Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 20/04/2011, 342850

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi, enregistré le 30 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 09BX01771 - 09BX01772 du 27 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du 3 juillet 2009 par laquelle le tribunal administratif de Basse-Terre l'a condamnée à verser une provision de 58 258,43 euros, avec intérêts, à la société Serco correspondant au montant d'une facture impayée émise au titre de l'exécution d'un contrat de location de journaux électroniques d'information ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Serco le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Balat, avocat de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et de la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la société Serco,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Balat, avocat de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et à la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la société Serco ;



Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT a conclu en 1991 avec la société Serco un marché de mobilier urbain ayant pour objet la location de trois journaux électroniques d'information pour une durée de dix ans ; que ce contrat a été renouvelé en 2001, puis en 2006, en application d'une clause de tacite reconduction d'une durée de cinq ans ; que, par une ordonnance du 3 juillet 2009, le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a condamné la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à verser à la société Serco une provision de 58 258,43 euros en paiement d'une facture correspondant à l'exécution de ce marché au titre du second semestre de l'année 2008 ; que la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 mai 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre ;

Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d'une part à la gravité de l'illégalité et d'autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;

Considérant que, pour retenir que le litige opposant la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à la société Serco pouvait être réglé sur le fondement du contrat, la cour administrative d'appel de Bordeaux a d'abord considéré que l'irrégularité alléguée relative à la passation du marché, tenant au recours à la procédure négociée prévue par l'article 312 bis du code des marchés publics alors en vigueur en méconnaissance des conditions fixées par cet article, se rattachait à la procédure de choix du cocontractant et ne concernait ni le contenu du contrat ni les conditions dans lesquelles les parties avaient donné leur consentement ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la gravité de cette irrégularité et les circonstances dans lesquelles elle avait été commise n'imposaient pas d'écarter le contrat pour le règlement du litige, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 27 mai 2010 doit être annulé ;

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " ;

Considérant que, pour condamner la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à verser à la société Serco une provision, le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a considéré que l'obligation dont se prévalait cette dernière sur le fondement du contrat la liant à la commune n'était pas sérieusement contestable à hauteur de 58 258,43 euros ;

Considérant que le contrat dont la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT invoque l'application a été conclu en 2006 en application de la clause de tacite reconduction présente dans le contrat initialement conclu en 1991 avec la société Serco ; que, toutefois, l'irrégularité tenant à la conclusion du contrat en application d'une clause de tacite reconduction, eu égard à sa gravité et sans même que le juge du référé provision, compte tenu de son office, ait à examiner les circonstances dans lesquelles elle a été commise, ne permet pas de regarder l'obligation qui découlerait de ce contrat comme non sérieusement contestable ; que, par suite, la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a considéré que l'obligation dont se prévalait la société Serco sur le fondement du contrat la liant à la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT, reconduit en 2006 en application de la clause de tacite reconduction, n'était pas sérieusement contestable et l'a condamnée sur ce fondement à verser une provision de 58 258,43 euros à cette dernière ;

Considérant qu'il y a lieu d'examiner, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, l'autre moyen soulevé par la société Serco et tenant au caractère non sérieusement contestable de la créance dont elle se prévaut sur la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT au titre de l'enrichissement sans cause de cette dernière ;

Considérant que la réalité et l'utilité des prestations de mise à disposition de journaux électroniques au titre de la période du 1er juillet au 31 décembre 2008 ne sont pas sérieusement contestées par la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT ; que, compte tenu de la contestation portant sur le montant de la créance, l'obligation dont se prévaut la société Serco au titre de ces prestations doit être regardée comme non sérieusement contestable à hauteur de 30 000 euros ; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT à lui verser une provision de ce montant ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de faire droit aux conclusions de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT tendant à la constitution de garanties, que celle-ci doit être condamnée à verser à la société Serco une provision de 30 000 euros ; que cette somme portera intérêts à compter du 6 février 2009, date à laquelle la société Serco en a demandé le paiement à la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT dans sa requête introductive d'instance enregistrée au greffe du tribunal administratif de Basse-Terre ; que la société, dont la demande de capitalisation des intérêts a été présentée dans cette même requête, a également droit, en application de l'article 1154 du code civil, à la capitalisation des intérêts à compter du 7 février 2010, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT la somme demandée par la société Serco au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu non plus de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la société Serco ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 27 mai 2010 est annulé.

Article 2 : La COMMUNE DE BAIE-MAHAULT est condamnée à verser à la société Serco une provision de 30 000 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 6 février 2009. Les intérêts de la provision échus à la date du 7 février 2010 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre du 3 juillet 2009 est réformée en ce qu'elle a de contraire au précédent article.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et la société Serco au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE BAIE-MAHAULT et à la société Serco.

ECLI:FR:CESSR:2011:342850.20110420
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