COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON, 6ème chambre - formation à 3, 09/04/2013, 13LY00215, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée à la Cour par télécopie le 29 janvier 2013 et régularisée le 4 février 2013, présentée par la préfète de la Loire ;

La préfète de la Loire demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1206191, du 6 décembre 2012, par lequel le Tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 8 juin 2012 par lesquelles elle a refusé la délivrance d'un titre de séjour à M. C...B..., elle lui a fait obligation de quitter le territoire français, elle lui a accordé un délai de trente jours pour quitter volontairement le territoire français et elle a désigné le pays à destination duquel il serait reconduit d'office à l'issue de ce délai, lui a fait injonction de réexaminer la situation administrative de M. B...et a mis à sa charge la somme de 400 euros au profit du conseil de l'intéressé ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le Tribunal administratif ;

Elle soutient que si la décision de refus de délivrance de titre de séjour en litige n'est pas motivée en droit, cette circonstance est sans incidence sur sa légalité, s'agissant d'un refus de titre de séjour réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire pour lequel elle est en situation de compétence liée dès lors que la demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ; que tous les moyens de légalité externe et interne qui soulevés contre cette décision de refus de délivrance de titre de séjour sont inopérants, pour le même motif ; que M. B...n'a pas sollicité son admission exceptionnelle au séjour en France sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont il ne peut donc pas utilement se prévaloir ; qu'enfin, la décision fixant le pays de renvoi, qui a été prise après examen de la situation personnelle de l'intéressé, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute pour l'intéressé de justifier de l'existence de risques personnels et actuels en cas de retour au Kosovo ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré à la Cour le 13 mars 2013, présenté pour M. C...B..., domicilié ...qui conclut au rejet de la requête ;

M. B...demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la préfète de la Loire ;

2°) d'enjoindre à la préfète de la Loire, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le délai d'un mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à son profit ou au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

Il soutient que la décision de refus de délivrance de titre de séjour en litige n'est pas régulièrement motivée en droit ; que le préfet n'est en situation de compétence liée qu'en cas d'octroi du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire ; qu'en cas de refus de ce statut, il a toujours la possibilité d'accorder un titre de séjour au demandeur sur le fondement d'une autre disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment au titre de l'article L. 313-14 ; qu'en tout état de cause, le moyen tiré du défaut de motivation d'une décision est opérant même lorsque l'auteur de la décision se trouve en situation de compétence liée ; qu'il remplit les conditions pour être admis au séjour à titre exceptionnel en application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le refus qui lui a été opposé méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors qu'il remplit les conditions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour être autorisé à séjourner en France, l'obligation de quitter le territoire français qui lui est faite méconnaît les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'enfin, la décision fixant le pays de renvoi a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la décision du 20 mars 2013, par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel) a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M.B... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, relative à l'aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mars 2013 :

- le rapport de M. Le Gars, président,
- les conclusions de M. Reynoird, rapporteur public,
- et les observations de M.A..., représentant la préfète de la Loire ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., ressortissant du Kosovo, est arrivé en France le 2 octobre 2009, accompagné de son épouse ; qu'il a sollicité une première fois l'asile, qui lui a été refusé par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 19 mai 2010, confirmée le 4 janvier 2011 par la Cour nationale du droit d'asile ; que sa demande de réexamen du statut de réfugié a, à nouveau, été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, le 11 mai 2011, et que la Cour nationale du droit d'asile a confirmé cette décision de refus le 18 avril 2012 ; que, par arrêté du 8 juin 2012, la préfète de la Loire a refusé à M. B...la délivrance d'un titre de séjour en assortissant ce refus d'une décision lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et d'une décision désignant le Kosovo comme pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office à l'issue de ce délai ;

2. Considérant que, par jugement rendu le 6 décembre 2012, le Tribunal administratif de Lyon a annulé, pour insuffisance de motivation en droit, la décision du 8 juin 2012 par laquelle la préfète de la Loire a refusé la délivrance d'un titre de séjour à M. B...; qu'il est constant que cette décision a été prise en réponse à la demande d'admission au séjour au titre de l'asile présentée par M.B... ; que, dès lors que par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile, le statut de réfugié et le bénéfice de la protection subsidiaire avaient été refusés à M.B..., la préfète de la Loire était tenue de refuser à ce dernier la délivrance des titres de séjour prévus à l'article L. 313-13 et au 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l'espèce ; que la préfète de la Loire se trouvant ainsi en situation de compétence liée pour refuser le titre de séjour sollicité, le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision de refus n'est pas opérant ; qu'en conséquence, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a annulé, pour insuffisance de motivation, la décision de refus de délivrance de titre de séjour en litige ;

3. Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M.B..., tant devant le Tribunal administratif que devant la Cour ;

Sur la décision de refus de délivrance de titre de séjour :

4. Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il a déjà été dit, la préfète de la Loire était en situation de compétence liée pour refuser la délivrance d'un titre de séjour en qualité de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire à M.B... ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision est inopérant ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;

6. Considérant qu'il ressort des mentions de l'arrêté que la préfète a, subsidiairement, procédé à l'examen de la situation de M. B...au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que M. B...fait valoir qu'il séjourne avec son épouse depuis près de trois ans en France, où tous deux sont parfaitement insérés socialement, où les deux enfants du couple sont nés et où l'aînée a été scolarisée au mois de septembre 2012 ; que toutefois, cette durée de séjour en France, justifiée par l'examen, puis le réexamen, de la situation de l'intéressé au regard du droit d'asile, est, en tout état de cause, faible au regard de ses liens avec son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de trente-et-un ans, où il a épousé une compatriote, où il a conservé des attaches familiales, et où, en l'absence de risques personnels et actuels avérés, il pourra poursuivre une vie privée et familiale normale en compagnie de son épouse et de leurs deux enfants en bas âge, qui n'étaient pas scolarisés à la date de la décision en litige ; que, par suite, le refus de délivrance d'un titre de séjour opposé à M. B...n'a pas porté au droit de ce dernier au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts poursuivis et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. (...) " ;

8. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B...ait sollicité son admission au séjour en France à titre exceptionnel sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni que la préfète de la Loire se soit prononcée sur ce fondement par l'arrêté en litige ; que, par suite, M. B...ne saurait utilement se prévaloir de ces dispositions à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision de refus de délivrance de titre de séjour prise à son encontre le 8 juin 2012 ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

9. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté a été signé par M. Patrick Ferin, secrétaire général de la préfecture de la Loire, qui a reçu délégation de signature de la préfète de la Loire, par arrêté préfectoral du 10 février 2012, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Loire, lui donnant compétence pour signer les décisions faisant obligation à un étranger de quitter le territoire et désignant le pays de renvoi ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte en litige manque en fait ;

10. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré. (...) " ;

11. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., ressortissant du Kosovo, s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour par décision du 8 juin 2012 ; qu'ainsi, à la date de l'arrêté attaqué, soit le même jour, il était dans le cas prévu par les dispositions précitées du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français ; que, par suite, l'obligation de quitter le territoire français en litige n'est pas entachée d'erreur de droit au regard de ces dispositions ;
12. Considérant, en troisième lieu, que M. B...ne saurait utilement se prévaloir, pour contester l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre, des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne portent pas sur l'attribution de plein droit d'un titre de séjour ;
Sur la décision désignant le pays de destination :

13. Considérant, en premier lieu, que, pour les motifs énoncés ci-avant dans le cadre de l'examen de la compétence du signataire de l'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision fixant le pays de renvoi doit être écarté comme non fondé ;

14. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...)Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950." et que ce dernier texte énonce que " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " ;

15. Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

16. Considérant que M. B...soutient que, propriétaire de deux restaurants au Kosovo, il a été victime de racket et d'agressions, ce qui l'a conduit à quitter ce pays avec son épouse, et que des membres de sa famille ont subi de nouvelles agressions depuis leur départ du Kosovo, où ils seraient toujours personnellement menacés s'ils devaient y retourner, sans que les autorités kosovares ne soient en mesure de les protéger ; que, toutefois, M. B...n'établit pas, par son récit et les pièces du dossier, la réalité des faits allégués et des risques personnels et actuels qu'il encourrait en cas de retour au Kosovo ; que, par suite, en désignant ce pays comme destination de la mesure d'éloignement prise à son encontre, la préfète de la Loire n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la préfète de la Loire est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 8 juin 2012 par lesquelles elle a refusé la délivrance d'un titre de séjour à M. B..., elle lui a fait obligation de quitter le territoire français, elle lui a accordé un délai de trente jours pour quitter volontairement le territoire français et elle a désigné le pays à destination duquel il serait reconduit d'office à l'issue de ce délai, lui a fait injonction de réexaminer la situation administrative de M. B...et a mis à sa charge la somme de 400 euros au profit du conseil de l'intéressé ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. B... :

19. Considérant que le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète de la Loire de délivrer un titre de séjour à M. B...ou de réexaminer sa situation administrative doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de M. B...tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, quelque somme que ce soit au profit du conseil de M.B..., au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens ;


DECIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1206191, rendu le 6 décembre 2012 par le Tribunal administratif de Lyon, est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...B...devant le Tribunal administratif de Lyon et le surplus de ses conclusions devant la Cour sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B..., à la préfète de la Loire et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2013 à laquelle siégeaient :
M. Le Gars, président de la Cour,
M. Clot, président de chambre,
M. Picard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 avril 2013,
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