; qu'en dépit de l'intervention qui a été réalisée, M. G... est demeuré atteint, jusqu'à son décès survenu le 21 novembre 2006, de très graves séquelles ; que MmeE..., sa veuve, et leurs deux enfants, Mme F...G...et Mme H...G..., ont recherché la responsabilité du CHU de Nice devant la juridiction administrative ; que, par un jugement du 1er octobre 2010, le tribunal administratif de Nice, estimant qu'un retard fautif dans le diagnostic et le traitement avait entraîné pour le patient une perte de chance évaluée à 100 % d'échapper au dommage, a condamné le CHU de Nice à verser, au titre des préjudices subis par M. G...avant son décès, une somme de 220 336,46 euros aux requérantes et une somme de 439 968,55 euros à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes-Maritimes et, au titre du préjudice moral subi par son épouse et ses deux filles, une somme de 30 000 euros chacune ;

2. Considérant que le CHU de Nice a relevé appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Marseille, qui a également été saisie d'un appel incident formé par Mme E..., Mme F...G...et Mme H...G...et d'une intervention présentée par les trois enfants nés d'une précédente union de M. G..., Mme C...G..., M. A... G...et Mme D...G... ; que, par un arrêt du 11 mars 2013, la cour a refusé d'admettre l'intervention au motif qu'elle tendait à ce que l'indemnité réparant le préjudice de M. G...soit versée aux six ayants droit de M.G..., alors que l'appel des demanderesses de première instance tendait au versement de la même indemnité à leur seul profit ; que la cour a ensuite estimé que les fautes commises par le CHU de Nice n'avaient entraîné pour M. G... qu'une perte de chance évaluée à 40 % ; qu'elle a, en conséquence, ramené à 72 707,91 euros les droits de la succession G...et à 165 902,67 euros ceux de la CPAM des Alpes-Maritimes ; que la cour n'a cependant accordé à chacune des appelantes qu'une part de l'indemnité due à la succession correspondant à sa quote-part des droits de succession, soit 18 196,78 euros pour Mme E...et 10 906,19 euros chacune pour Mme F... G...et Mme H...G... ; qu'enfin, compte tenu du taux de perte de chance retenu, elle a ramené à 12 000 euros chacune l'indemnité réparant leurs préjudices propres ; que Mme E..., Mme F...G..., Mme H...G..., Mme C...G..., M. A... G...et Mme D...G..., d'une part, et la CPAM des Alpes-Maritimes, d'autre part, se pourvoient en cassation contre cet arrêt ; que ces pourvois étant dirigés contre le même arrêt, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur l'évaluation de la perte de chance :

3. Considérant que, pour évaluer la perte de chance subie par M. G...en conséquence du retard fautif de diagnostic imputable au CHU de Nice, la cour a estimé qu'à supposer qu'ait été prescrit dès le 16 avril 2001, date de la première admission de l'intéressé au service des urgences de l'hôpital, un examen tomodensitométrique ou une IRM, un tel examen n'aurait pas nécessairement pu être réalisé avant la rupture de l'anévrisme, survenue le 21 avril suivant ; qu'elle a également estimé qu'à supposer que le diagnostic ait pu être posé en temps utile, il n'était pas établi qu'une intervention aurait pu être mise en oeuvre avec succès pour prévenir cet accident ; que la cour a ainsi suffisamment motivé son arrêt, en tant qu'elle a réduit le coefficient de perte de chance tel qu'il avait été fixé par les premiers juges ; qu'en retenant un coefficient de perte de chance de 40 %, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier, qui est exempte de dénaturation ;

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux de M.G... :

4. Considérant, d'une part, que, compte tenu des termes dans lesquels la cour s'est trouvée saisie du litige par l'effet de l'appel du CHU de Nice et de l'appel incident de Mme E..., de Mme F...G...et de Mme H...G..., la question de la détermination des préjudices non patrimoniaux subis par M. G...a été soumise au débat contradictoire engagé entre les parties ; qu'il était, dès lors, loisible aux juges d'appel de réduire les sommes allouées à ce titre sans en avertir préalablement celles-ci ;

5. Considérant, d'autre part, qu'après avoir relevé que M.G..., âgé de 51 ans à la date de l'accident et de 58 ans à la date de son décès, avait conservé des séquelles à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent de 90 %, la cour a évalué les troubles qu'il avait subis dans ses conditions d'existence, y compris son préjudice d'agrément, à 100 000 euros ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, elle doit être regardée comme ayant réparé, à ce titre, les conséquences du déficit fonctionnel permanent subi par M. G... ; que son arrêt est sur ce point suffisamment motivé et exempt d'erreur de droit ;

En ce qui concerne les préjudices personnels de Mme E...et de Mmes F... et H...G... :

6. Considérant que c'est dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation souveraine et sans entacher son arrêt de dénaturation que la cour a estimé qu'il serait fait une exacte appréciation du préjudice moral respectivement subi par MmeE..., Mme F...G...et Mme H...G...en évaluant celui-ci à 30 000 euros, et a en conséquence alloué à chacune d'entre elles, compte tenu du coefficient de perte de chance retenu, une indemnité de 12 000 euros ;

Sur la recevabilité de l'intervention et le calcul des indemnités allouées à Mme E... et Mmes F...et H...G...au titre des préjudices subis par M.G... :

7. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 724 du code civil : " Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt " ; que le droit à réparation d'un dommage est transmis aux héritiers même si la victime décède avant d'avoir introduit une action en réparation ; que Mme E..., conjoint survivant, ainsi que Mme F...G...et Mme H...G..., filles de M.G..., avaient été saisies de plein droit des biens, droits et actions du défunt et avaient, dès lors, qualité, le cas échéant sans le concours des autres indivisaires, pour exercer l'action indemnitaire tendant à obtenir, au bénéfice de la succession, la réparation du préjudice subi par M. G...du fait de la faute imputable au CHU de Nice ; qu'en jugeant que Mme E..., Mme F...G...et Mme H...G...ne s'étaient pas présentées devant les premiers juges afin d'obtenir, au bénéfice de la succession, l'indemnisation du préjudice subi par M.G... mais s'étaient bornées à agir en leur nom personnel, ce qui l'a conduit, d'une part, à refuser d'admettre l'intervention des autres ayants droit du défunt au motif qu'elle n'avait pas le même objet que l'appel incident des demanderesses de première instance et, d'autre part, à limiter les indemnités accordées à celles-ci au titre des préjudices subis par M. G...en fonction de leurs parts respectives dans les droits de succession, la cour s'est méprise sur la portée des écritures dont elle était saisie par ces trois requérantes et a commis une erreur de droit ;

8. Considérant que, dès lors que les intervenants se bornaient à reprendre les moyens invoqués à l'appui de l'appel incident, l'erreur ainsi commise par la cour administrative d'appel ne doit entraîner la cassation de son arrêt qu'en tant qu'il refuse d'admettre l'intervention et qu'il limite les indemnités allouées à Mme E...et à Mmes F...et H...G...au titre des préjudices subis par M. G...en fonction de leurs parts dans les droits de succession ; qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt dans cette mesure, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré d'une contradiction entre les motifs et le dispositif de l'arrêt en ce qui concerne les indemnités réparant les préjudices subis par M.G... ; que le surplus des conclusions du pourvoi des consorts E...-G... et le pourvoi de la CPAM des Alpes-Maritimes doivent être rejetés ;

9. Considérant qu'en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu de régler l'affaire au fond dans la limite de la cassation prononcée ;

10. Considérant que, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 7, l'action engagée par Mme E... et Mmes F...et H...G..., en leur qualité d'ayants droit de M. I... G..., en vue de l'indemnisation des préjudices subis par ce dernier, doit être regardée comme étant conduite au bénéfice de la succession ; que, dès lors, l'intervention présentée par Mme C...G..., M. A... G...et Mme D...G..., en cette même qualité, au soutien des conclusions d'appel incident présentées par les demanderesses de première instance a le même objet que ces conclusions ; que cette intervention est recevable ;

11. Considérant que la cour administrative d'appel de Marseille, dont l'arrêt est devenu définitif sur ce point, a fixé à 72 707,91 euros l'indemnité due par le CHU de Nice aux héritiers de M.G..., au titre des divers préjudices subis par celui-ci et hors remboursement des débours de la CPAM des Alpes-Maritimes ; que, dès lors, cette même somme doit être allouée, au bénéfice de la succession de M.G..., à Mme E...et à Mmes F...et H...G..., en leur qualité d'ayants droit de M. G... ayant saisi le tribunal administratif ; que le jugement attaqué doit, en conséquence, être réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à ce titre à la charge du CHU de Nice le versement à Mme E...et autres d'une somme globale de 3 500 euros ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 11 mars 2013 est annulé. Les articles 4, 5 et 6 du même arrêt sont annulés en tant qu'ils allouent à Mme E... et à Mmes F...et H...G...des indemnités excédant le montant de 12 000 euros chacune destiné à réparer leur préjudice personnel.

Article 2 : L'intervention présentée par Mme C...G..., M. A... G...et Mme D...G...devant la cour administrative d'appel est admise.

Article 3 : Le CHU de Nice versera à Mme E...et Mmes F...et H...G..., en leur qualité d'ayants droit de M. I...G...ayant saisi le tribunal administratif, une somme globale de 72 707,91 euros. Cette somme s'ajoute aux indemnités de 12 000 euros chacune allouées à Mme E...et Mmes F...et H...G...au titre de leurs préjudices personnels par l'arrêt du 11 mars 2013 de la cour administrative d'appel de Marseille, devenu définitif sur ce point.

Article 4 : Le jugement du 1er octobre 2010 du tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : Le CHU de Nice versera au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative une somme globale de 3 500 euros à MmeE..., Mmes F..., H..., C...et D...G...et M. A... G....

Article 6 : Le surplus des conclusions du pourvoi de MmeE..., de Mmes F..., H..., C...et D...G...et de M. A... G...et le pourvoi de la CPAM des Alpes-Maritimes sont rejetés.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme B...E..., à Mme F...G..., à Mme H...G..., à Mme C...G..., à M. A... G..., à Mme D...G..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes et au centre hospitalier universitaire de Nice.

ECLI:FR:CESSR:2015:368440.20150527
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