Conseil d'État, Juge des référés, 30/09/2013, 372375, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 25 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. C...D...et Mme B...E..., épouse D...demeurant... ; les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n°s 1306247 et 1306250 du 5 août 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leurs requêtes tendant, d'une part, à ce qu'il soit ordonnée la suspension des mesures de réadmission auprès des autorités polonaises prises par le préfet de la Sarthe à leur encontre le 14 décembre 2012, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Sarthe de les admettre au séjour au titre de l'asile dans le délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance, à défaut, de réexaminer leurs demandes d'admission au séjour dans le même délai ;

2°) de suspendre l'exécution des décisions de réadmission auprès des autorités polonaises prises le 14 décembre 2012 par le préfet de la Sarthe ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe de leur délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à la notification de la décision prise selon la procédure normale par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides sur leurs demandes d'asile ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la décision de leur remise aux autorités polonaises est susceptible d'être exécutée, qu'ils ont quatre enfants mineurs dont un en très bas âge et qu'ils vivent dans une situation de très grande précarité ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a entaché son ordonnance d'un défaut de motivation, d'une dénaturation des écritures des requérants et d'une erreur de droit en jugeant que le délai de transfert vers l'Etat membre responsable de la demande d'asile d'une durée de six mois prévu par le règlement Dublin II n'avait pas expiré ;
- le préfet de la Sarthe a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;


Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur ; il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés:


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. et Mme D..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 27 septembre 2013 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme D...;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes que M. et MmeD..., de nationalité russe, entrés irrégulièrement en France le 13 octobre 2012 y ont sollicité l'asile le 14 novembre 2012 ; que par deux décisions du 19 novembre 2012 le préfet de la Sarthe leur a refusé l'admission au séjour, en application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 et du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif que l'examen de leur demande d'asile relevait de la compétence de l'Etat polonais ; que le 22 novembre 2012, les autorités polonaises ont donné leur accord pour la prise en charge de ces demandeurs d'asile ; que, par des arrêtés du 14 décembre 2012, le préfet de la Sarthe a décidé la remise des époux D...aux autorités polonaises ; que, toutefois, pour tenir compte de l'état de santé de Mme D...alors enceinte, le préfet de la Sarthe a, d'une part, assigné à résidence M. et Mme D...par deux arrêtés du 20 février 2013 et du 5 avril 2013, d'autre part, informé, le 7 mai 2013, les autorités polonaises du report du transfert des requérants ; qu'enfin, après la naissance de l'enfant le 7 juin, par une décision du 26 juillet 2013, le préfet a convoqué les requérants, le 7 août 2013, auprès des services de police afin que la procédure de réadmission vers la Pologne soit mise en exécution ; que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative a, par une ordonnance en date du 5 août 2013, rejeté comme infondées les demandes présentées par ces derniers et tendant à la suspension de la mesure de réadmission et à l'octroi de l'admission au séjour au titre de l'asile ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 19 du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 : " (...) 3. Le transfert du demandeur de l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national du premier État membre, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge ou de la décision sur le recours ou la révision en cas d'effet suspensif. / 4. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement du demandeur d'asile ou à dix-huit mois au maximum si le demandeur d'asile prend la fuite " ; que selon le paragraphe 2 de l'article 20 de ce règlement : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, la responsabilité incombe à l'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert ou à l'examen de la demande en raison d'un emprisonnement du demandeur d'asile ou à dix-huit mois au maximum si le demandeur d'asile prend la fuite " ; qu'aux termes de l'article 8 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 : " Coopération en vue du transfert (...) / 2. Il incombe à l'État membre qui procède au transfert d'organiser le transport du demandeur et de son escorte et de fixer, en concertation avec l'État membre responsable, l'heure d'arrivée et, le cas échéant, les modalités de la remise du demandeur aux autorités compétentes. L'État membre responsable peut exiger un préavis de trois jours ouvrés " ; qu'aux termes de l'article 9 de ce règlement : " Report du transfert et transferts tardifs / 1. L'État membre responsable est informé sans délai de tout report du transfert dû, soit à une procédure de recours ou révision ayant un effet suspensif, soit à des circonstances matérielles telles que l'état de santé du demandeur, l'indisponibilité du moyen de transport ou le fait que le demandeur s'est soustrait à l'exécution du transfert. / 2. Il incombe à l'État membre qui, pour un des motifs visés à l'article 19, paragraphe 4, et à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 343/2003, ne peut procéder au transfert dans le délai normal de six mois prévu à l'article 19, paragraphe 3, et à l'article 20, paragraphe 1, point d), dudit règlement, d'informer l'État responsable avant l'expiration de ce délai. À défaut, la responsabilité du traitement de la demande d'asile et les autres obligations découlant du règlement (CE) n° 343/2003 incombent à cet État membre conformément aux dispositions de l'article 19, paragraphe 4, et de l'article 20, paragraphe 2, dudit règlement. / 3. Lorsque, pour un des motifs visés à l'article 19, paragraphe 4, et à l'article 20, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 343/2003, un État membre entreprend de procéder au transfert après le délai normal de six mois, il lui incombe d'engager au préalable les concertations nécessaires avec l'État membre responsable " ;

4. Considérant que le report du transfert prévu par l'article 9 § 1 du règlement n° 1560/2003 ne peut avoir légalement pour effet de déroger au délai normal de six mois en dehors des cas prévus par les articles 19 § 4 et 20 § 2 du règlement n° 343/2003 et rappelés aux paragraphes 2 et 3 de l'article 9 du règlement n° 1560/2003 ; que, par suite, en décidant, sur le fondement de cet article 9 § 1, la réadmission de M. et Mme D...vers la Pologne, malgré l'expiration du délai de six mois qui a couru, en l'absence de l'exercice de tout recours des intéressés contre les décisions préfectorales, à compter de l'acceptation par les autorités polonaises, le 22 novembre 2012, et sans que les conditions de dépassement de ce délai prévues par le règlement n° 343/2003 soient remplies, le préfet de la Sarthe a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile ;

5. Considérant, d'autre part, qu'une décision de remise à un Etat étranger, susceptible d'être exécutée d'office en vertu des articles L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, crée, pour son destinataire, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme D...sont fondés à soutenir que c'est à tort que l'ordonnance attaquée a rejeté leurs conclusions relatives aux effets des décisions du 14 décembre 2012 ; qu'il y a lieu de suspendre les effets des décisions de réadmission vers la Pologne et d'enjoindre à l'administration, qui n'oppose aux demandeurs que les dispositions du règlement n° 343/2003 et du règlement n° 1560/2003, de leur délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, l'autorisation provisoire de séjour au titre de l'asile prévue par l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, afin qu'ils puissent présenter à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides une demande d'admission au statut de réfugié que cet établissement devra examiner selon la procédure normale ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme D...de la somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'ordonnance nos 1306247 et 1306250 en date du 5 août 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 2 : Les effets des arrêtés du 14 décembre 2012 portant réadmission de M. et Mme D... vers la Pologne sont suspendus. Il est enjoint au préfet de la Sarthe de leur délivrer, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'à la notification de la décision, qui devra être prise selon la procédure normale, du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme D...la somme globale de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C...D..., à Mme B...E..., épouseD... et au ministre de l'intérieur.

ECLI:FR:CEORD:2013:372375.20130930
Retourner en haut de la page