Cour Administrative d'Appel de Versailles, 1ère Chambre, 11/09/2012, 11VE01552, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 28 avril 2011 au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour la société FINANCIERE PINAULT ayant son siège 12 rue François 1er à Paris (75008), par la société d'avocats CMS Bureau Francis Lefebvre ; la société FINANCIERE PINAULT demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0910093 en date du 3 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la rectification de ses résultats déficitaires des exercices 2004 et 2005 ;

2°) de prononcer la rectification sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme qu'elle se réserve de chiffrer en cours d'instance ;

Elle soutient que le Tribunal administratif a méconnu le caractère contradictoire de la procédure en s'abstenant de lui communiquer le mémoire en défense reçu le 10 janvier 2011 ; qu'il ressort clairement de la lettre de l'article 145-1 du code général des impôts que l'application du régime mère-fille est uniquement liée à une condition de détention d'au moins 5 % du capital de la filiale et non des droits de vote ; qu'à cet égard, si, comme l'a retenu à tort le Tribunal, le législateur avait entendu réserver l'éligibilité au régime mère-fille aux seules participations représentant à la fois un pourcentage des droits financiers et des droits de vote de la société émettrice, il l'aurait clairement indiqué au sein de cet article comme il l'a fait à l'article 145-6-b du code précité qui, lui, distingue le capital des droits de vote ; qu'en outre, s'il est vrai que dans le cadre du régime d'intégration fiscale, la détention de 95 % du capital d'une société s'entend de la détention du droit à dividendes et des droits de vote, cette solution se fonde sur un texte spécial, à savoir l'article 46 quater-O ZF de l'annexe III au code général des impôts, mais aucun texte de même nature ne permet de déroger aux dispositions de l'article 145-1 ; que, de surcroît, le service ne saurait s'appuyer sur l'instruction du 28 juin 2001 (4 H 1-01) qui, sur le point litigieux, ajoute à la loi fiscale ; qu'enfin, et à titre subsidiaire, elle est fondée à se prévaloir des dispositions de la directive 90/435 du 23 juillet 1990, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, qui prévoit que, sauf pour un Etat membre de substituer le critère des droits de vote au critère de participation dans le capital, faculté dont le législateur français n'a pas fait usage, seul ce dernier critère est applicable ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la directive n° 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 août 2012 :

- le rapport de M. Huon, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Dioux-Moebs, rapporteur public ;


Considérant que la société holding Simetra Obligations, qui a été absorbée, avec effet au 1er janvier 2006, par la société Artemis, elle-même membre du groupe d'intégration fiscale de la société FINANCIERE PINAULT, détenait, au 23 décembre 2004, 22 millions de titres de la société Bouygues, représentant 6,61 % des droits financiers et 5,26 % des droits de vote de cette société ; qu'ayant opté pour l'application du régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, la société a, au titre de ses exercices 2004 et 2005, exclu de ses bénéfices imposables les dividendes afférents aux titres détenus depuis plus de deux ans sous réserve d'une quote-part pour frais et charges égale à 5 % desdites distributions ; qu'à l'occasion d'une vérification de comptabilité, l'administration a relevé que si, du fait des cessions intervenues, la société Simetra Obligations possédait toujours plus de 5 % du capital de la société Bouygues, elle ne détenait plus que 4,70 % des droits de vote en 2005 et 4,71 % en 2006 ; qu'aux termes d'une proposition de rectification du 18 décembre 2007, le service a remis en cause l'application du régime des sociétés mères aux produits de l'ensemble des actions de la société Bouygues au motif que celles-ci ne représentaient pas à la fois 5 % du capital et des droits de vote de cette société ; que la société FINANCIERE PINAULT relève appel du jugement du 3 février 2011 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la rectification de ses résultats déficitaires à hauteur des réintégrations opérées par voie de conséquence, soit 52 668 000 euros et 12 112 500 euros respectivement au titre des exercices 2004 et 2005 ;


Sur les conclusions à fin de décharge et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

Considérant qu'aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'exercice 2004 : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : (...) / b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s'apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation (...) / c. Les titres de participations doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans (...) / 6. Le régime fiscal des sociétés mères n'est pas applicable : (...) b. ter Aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote (...) " ; qu'aux termes de ce même article, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, applicable pour la détermination des résultats des exercices clos à compter du 31 décembre 2005 : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : (...) / b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s'apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation (...) / c. Les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans (...) / 6. Le régime fiscal des sociétés mères n'est pas applicable : b. ter aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote, sauf si la société détient des titres représentant au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice (...) " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions, qui ne recèlent aucune obscurité justifiant qu'il soit recouru, pour apprécier leur portée, aux travaux préparatoires des lois dont elles sont issues, que le régime fiscal des sociétés mères qui tend à prévenir le risque de double imposition des dividendes provenant des filiales et a pour objectif de favoriser les concentrations d'entreprises, est soumis notamment à la condition que la société qui entend en réclamer le bénéfice détienne des titres de participation représentant au moins 5 % du capital de la société émettrice ; que, si le b. ter du 6. de l'article 145 du code général des impôts exclut en principe de ce régime les produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote, il n'a pas pour effet d'en réserver l'application au seul cas où les participations détenues par la société mère représenteraient à la fois plus de 5 % du capital et plus de 5 % des droits de vote de la filiale ; qu'il en résulte que, sous réserve du respect des autres conditions fixées par l'article 145, dès lors que le premier de ces critères est rempli, les dividendes afférents aux titres assortis d'un droit de vote bénéficient du régime d'exonération institué par les dispositions de l'article 216 du code ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les participations détenues pendant plus de deux ans par la société Simetra Obligations dans la société Bouygues représentaient plus de 5 % du capital de cette société ; que, si le cumul des droits de vote dont disposait la société était inférieur à ce seuil, et, ce, du fait que des tiers possédaient des actions auxquelles étaient attachés des droits de vote doubles, cette circonstance est sans incidence sur l'éligibilité des participations en cause au régime des sociétés mères dès lors que chacune des actions concernées était assortie d'un droit de vote ; que, par suite, en écartant l'application de ce régime au motif que les droits de vote dont la société Simetra Obligations était titulaire représentaient moins de 5 % des droits de vote de la société distributrice, le service a fait une inexacte application de la loi fiscale ; qu'il en résulte que la société FINANCIERE PINAULT est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société FINANCIERE PINAULT et non compris dans les dépens ;


DECIDE :


Article 1er : Le jugement n° 0910093 du 3 février 2011 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés notifiées à la société Artemis venant aux droits de la société Simetra Obligations sont réduites à hauteur de 52 668 000 euros et 12 112 500 euros respectivement au titre des exercices 2004 et 2005.

Article 3 : Les résultats déficitaires du groupe fiscal dont la société Artemis est membre et dont la société FINANCIERE PINAULT est intégrante sont rectifiés en conséquence des réductions de bases prononcées à l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : L'Etat versera à la société FINANCIERE PINAULT une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par la société FINANCIERE PINAULT sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

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