Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 01/04/2009, 315586

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 avril 2008 et 9 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE ; la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance du 2 avril 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Baudin Chateauneuf, annulé la procédure de passation du marché de réalisation d'un ouvrage d'art sur la Loire emprunté par l'autoroute A.87 ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2004/18 du 31 mars 2004 du Parlement européen et du conseil ;

Vu l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;

Vu la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société Beaudin Châteauneuf,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;


La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE et à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société Beaudin Châteauneuf ;




Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (...) Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l'Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. (...) Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que par avis publié au Journal officiel de l'Union européenne le 2 mai 2007 et dans la revue le Moniteur le 4 mai 2007, la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE a fait connaître son intention de conclure un marché pour la réalisation d'un ouvrage permettant le franchissement de la Loire entre Angers et la Roche-sur-Yon ; que cet avis indiquait que la société examinerait les offres comprenant, soit la réalisation d'un tablier en ossature mixte acier-béton (option dite A), soit la réalisation d'un tablier en béton pré-contraint (option dite B) ; que l'unique critère de sélection affiché était le prix ; que la société indiquait à l'article 4 du règlement particulier de l'appel d'offres qu'à prix égal, cette égalité étant caractérisée par un écart de prix inférieur à 3%, elle accorderait sa préférence à l'option B ; que la société Baudin-Chateauneuf, mandataire d'un groupement incluant également les sociétés ETPO et Demathieu et Bard, dont la candidature avait été retenue, a présenté une offre conforme à l'option A ; que par courrier en date du 13 mars 2008, reçu par la société Baudin Chateauneuf le 17 mars 2008, la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE a informé le groupement que son offre n'était pas retenue, au motif que l'autorité concédante aurait finalement décidé que ne seraient examinées que les offres conformes à l'option B ; que sur référé précontractuel introduit par la société Baudin-Chateauneuf, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a annulé la procédure ; que la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;

Sur la compétence du juge des référés précontractuels du tribunal administratif :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence susvisée : Fait l'objet de mesures de publicité définies par décret en Conseil d'Etat la passation des contrats dont le montant est égal ou supérieur à un seuil fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie que se proposent de conclure avec des tiers les titulaires d'un contrat mentionné à l'article 9 ou d'un contrat de même nature que ce dernier, conclu par l'Etat (...), lorsque ces titulaires ne sont pas soumis au code des marchés publics ou ne figurent pas à l'article 9 ; qu'en vertu de l'article 9 de la même loi, font l'objet de mesures de publicité définies par décret en Conseil d'Etat la passation des contrats dont le montant est égal ou supérieur à un seuil fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie dont l'objet est de réaliser tous travaux de bâtiment ou de génie civil et que se proposent de conclure, lorsque la rémunération de l'entrepreneur consiste en tout ou partie dans le droit d'exploiter l'ouvrage, certaines collectivités publiques ou certains organismes privés satisfaisant un besoin d'intérêt général ; qu'aux termes de l'article 11-2 en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des contrats définis aux articles 9 et 11 et relevant du droit public, la procédure applicable est celle de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; qu'il résulte de ces dispositions que les contrats conclus par les sociétés d'autoroutes, elles-mêmes titulaires d'un contrat de concession conclu avec l'Etat, de même nature que ceux visés à l'article 9, et qui ont un caractère de droit public, sont soumis aux dispositions de l'article 11 ; que la conclusion de ces contrats est ainsi soumise à des obligations de publicité dont le juge des référés du tribunal administratif peut sanctionner la méconnaissance sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles était compétent pour statuer sur la demande en référé précontractuel introduite par la société Baudin-Chateauneuf au regard des obligations de publicité qui s'imposaient à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE ;

Sur les conclusions aux fins de non-lieu présentées par la société Baudin-Chateauneuf :

Considérant que cette société soutient que le pourvoi aurait perdu son objet dès lors que la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE a, par avis publié au Journal officiel de l'Union européenne du 2 mai 2008, lancé une nouvelle procédure pour le même objet ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette nouvelle procédure, mise en oeuvre pour tirer les conséquences de l'annulation de la précédente sans que la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE ait entendu renoncer à cette dernière dans l'hypothèse où l'ordonnance contestée serait annulée et la demande de la société Baudin Chateauneuf rejetée, ait donné lieu à la signature d'un contrat ; que, dès lors, le pourvoi conserve son objet ;

Sur le bien-fondé de l'ordonnance :

Considérant que si la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE soutient en premier lieu que le juge des référés précontractuels aurait insuffisamment motivé son ordonnance en tant qu'elle fait entrer le marché litigieux dans le champ d'application de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1991 précitée, il a cependant suffisamment exposé les éléments de son raisonnement pour permettre au juge de cassation d'exercer son contrôle ; qu'il suit de là que le moyen doit être rejeté ;

Considérant en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 3 janvier 1991 que le contrat de droit public envisagé par la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE, elle-même titulaire d'un contrat de concession signé avec l'Etat, entrait dans le champ d'application des articles 9 et 11 de cette loi et se trouvait donc soumis à des obligations de publicité dont le juge administratif est susceptible de sanctionner la méconnaissance en application de l'article 11-2 de la même loi , suivant la procédure fixée par l'article L. 551-1 du code de justice administrative ; qu'ainsi qu'il a été dit, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE a dans son appel d'offres initial proposé aux entreprises candidates deux solutions techniques différentes, avant de n'examiner que les offres correspondant à l'une de ces solutions ; qu'en agissant ainsi, elle a modifié les critères de sélection après le dépôt de leurs offres par les candidats ; que ce changement des critères d'attribution du marché, lesquels devaient être portés à l'information des candidats dès l'engagement de la procédure, a donc conduit au choix d'une offre sur la base de critères qui n'avaient pas fait l'objet d'une information appropriée des candidats dès l'engagement de la procédure ; que ce changement des critères de sélection, qui a été de nature à léser l'entreprise Baudin Chateauneuf eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte, constituait ainsi un manquement aux règles de publicité auxquelles était soumise la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE et dont il incombait au juge des référés précontractuels de sanctionner la méconnaissance ; que dès lors, en annulant à ce titre la procédure de passation du marché litigieux, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique ;

Considérant enfin que la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE soutient que le juge des référés précontractuels aurait, d'une part insuffisamment motivé son ordonnance en ne répondant pas au moyen tiré de ce que le changement de critères aurait été imposé par l'autorité concédante, et d'autre part, commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération le fait du prince auquel elle était soumise ; que cependant, à supposer même que le changement de critères ait été imposé par l'autorité concédante, cette circonstance ne dispensait pas la société d'informer les entreprises candidates de ce changement d'exigence et était par conséquent, sans incidence sur le nécessaire respect par l'intéressée de ses obligations légales en matière de publicité ; qu'en ne répondant pas à ce moyen inopérant et en ne le prenant pas en considération, le juge des référés n'a ni entaché son ordonnance d'une insuffisance de motivation ni commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter le pourvoi de la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE ;










D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE DES AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE, à la société Baudin Châteauneuf, à la société Eiffage TP et à la société ETPO.

Retourner en haut de la page