Cour Administrative d'Appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 01/08/2013, 12NC01066, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 18 juin 2012, complétée par un mémoire en production du 19 février 2013, présentée pour M. et Mme F...A..., demeurant..., et M. C...D..., demeurant..., par Me Grillon, avocat ;

M. et Mme A...et M. D...demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1102806 en date du 18 avril 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 26 octobre 2010 par lequel le préfet du Haut-Rhin a accordé à M. E...une dérogation aux prescriptions de distance pour son exploitation ainsi que la décision de rejet du recours gracieux en date du 7 avril 2011 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 26 octobre 2010 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


M. et Mme A...et M. D...soutiennent que :

- les premiers juges se sont mépris en portant une appréciation sur " l'implantation d'un bâtiment " au lieu d'apprécier l'implantation de l'exploitation ; l'arrêté litigieux est imprécis sur ce point ; l'arrêté du 26 octobre 2010 n'est pas suffisamment précis quant aux dérogations de distance accordées ;

- les paragraphes 2.1.1 et 2.1.3 de l'arrêté du 7 février 2005 étaient applicables en l'espèce ; la dérogation accordée méconnaît les dispositions de l'article 2.1.1 de l'annexe I de l'arrêté du 7 février 2005, car l'exploitation de M. E...est située à proximité d'une zone NAc qui est une zone naturelle dite " d'urbanisation future ", urbanisable immédiatement ; la dérogation accordée est contradictoire car il est impossible de respecter tout à la fois l'article 1 et l'article 3 dudit arrêté ;

- c'est à tort que le Tribunal a considéré que le plan d'occupation des sols de la commune prévoyait une dérogation tacite à la règle des 100 m ; la dérogation ne peut être qu'expresse ;

- c'est à tort que le Tribunal a justifié la construction d'une fosse à lisier par l'existence d'un antécédent illégal ; le projet de création d'une fosse à lisier aurait dû justifier une analyse nouvelle de la situation ; le projet vise à déplacer une exploitation agricole sur le site " wiedenthal " où aucune exploitation n'avait encore été déclarée au titre de la réglementation sur les installations classées ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du principe de précaution et la dérogation accordée méconnaît l'article L. 511-1 du code de l'environnement, et plus particulièrement la salubrité publique en raison de la proximité du ruisseau " Witentalruns " ; la distance est supprimée ;


Vu le jugement et la décision attaqués ;


Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2012, présenté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ;

Il conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

- l'installation de M. E...est située au lieu dit " Wiedenthal " et non au centre de la commune, contrairement à ce que soutiennent les requérants ;

- les premiers juges n'ont commis aucune erreur de fait, ni sur l'implantation du bâtiment futur ni sur sa qualification en considérant que sa construction venait en remplacement de la plate forme bétonnée de stockage d'ensilage de maïs existante ;

- les dispositions relatives aux règles de distance n'ont pas été méconnues dès lors qu'il s'agissait d'un élevage existant ne comportant pas de bâtiments nouveaux ;

- la circonstance que les permis de construire afférents au bâtiment de stockage de fourrage et à la fosse pour le stockage des effluents ont été annulés par le Tribunal administratif, par un jugement du 31 janvier 2012, est sans incidence en vertu du principe d'indépendance des législations ;

- l'arrêté litigieux s'est contenté de déroger aux règles relatives aux installations classées pour la protection de l'environnement et n'a pas entendu déroger aux règles d'urbanisme ;

- l'arrêté du 26 octobre 2010 est suffisamment précis ;

- l'arrêté litigieux ne méconnait pas l'article L. 511-1 du code de l'environnement et prévoit en son article 6 des mesures compensatoires ; la seule circonstance que les requérants allèguent une prétendue atteinte à l'environnement n'impose pas au juge de mettre en oeuvre le principe de précaution ;

- l'arrêté litigieux ne méconnaît pas l'annexe I de l'arrêté ministériel du 7 février 2005 dès lors qu'il a entendu déroger à la règle des 35 mètres par rapport au cours d'eau, et implicitement à la règle des 100 mètres par rapport à la zone destinée à l'habitation ; les dispositions de l'arrêté ne sont pas contradictoires ;



Vu l'ordonnance portant clôture de l'instruction au 7 décembre 2012 ;

Vu l'ordonnance du 24 janvier 2013 portant report de clôture d'instruction du 7 décembre 2012 au 11 février 2013 ;

Vu l'ordonnance du 11 février 2013 portant report de clôture d'instruction au 25 février 2013 ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'arrêté du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l'environnement ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;






Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 juin 2013 :

- le rapport de Mme Steinmetz-Schies, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Ghisu-Deparis, rapporteur public,

- et les observations de Me Tronche, avocat de M. et Mme A...et de M. D... ;




Sur la légalité de l'arrêté en date du 26 octobre 2010 :

1. Considérant qu'aux termes de l'annexe I à l'arrêté ministériel du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou gibier à plumes et de porcs soumis à déclaration au titre du livre V du code de l'environnement : " (...) Article 2.1.1. : Règles générales : Les bâtiments d'élevage et leurs annexes sont implantés à au moins 100m des habitations des tiers (...) ou des locaux habituellement occupés par des tiers, des stades ou des terrains de camping agréés (...) ainsi que des zones destinées à l'habitation par des documents d'urbanisme opposables aux tiers ; (...)./ Le préfet, peut sur demande de l'exploitant, dès lors que la commodité du voisinage est assurée, réduire cette distance : - à 50 m lorsqu'il s'agit de bâtiments d'élevage de bovins sur litière ; - à 25 m lorsqu'il s'agit d'une installation située en zone de montagne, définie en application de l'article R 113-4 du code rural ; - à 15 m lorsqu'il s'agit d'ouvrages de stockage de paille et de fourrage. Dans ce cas, toute disposition doit être prise pour prévenir le risque d'incendie ; - à au moins 35 m des puits et forages, des sources, des aqueducs en écoulement libre, de toute installation souterraine ou semi-enterrée utilisée pour le stockage des eaux, que les eaux soient destinées à l'alimentation en eau potable ou à l'arrosage des cultures maraichères, des rivages, des berges des cours d'eau ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 2.1.4. de cet arrêté " Cas des élevages existants : Les dispositions du 2.1.1. et du 2.1.3. ne s'appliquent, dans le cas des extensions des élevages en fonctionnement régulier, qu'aux nouveaux bâtiments d'élevage ou à leurs annexes nouvelles. Elles ne s'appliquent pas lorsque l'exploitant doit, pour mettre en conformité son installation avec les dispositions du présent arrêté, réaliser des annexes ou aménager ou reconstruire sur le même site un bâtiment de même capacité. Sans préjudice de l'article L. 512-15 du code de l'environnement, dans le cas de modifications, notamment pour se conformer à de nouvelles normes en matière de bien-être animal, d'extensions ou de regroupement d'élevages en fonctionnement régulier ou fonctionnant au bénéfice des droits acquis conformément aux dispositions de l'article L. 513-1 du code de l'environnement, des dérogations aux dispositions du 2.1.1., 2.1.2 et du 2.1.3. peuvent être accordées par le préfet sous réserve de la préservation des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. / La distance d'implantation par rapport aux habitations des tiers, aux locaux habituellement occupés par des tiers, aux terrains de camping agréés ou aux zones destinées à l'habitation par des documents d'urbanisme opposables aux tiers ne peut pas être inferieure à 15 mètres pour les extensions d'ouvrages de stockage de paille et de fourrage et toute disposition doit être prise pour prévenir le risque incendie " ;


2. Considérant que les décisions prises sur le fondement de l'arrêté ministériel du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire certains élevages soumis à déclaration au titre du livre V du code de l'environnement permettant de déroger à des règles de distance sont soumises à un contentieux de pleine juridiction ; qu'il revient par suite au juge de faire application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date à laquelle il statue et d'apprécier, en tant que juge du plein contentieux, la possibilité d'une dérogation aux règles de distance ;


3. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté litigieux dispose en son article 1 que : " M. E...est autorisé à déroger aux dispositions définies au paragraphe 2.1.1. de l'annexe 1 de l'arrêté du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de vaches laitières soumis à déclaration ", en son article 2 que : " Cette dérogation concerne l'implantation d'un bâtiment de stockage fourrager et d'une fosse à lisier (...) à une distance inférieure à trente cinq mètres du cours d'eau intermittent présent sur le site, tel que présenté en annexe 1 " et enfin en son article 3 que " Les ouvrages seront construits, aménagés et exploités conformément aux plans et notices jointes à l'appui de la demande. En dehors de l'objet de la présente dérogation, les règles d'implantation, d'aménagement et d'exploitation du bâtiment seront conformes aux prescriptions fixées par l'arrêté du 7 février 2005 (...) " ; qu'il ressort des pièces du dossier que M.E..., exploitant agricole, qui, contrairement à ce que soutiennent les requérants, bénéficie d'un arrêté du 24 janvier 2005 portant déclaration d'existence relative à l'exploitation d'un élevage de vaches laitières dans un bâtiment situé sur le territoire de la commune de Stosswihr au lieu dit Wiedenthal section 22, parcelles 57, 58 et 59, s'est vu autoriser par l'arrêté litigieux de déroger seulement, ainsi que le précise son article 2, à la règle de distance par rapport aux cours d'eau, imposée par l'arrêté du 7 février 2005 précité, dans le but, d'une part, de réaménager un bâtiment de stockage existant B1 pour le logement de 50 vaches en logettes, le bloc de traite et la nurserie, d'autre part, de procéder à l'extension et à la couverture B2 d'une surface de stockage bétonnée existante S1 pour le stockage de fourrage et, enfin, de créer une fosse couverte enterrée pour le stockage des effluents, localisée sous une plate forme bétonnée existante S2 ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'arrêté litigieux n'avait pas à préciser la distance du bâtiment par rapport au cours d'eau, dès lors que celui-ci est busé et est situé principalement sous l'emplacement du bâtiment projeté ;


4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) " ; qu'il ressort des pièces du dossier que " Le site est traversé par un cours d'eau (...) qui a été busé sur 44 m ; ces travaux ont été réalisés antérieurement pour permettre l'accès au bâtiment existant et la mise en place des silos de stockage ; en aval de la plate forme bétonnée, le cours d'eau reprend son tracé naturel jusqu'à la zone pavillonnaire, où il se trouve à nouveau busé (...) " ; que si les requérants soutiennent que ce cours d'eau est sujet à une sensibilité et à une fragilité particulières, notamment due aux nitrates et aux produits phytosanitaires d'origine agricole, et que la dérogation d'implantation à moins de trente cinq mètres du ruisseau porte atteinte à l'environnement, il ressort du dossier de demande que M. E...souhaite construire une fosse à lisier couverte en remplacement d'une aire bétonnée nécessitée par la mise en conformité de l'exploitation, et dudit arrêté que des mesures compensatoires ont été prescrites en son article 6, telles que l'absence de stockage d'engrais, de produits phytosanitaires et de tous produits dangereux à moins de trente cinq mètres du cours d'eau ; que, par suite, l'arrêté litigieux permet d'assurer la protection des intérêts garantis par l'article L. 511-1 du code de l'environnement et ne méconnaît pas le principe de précaution rappelé à l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;


5. Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que les permis de construire afférents au bâtiment de stockage de fourrage et à la fosse pour le stockage des effluents ont été annulés par le Tribunal administratif de Strasbourg par un jugement du 31 janvier 2012 est sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux, eu égard à l'indépendance des législations ;


6. Considérant, en quatrième lieu, que, comme il a été dit ci-dessus, il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement du rapport de l'inspection des installations classées et des écrits du préfet, que l'arrêté litigieux a pour seul objet de permettre une dérogation à la règle de distance par rapport au cours d'eau, et ne contient aucune dérogation de distance par rapport aux zones destinées à l'habitation fixées par des documents d'urbanisme opposables aux tiers ; que si le ministre soutient qu'une telle dérogation n'était pas nécessaire en application de l'article 2.1.4 de l'arrêté de 2005 précité, dès lors qu'il s'agirait d'un élevage existant, il ressort des pièces du dossier que la fosse à lisier, qui constitue une annexe au sens des dispositions précitées, est destinée à mettre l'exploitation en conformité avec les normes en vigueur et que les règles de distance ne lui sont ainsi effectivement pas applicables ; que la réalisation d'un logement d'accueil de bovins aux lieu et place d'un bâtiment de stockage préexistant doit être considérée comme un bâtiment existant et non un nouveau bâtiment ; qu'en revanche, la réalisation d'un nouveau bâtiment de stockage, qui trouve son emprise en partie sur une surface existante bétonnée, destinée au stockage de fourrage, doit être considérée comme un nouveau bâtiment, auquel les règles de distance sont opposables ; que le préfet a ainsi commis un erreur d'appréciation en estimant que les règles de distance par rapport à la zone NAc n'étaient pas applicables ; qu'il s'ensuit que c'est à tort que, par l'article 3 de l'arrêté litigieux, le préfet a implicitement admis que le projet était conforme aux règles de distance par rapport aux zones habitées fixées par l'arrêté du 7 février2005 ;


7. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que M. et Mme A...et M. D... sont seulement fondés à demander l'annulation de l'article 3 de l'arrêté en date du 26 octobre 2010 ; que le jugement en date du 18 avril 2012 du Tribunal administratif doit être annulé dans cette mesure ;



Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M. et Mme A...et M.D..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :


Article 1er : L'article 3 de l'arrêté en date du 26 octobre 2010 du préfet du Haut-Rhin est annulé.

Article 2 : Le jugement n°1102806 en date du 18 avril 2012 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme F...A..., à M. C...D..., et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.


Copie en sera adressée à M. B...E....




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