Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 29/10/2013, 353036, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 29 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée par la société Yprema, dont le siège social est 7, rue Condorcet à Chennevières-sur-Marne (94437), représentée par son président en exercice ; la société Yprema demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté ministériel du 6 juillet 2011 relatif aux conditions d'admission des déchets inertes dans les installations relevant des rubriques 2515, 2516 et 2517 de la nomenclature des installations classées ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;

Vu la directive 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 ;

Vu la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

Vu l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 ;

Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

Vu le décret du 11 juillet 2008 ;

Vu le décret n° 2010-369 du 13 avril 2010 ;

Vu l'arrêté du 9 juillet 2008 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ;

Vu la décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012 du Conseil constitutionnel ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;




1. Considérant que le décret du 13 avril 2010 a modifié la nomenclature des installations classées concernant les installations de traitement de déchets ; que les installations relevant des rubriques 2515, 2516 et 2517 sont désormais autorisées à accueillir des déchets, dès lors qu'ils sont non dangereux et inertes ; que l'arrêté attaqué a précisé les conditions d'admission de ces déchets dans les installations relevant de ces rubriques ;

Sur l'intervention du Syndicat des recycleurs du BTP et de la société Moroni :

2. Considérant que le Syndicat des recycleurs du BTP et la société Moroni ont intérêt à l'annulation de l'arrêté attaqué ; qu'ainsi, leur intervention est recevable ;

Sur la légalité externe de l'arrêté :

En ce qui concerne la compétence de l'auteur de l'arrêté :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 541-31 du code de l'environnement, qui figure dans la section 3 du chapitre 1er du titre IV du Livre V de la partie législative de ce code intitulée " Prévention et gestion des déchets " : " Des décrets en Conseil d'Etat peuvent réglementer les modes d'utilisation de certains matériaux, éléments ou formes d'énergie afin de faciliter leur valorisation ou celle des matériaux ou éléments qui leur sont associés dans certaines fabrications " ; que l'article R. 541-48 du même code, qui figure au sein de la section 3 du chapitre 1er du titre IV du Livre V de la partie réglementaire du même code, intitulée " Circuits de traitement des déchets ", renvoie lui-même à des arrêtés du ministre chargé de l'environnement le soin de fixer les modalités d'application de la présente section et dispose que " Ces arrêtés fixent notamment : / 1° Le contenu des registres mentionnés à l'article R. 541-43 du présent code, de façon à assurer la traçabilité et l'identification des déchets ainsi que celle des producteurs, des transporteurs et des destinataires, en fonction des caractéristiques des déchets ; / 2° Les modèles, le contenu et les modalités de transmission des déclarations mentionnées à l'article R. 541-44 ; / 3° Les informations que doivent contenir le bordereau mentionné à l'article R. 541-45 et, le cas échéant, le modèle de ce bordereau " ; qu'il résulte de ces dispositions que la seule circonstance que l'arrêté attaqué soit applicable à des installations assurant la valorisation de certains matériaux, tels que les déchets inertes de construction et déconstruction du bâtiment et des travaux publics, n'est pas de nature à retirer à l'auteur de l'arrêté attaqué compétence pour prendre les dispositions qu'il contient ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-43 du même code, dans sa version applicable à la date de l'arrêté litigieux : " (...) les exploitants d'installations destinataires de déchets autres que dangereux et radioactifs, à l'exception de celles qui réalisent une opération de valorisation de déchets inertes, tiennent à jour un registre chronologique de la production, de l'expédition, de la réception et du traitement de ces déchets. (...) " ; qu'il résulte des dispositions des articles R. 541-43 et R. 541-48 que le ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement avait, à la date de la signature de l'arrêté attaqué, compétence pour imposer la tenue d'un registre chronologique aux exploitants d'installations relevant des rubriques 2515 à 2517 de la nomenclature des installations classées qui assurent le transit ou le traitement de déchets inertes non dangereux ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'incompétence du ministre pour prendre les dispositions de l'arrêté attaqué doit être écarté ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions combinées du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement et de l'arrêté du 9 juillet 2008 modifié portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire que le directeur général de la prévention des risques, dont le décret de nomination a été publié au Journal officiel de la République française le 11 juillet 2008, avait qualité pour signer au nom du ministre, comme il l'a fait, l'arrêté attaqué ; que le moyen tiré du défaut de signature de l'arrêté par une personne habilitée à cette fin doit donc être écarté ;

En ce qui concerne la procédure d'élaboration de l'arrêté :

7. Considérant, en premier lieu, que la société requérante soutient que l'arrêté attaqué n'a pas été adopté, en méconnaissance du 4° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, au terme d'une procédure de consultation du public et de concertation à laquelle elle aurait dû participer comme acteur majeur de la filière de recyclage des déchets inertes ; que, toutefois, cette disposition législative se borne à énoncer des principes dont la portée a vocation à être définie dans le cadre d'autres lois ; que doit par suite, et en tout état de cause, être écarté le moyen tiré de ce que la procédure d'adoption de l'arrêté attaqué a méconnu l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;

8. Considérant, en second lieu, que si, par sa décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à l'article 7 de la Charte de l'environnement la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 17 mai 2011, qui soumettait à une obligation de publication, éventuellement par voie électronique, avant leur transmission au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, les projets d'arrêté du ministre chargé des installations classées fixant les règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations soumises à autorisation, les motifs et le dispositif de cette décision énoncent que la déclaration d'inconstitutionnalité prend effet le 1er janvier 2013 ; qu'il résulte ainsi de cette décision que le Conseil constitutionnel n'a pas entendu remettre en cause les effets que la disposition déclarée contraire à la Constitution avait produits avant la date de son abrogation ; que, par suite, la déclaration d'inconstitutionnalité du premier alinéa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement est sans incidence sur l'issue du présent litige, dirigé contre l'arrêté ministériel du 6 juillet 2011 définissant les conditions d'admission des déchets inertes dans les installations relevant des rubriques 2515, 2516 et 2517 de la nomenclature des installations classées ;

Sur la légalité interne de l'arrêté :

En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'ensemble de l'arrêté :

9. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 11 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour promouvoir le réemploi des produits (...). Les Etats membres prennent des mesures pour promouvoir un recyclage de qualité (...) 2. Afin de se conformer aux objectifs de la présente directive et de tendre vers une société européenne du recyclage, avec un niveau élevé de rendement des ressources, les États membres prennent les mesures nécessaires pour parvenir aux objectifs suivants : (...) b) d'ici 2020, la préparation en vue du réemploi, le recyclage et les autres formules de valorisation de matière, y compris les opérations de remblayage qui utilisent des déchets au lieu d'autres matériaux, des déchets non dangereux de construction et de démolition, à l'exclusion des matériaux géologiques naturels définis dans la catégorie 17 05 04 de la liste des déchets, passent à un minimum de 70 % en poids. (...) " ; que l'article L. 541-1 du code de l'environnement, issu de l'ordonnance du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets, précise, au sujet du chapitre Ier du titre IV du livre V de ce code, intitulé " prévention et gestion des déchets ", que : " les dispositions du présent chapitre et de l'article L. 125-1 ont pour objet : (...) 2° De mettre en oeuvre une hiérarchie des modes de traitement des déchets consistant à privilégier, dans l'ordre : a) La préparation en vue de la réutilisation ; / b) Le recyclage ; / c) Toute autre valorisation, notamment la valorisation énergétique ; / d) L'élimination ; / 3° D'assurer que la gestion des déchets se fait sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l'environnement, notamment sans créer de risque pour l'eau, l'air, le sol, la faune ou la flore, (...) " ;

10. Considérant, d'une part, que l'instauration par l'arrêté attaqué d'une procédure d'admission des déchets inertes dans les installations de recyclage identique à celle déjà applicable aux installations de stockage de ces mêmes déchets n'est pas de nature à méconnaître la hiérarchie établie en matière de gestion des déchets et la priorité donnée au réemploi et au recyclage des déchets par l'ordonnance du 17 décembre 2010 prise pour la transposition de la directive du 19 novembre 2008 ;

11. Considérant, d'autre part, que, contrairement à ce que se borne à affirmer la société requérante, la procédure d'admission prévue par l'arrêté attaqué ne fait pas peser sur les exploitants des installations concernées des contraintes qui, par leur intensité, seraient de nature à contrarier l'application des dispositions issues de l'ordonnance du 17 décembre 2010, prises pour assurer la transposition de la directive du 19 novembre 2008, et rappelées ci-dessus, en matière de réemploi et de recyclage des déchets non dangereux de construction et de démolition ;

12. Considérant, en deuxième lieu, que si le décret du 13 avril 2010 modifiant la nomenclature des installations classées distingue différentes rubriques correspondant à des catégories d'activités distinctes, il n'interdit pas davantage que des procédures similaires soient prévues pour ces activités, compte tenu de la nature identique des déchets admis dans les installations concernées et de la nécessité de s'assurer de leur absence de dangerosité ; que le moyen tiré de la méconnaissance du décret du 13 avril 2010 doit, par suite, être écarté ;

13. Considérant, en troisième lieu, que la directive du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets a pour objectif de prévenir ou de réduire autant que possible les effets négatifs de la mise en décharge des déchets sur l'environnement ; qu'en vertu de l'article 6 de cette directive, les États membres prennent des mesures pour que seuls les déchets déjà traités soient mis en décharge ; qu'alors même qu'il ne vise pas les installations de décharge, l'arrêté attaqué, en réglementant l'admission des déchets inertes non dangereux dans les installations de transit et de traitement relevant des rubriques 2515, 2516 et 2517 de la nomenclature des installations classées, concourt à la réalisation de l'objectif fixé par la directive du 26 avril 1999 ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les objectifs fixés par cette directive n'est pas fondé ;

14. Considérant, en dernier lieu, que le moyen tiré de ce qu'en prévoyant plusieurs procédures applicables à une même activité, l'arrêté attaqué formerait avec d'autres textes une réglementation complexe méconnaissant l'objectif de rationalisation et de globalisation du cadre juridique du traitement des déchets n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

En ce qui concerne les autres moyens :

S'agissant du document préalable à la livraison des déchets inertes :

15. Considérant que l'article 4 de l'arrêté attaqué impose aux exploitants des installations classées concernées de demander aux producteurs de déchets inertes de fournir, avant ou au moment de la livraison de tels déchets, un document précisant notamment l'origine des déchets et les résultats des procédures de vérification prescrites par les articles 5, 6 et 7 du même arrêté, puis de conserver ce document au moins trois ans à la disposition de l'inspection des installations classées ; que la production et la conservation de ce document répondent à l'objectif poursuivi de valorisation des déchets inertes par les installations visées aux rubriques 2515, 2516 et 2517 de la nomenclature des installations classées dans des conditions garantissant la protection de la santé humaine et de l'environnement ;

S'agissant des procédures de vérification de la non dangerosité des déchets :

16. Considérant, en premier lieu, que la société requérante soutient que la présence de goudron dans les enrobés bitumineux ayant cessé au début des années 1990, l'article 6 de l'arrêté attaqué impose de façon injustifiée un test systématique de détection de la présence de goudrons pour les enrobés bitumineux ; que, toutefois, au regard tant de l'état du réseau routier, lequel impose des travaux d'entretien et de réfection de chaussées construites avant cette période, que de la qualification de déchets dangereux qui est appliquée aux déchets contenant du goudron par l'annexe II de l'article R. 541-8 du code de l'environnement, l'arrêté attaqué a pu légalement imposer un test de détection des goudrons ;

17. Considérant, en deuxième lieu, que les déchets de ballast de voie étant susceptibles d'être admis dans certaines installations relevant des rubriques 2515 à 2517 de la nomenclature des installations classées à condition de ne pas contenir de substances dangereuses, l'article 7 de l'arrêté attaqué a pu légalement prévoir une analyse du contenu total de ces déchets permettant de détecter la présence de polluants faisant obstacle à leur acceptation dans les installations concernées ;

18. Considérant, en troisième lieu, que l'arrêté attaqué autorise l'admission de déchets contenant en faible quantité du plâtre ou des déchets organiques en raison de l'absence d'impact significatif pour la santé ou l'environnement ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté serait entaché d'illégalité en ce que la procédure d'acceptation des déchets ne comporte pas de test de teneur en sulfate ;

19. Considérant, en quatrième lieu, que si l'arrêté impose au producteur de déchets, lors de la livraison, et à l'exploitant, en cas d'acceptation, d'indiquer la quantité de déchets concernés, il leur appartient de choisir les moyens leur permettant de procéder à l'évaluation nécessaire ; que, dès lors, l'arrêté a pu légalement ne pas imposer que la vérification obligatoire des quantités entrantes soit réalisée par pesée ;

S'agissant de la tenue d'un registre d'admission :

20. Considérant que l'article 10 de l'arrêté attaqué dispose que l'exploitant tient à jour un registre d'admission dans lequel il consigne, pour chaque chargement de déchets, les informations que l'arrêté énumère ; que cette disposition n'a pas pour objet de définir le champ d'application de l'obligation de tenue d'un tel registre, posée par l'article R. 541-43 du code de l'environnement cité au point 4 mais de préciser, conformément à l'article R. 541-48 du même code cité au point 3, le contenu de ce registre ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'en imposant à l'ensemble des installations relevant de la rubrique 2515 l'obligation de tenir un registre, l'article 10 de l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article R. 541-43 du code de l'environnement qui exempte de la tenue d'un tel registre celles de ces installations qui exercent une activité de valorisation ne peut qu'être écarté ;

21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Yprema n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté attaqué ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Syndicat des recycleurs du BTP et de la société Moroni est admise.
Article 2 : La requête de la société Yprema est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Yprema, au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, au Syndicat des recycleurs du BTP et à la société Moroni.

ECLI:FR:CESSR:2013:353036.20131029
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