Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 06/03/2009, 324064, Publié au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi, enregistré le 13 janvier 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE BIOMERIEUX, dont le siège est 5 rue des Aqueducs à Craponne (69290) ; la SOCIETE BIOMERIEUX demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 23 décembre 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension du marché de fourniture de réactifs et consommables de laboratoires conclu le 22 septembre 2008 par l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille et la société Becton Dickinson ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions présentées devant le juge de référés du tribunal administratif ;

3°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Boutet, avocat de la SOCIETE BIOMERIEUX et de Me Le Prado, avocat de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Rapporteur public,

- la parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boutet, avocat de la SOCIETE BIOMERIEUX et à Me Le Prado, avocat de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille ;




Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que par un avis paru le 24 avril 2008 au Journal officiel de l'Union européenne et au bulletin officiel des annonces des marchés publics, l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille a fait appel à la concurrence en vue de la passation d'un marché relatif à l'achat de réactifs et de consommables de laboratoire avec mise à disposition d'automates de bactériologie ; que le groupement représenté par la SOCIETE BIOMERIEUX, qui avait présenté une offre, s'est vu notifier le rejet de celle-ci ; que la société ayant introduit une demande en référé pré-contractuel devant le tribunal administratif de Marseille, le juge des référés de cette juridiction a, par ordonnance du 19 septembre 2008, enjoint à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille de surseoir à la signature du marché litigieux, avant de rejeter la demande par une ordonnance du 9 octobre 2008 ; que toutefois, en méconnaissance de l'injonction du juge des référés de surseoir à la signature du marché, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille a procédé à cette signature le 22 septembre 2008 ; que la société a alors présenté au tribunal administratif de Marseille une demande tendant à l'annulation du contrat, assortie d'une demande tendant, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de son exécution ; que par l'ordonnance attaquée du 23 décembre 2008, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de suspension ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi ;

Considérant d'une part qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : (...) Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours ; que si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, autorité de chose jugée, elles sont néanmoins exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires ; qu'il en résulte notamment que lorsque le juge des référés a ordonné de suspendre la signature d'un contrat, l'administration ne saurait légalement conclure le contrat en cause ;

Considérant d'autre part que la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics fait obligation aux Etats-membres, d'une part de prévoir des mesures provisoires visant à empêcher la conclusion d'un marché en méconnaissance des dispositions encadrant la passation des marchés publics, d'autre part de garantir l'exécution efficace des décisions des instances chargées de statuer sur les recours formés en matière de marchés ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les circonstances de la signature du marché contesté ne suffisent pas à caractériser l'existence d'une situation d'urgence sans prendre en compte la méconnaissance par la collectivité publique du caractère exécutoire de l'ordonnance du juge des référés précontractuels et l'atteinte grave et immédiate qu'elle porte à un intérêt public, lesquelles créent, en principe, une situation d'urgence, sous réserve que l'instruction fasse apparaître des éléments précis relatifs aux risques pour la collectivité publique qui résulterait de la suspension du marché, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit ; qu'il y a lieu par conséquent d'annuler l'ordonnance attaquée ;

Considérant qu'en l'espèce il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant d'une part qu'ainsi qu'il a été dit, la méconnaissance, par l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille, de l'injonction qui lui avait été délivrée de surseoir à la signature du marché porte une atteinte grave et immédiate à l'autorité attachée à une décision de justice et à l'effectivité du référé pré-contractuel ; que l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille n'établit pas que le service public hospitalier serait susceptible d'être interrompu par la suspension de l'exécution du marché de fourniture de réactifs de laboratoire avec mise à disposition d'automates de bactériologie, ni qu'elle ne serait pas en mesure de se procurer des réactifs par d'autres moyens ; qu'est caractérisée ainsi la situation d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative précitées ;

Considérant d'autre part que le moyen tiré de ce que le marché a été signé en méconnaissance de l'injonction du juge des référés du tribunal administratif de Marseille de différer cette signature est, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ce marché ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre l'exécution du marché conclu par l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille avec la société Becton Dickinson en vue de l'achat de réactifs et de consommables de laboratoire avec mise à disposition d'automates de bactériologie ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions susmentionnées font obstacle à ce que la somme de 3 000 euros que l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de la SOCIETE BIOMERIEUX qui n'est pas, dans la présente affaire, la partie perdante ; qu'il y a lieu en revanche, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille une somme de 3 000 euros qui sera versée à la SOCIETE BIOMERIEUX au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 23 décembre 2008 est annulée.
Article 2 : L'exécution du marché relatif à l'achat de réactifs et de consommables de laboratoire avec mise à disposition d'automates de bactériologie signé le 22 septembre 2008 par l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande de plein contentieux introduite par la SOCIETE BIOMERIEUX auprès du tribunal administratif de Marseille.
Article 3 : L'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille versera à la SOCIETE BIOMERIEUX une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE BIOMERIEUX, à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille et à la société Becton Dickinson.

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