Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 03/09/2008, 295010

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, enregistré le 7 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 11 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement du 14 mars 2002 du tribunal administratif de Poitiers prononçant la réduction de la taxe professionnelle à laquelle la société anonyme Literie Duvivier a été assujettie au titre de l'année 1998 dans les rôles de la commune de Jousse ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Blazy, Auditeur,

- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Literie Duvivier,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;



Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par jugement du 13 novembre 1995, le tribunal de commerce de Poitiers a autorisé la reprise de l'activité de la société anonyme Matelas Duvivier, placée en redressement judiciaire, par la société anonyme Literie Duvivier et précisé que celle-ci aurait la faculté de se faire substituer par une société immobilière pour le commerce et l'industrie qui pourrait ensuite lui louer les immeubles concernés au moyen d'une convention de crédit-bail ; que, dans ce but et par acte du 20 décembre 1996, la société Batiroc, société immobilière pour le commerce et l'industrie, a acquis la quasi-totalité des terrains et bâtiments industriels nus de la société anonyme Matelas Duvivier pour la somme de 304 898,03 euros (2 000 000 F) et les a donnés le même jour en crédit-bail à la société anonyme Literie Duvivier ; que cette dernière a fait l'acquisition du seul bâtiment non cédé à la société Batiroc, pour le prix de 18 903,68 euros (124 000 F) ; que, par acte du 17 avril 1997, la société anonyme Literie Duvivier a acquis l'ensemble du matériel, des stocks et des actifs incorporels, dont le fonds de commerce, de la société anonyme Matelas Duvivier ; que l'administration fiscale, estimant que cet ensemble d'opérations revêtait le caractère d'une cession d'établissement, a fixé la valeur locative des immobilisations corporelles servant au calcul de la taxe professionnelle pour l'année 1998 aux quatre cinquièmes de celle de l'année précédente, par application de l'article 1518 B du code général des impôts ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son recours tendant à l'annulation du jugement du 14 mars 2002 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a jugé que les dispositions de l'article 1518 B du code général des impôts ne pouvaient être appliquées pour déterminer le montant de la taxe professionnelle dont la société anonyme Literie Duvivier est redevable au titre de l'année 1998 dans les rôles de la commune de Jousse et prononcé, en conséquence, la réduction de la taxe professionnelle correspondante à laquelle elle a été assujettie ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1518 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : A compter du 1er janvier 1980, la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements réalisés à partir du 1er janvier 1976 ne peut être inférieure aux deux tiers de la valeur locative retenue l'année précédant l'apport, la scission, la fusion ou la cession. / Les dispositions de l'alinéa précédent s'appliquent aux seules immobilisations corporelles directement concernées par l'opération d'apport, de scission, de fusion ou de cession, dont la valeur locative a été retenue au titre de l'année précédant l'opération (...) / Pour les opérations mentionnées au premier alinéa réalisées à compter du 1er janvier 1992, la valeur locative des immobilisations corporelles ne peut être inférieure aux quatre cinquièmes de son montant avant l'opération (...) / Les dispositions du présent article s'appliquent distinctement aux trois catégories d'immobilisations suivantes : terrains, constructions, équipements et biens mobiliers. ;

Considérant que pour l'application de ces dispositions, un établissement doit être regardé comme ayant fait l'objet d'une cession lorsque l'ensemble des éléments mobiliers et immobiliers, corporels et incorporels, qui sont nécessaires à l'activité exercée ont été acquis par un même redevable qui y poursuit une activité identique ;

Considérant qu'en l'espèce, la cession de la totalité du matériel, mais d'une partie seulement des locaux, à l'exclusion des autres immobilisations corporelles nécessaires à l'activité industrielle exercée, ne peut être regardée comme emportant cession d'établissement au sens de ces dispositions, alors même qu'une activité identique y serait effectivement poursuivie par le cessionnaire au moyen de ces immobilisations corporelles, louées par lui dans le cadre d'un contrat de crédit-bail à une société tierce, elle-même devenue propriétaire de ces immobilisations ; que, par suite, en jugeant que même si la société Literie Duvivier a poursuivi, au terme de ces opérations, une activité identique à celle de la société anonyme Matelas Duvivier, et a pu disposer de l'ensemble des actifs de cette société, la seule combinaison de la mise à disposition de ces locaux, réalisée sous forme de crédit-bail par l'intermédiaire d'une société tierce qui en est restée propriétaire, et de l'acquisition ultérieure des autres actifs ne saurait suffire à qualifier l'opération, à laquelle sont intervenus deux acquéreurs distincts d'éléments nécessaires à l'exploitation, de cession d'établissement au sens et pour l'application de l'article 1518 B précité du code général des impôts, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante à l'instance, une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société anonyme Literie Duvivier et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
--------------

Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Literie Duvivier une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE et à la société Literie Duvivier.




Retourner en haut de la page