Conseil d'État, Juge des référés, 05/03/2013, 366340

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 25 février 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. A...B..., élisant domicile chez chez Franceterre d'asile n° GA 126215, BP 383 à Paris (75018) ; le requérant demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1301942/9 du 22 février 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 janvier 2013 du préfet de police refusant de l'admettre au séjour au titre de l'asile et le remettant aux autorité hongroises, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de l'admettre au séjour à titre provisoire et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

2°) de suspendre cet arrêté et d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un document justifiant qu'il est autorisé à séjourner sur le territoire pendant l'examen de sa demande d'asile et lui permettant de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

3°) de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


il soutient que :
- le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit en retenant que la condition d'urgence n'était pas remplie alors que le refus de séjour qui lui est opposé le prive de conditions matérielles d'accueil décentes et que l'ordre de remise aux autorités hongroises, qui est susceptible d'être exécuté d'office, créé à son profit une situation d'urgence, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
- l'ordonnance est entachée d'un défaut de motivation dès lors qu'elle ne répond pas au moyen, soulevé dans la note en délibéré, tiré de ce que le préfet de police a dépassé le délai de trois mois prévu par l'article 17, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 pour saisir les autorités hongroises d'une demande de prise en charge ;
- le préfet de police a dépassé le délai de trois mois prévu par l'article 17, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 pour saisir les autorités hongroises d'une demande de prise en charge dès lors que M. B...doit être regardé comme ayant déposé sa demande d'asile le 9 août 2012 et que les autorités hongroises n'ont été saisies d'une demande de prise en charge que le 19 novembre suivant ;
- le préfet de police ne pouvait pas légalement se fonder sur le signalement de l'intéressé au fichier SIS II, dès lors que ce signalement ne lui a pas été notifié et qu'il ne constitue pas un indice permettant de considérer que les autorités hongroises étaient responsables de la demande d'asile ;
- que l'arrêté attaqué a été pris sans que le requérant ait pu présenter ses observations, comme l'exige l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- ainsi qu'il ressort du traitement qui lui a été réservé lors de l'examen de sa demande d'asile et des documents qu'il verse au dossier sur le traitement réservé, en pratique, depuis 2010, par les autorités hongroises aux demandeurs d'asile qu'elles reprennent en charge, ces autorités n'offrent pas l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ;
- il en résulte que le préfet de police a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu l'intervention, enregistrée le 26 février 2013, présentée par la Cimade, dont le siège est situé 64, rue Clisson à Paris (75013), représentée par son président en exercice, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, qu'elle a intérêt à intervenir ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 février 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;

il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que, d'une part, le requérant a manifestement tardé à introduire sa demande en référé, et que, d'autre part, il n'établit pas en quoi l'arrêté contesté serait de nature à porter préjudice à sa vie personnelle et familiale ;
- l'ordonnance attaquée n'avait pas à répondre au moyen soulevé dans la note en délibéré, qui était inopérant ;
- le préfet de police n'a pas méconnu l'article 17, paragraphe 1, du règlement du 18 février 2003 dès lors que le requérant n'a pas déposé de demande d'asile complète avant le 24 octobre 2012, qu'il a déjà été admis que des délais de convocation pouvaient être prévus pour tenir compte de l'afflux de demandeurs d'asile et des moyens dont l'administration dispose pour traiter les demandes, et que les dispositions invoquées ne sont pas applicables au requérant, lequel a fait l'objet d'une reprise en charge sur le fondement de l'article 16, paragraphe 1, sous e) du règlement, dans les conditions prévues par l'article 20, auquel ce dernier renvoie, qui ne prévoit aucune condition de délai de saisine ;
- le signalement au système SIS II n'est pas le fondement de l'arrêté contesté ;
- l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoit une obligation préalable à l'exécution d'office de l'arrêté, ne peut pas être utilement invoqué pour contester la légalité de ce dernier ;
- le requérant, qui ne saurait utilement se prévaloir de documents généraux et ne fait état d'aucun élément concret à cet égard, ne justifie pas que son droit de demander l'asile serait méconnu en Hongrie, où sa première demande d'asile a été examinée et rejetée ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 1er mars 2013, présenté par M. B..., qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B...ainsi que la Cimade, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 1er mars 2013 à 15 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Rousseau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- M.B... ;
- le représentant de M. B... ;
- la représentante du ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au lundi 4 mars à 12 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 4 mars 2013, présenté par la Cimade, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ; elle fait valoir, en outre, que M. B...relève des dispositions de l'article 16, paragraphe 1, sous a) du règlement du 18 février 2003 et non de celles du e) du même paragraphe ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 du Conseil ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;



Sur l'intervention de la Cimade :

1. Considérant que la Cimade a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;

Sur la requête d'appel :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

3. Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le 1° de cet article permet de refuser l'admission au séjour en France d'un demandeur d'asile lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat membre de l'Union européenne en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ; que l'article 16 de ce règlement définit, dans son paragraphe 1, les obligations qui pèsent sur l'État membre qui est responsable de l'examen d'une demande d'asile et mentionne différents cas dans lesquels celui-ci doit " reprendre en charge " le ressortissant d'un pays tiers, notamment le cas, prévu au e), où l'État membre responsable a rejeté la demande d'asile formée par ce ressortissant et où celui-ci " se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d'un autre État membre " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A...B..., de nationalité afghane, est entré en France, selon ses dires, le 18 juillet 2012 ; que, le 9 août 2012, il s'est présenté à la préfecture de police, où il s'est vu remettre une convocation lui demandant de se présenter de nouveau à la préfecture, le 24 octobre 2012, avec les pièces requises par l'article R. 741-2 du code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, le 24 octobre 2012, le préfet de police a enregistré la demande d'admission au séjour au titre de l'asile de M. B... et, le système " EURODAC " ayant révélé que ses empreintes étaient identiques à celles relevées dans un autre Etat membre, l'a informé qu'il pourrait faire l'objet d'une procédure de réadmission vers ce dernier ; que, le 19 novembre 2012, la France a demandé sa reprise en charge par la Hongrie sur le fondement des dispositions de l'article 16, paragraphe 1, sous e) du règlement du 18 février 2003, et non sur le fondement de l'article 10, paragraphe 1, du même règlement, comme l'a mentionné par erreur le préfet de police dans ses écritures de première instance ; que la Hongrie a accepté de reprendre en charge M. B...le 27 novembre suivant ; que, par un arrêté du 17 janvier 2013, notifié le 23 janvier, le préfet de police a refusé d'admettre au séjour M. B...et ordonné sa remise aux autorités hongroises, en lui laissant un délai de trente jours pour quitter volontairement le territoire français ; qu'il lui a délivré, en outre, un laissez-passer pour retourner en Hongrie, valable jusqu'au 28 février 2013 ; que M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance du 22 février 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de cet arrêté et à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de l'admettre provisoirement au séjour et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4. Considérant, d'une part, que M. B...soutient que la Hongrie a cessé d'être responsable de l'examen de sa demande d'asile dès lors que les autorités françaises ont demandé sa reprise en charge aux autorités hongroises au-delà du délai de trois mois prévu à l'article 17, paragraphe 1, de ce règlement ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui a présenté une première demande d'asile en Hongrie le 19 mars 2010 et dont la demande a été rejetée le 22 mars 2012, était au nombre des ressortissants de pays tiers qui peuvent faire l'objet d'une reprise en charge au titre du e) du paragraphe 1 de l'article 16 du règlement, laquelle s'effectue " dans les conditions prévues à l'article 20 " du même règlement, auquel ces dispositions renvoient et qui ne prévoit pas que la requête de reprise en charge doive être présentée dans un délai déterminé ; qu'en outre et en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B...aurait déposé une demande d'asile conforme aux prescriptions de l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile plus de trois mois avant la date à laquelle les autorités françaises ont demandé sa reprise en charge à la Hongrie ;

6. Considérant, d'autre part, que la Hongrie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il en résulte que des documents d'ordre général relatifs aux modalités d'application des règles relatives à l'asile par les autorités hongroises ne sauraient suffire à établir que la réadmission d'un demandeur d'asile vers la Hongrie serait, par elle-même, constitutive d'une atteinte grave au droit d'asile ; qu'il ne ressort pas non plus des allégations imprécises et, au demeurant, non étayées du requérant sur les conditions de son séjour en Hongrie, où, ainsi qu'il a été dit, il a déjà présenté une demande d'asile, qui a été examinée puis rejetée, que son dossier ne serait pas traité par les autorités hongroises dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ;

7. Considérant, enfin, que M. B...ne saurait utilement invoquer à l'encontre de l'arrêté attaqué les dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux termes desquelles la décision de remise à un Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile " peut être exécutée d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix ", qui n'imposent pas de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations avant l'adoption de la décision de remise mais uniquement avant son exécution d'office ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'a pas porté d'atteinte manifestement illégale au droit d'asile en prenant l'arrêté litigieux ; qu'ainsi, M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par suite, et sans qu'il y ait lieu d'admettre provisoirement M. B...au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Cimade est admise.
Article 2 : La requête de M. B...est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B..., à la Cimade et au ministre de l'intérieur.

ECLI:FR:CEORD:2013:366340.20130305
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