Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 12/03/2007, 281951

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 28 octobre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Patrick A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt en date du 28 avril 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du 20 mai 1999 du tribunal administratif de Besançon en ce que celui-ci n'avait prononcé qu'une réduction partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquelles il a été assujetti au titre des années 1980 à 1983 ;

2°) statuant au fond, de prononcer la décharge totale des impositions restant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son profit de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Daumas, Auditeur,

- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Pierre Collin, Commissaire du gouvernement ;




Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, qui exerce sa profession d'expert-comptable à Paris tout en résidant à Montbéliard, a fait l'objet en 1984 d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 1980 à 1983 ; que la Société française d'études et de distribution de parfums et cosmétiques (FDPC), dans laquelle l'épouse de M. A détenait une participation importante, a par ailleurs été soumise à une vérification de comptabilité au titre des exercices clos de 1980 à 1982 ; que M. et Mme A ont, enfin, fait l'objet d'une vérification approfondie de leur situation fiscale d'ensemble pour les années 1981 à 1983 ; qu'à la suite de ces procédures de contrôle, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu ont été mises à la charge de M. A au titre des années 1980 à 1983 ; qu'après rejet partiel de ses réclamations, le contribuable a saisi le tribunal administratif de Besançon qui, par jugement en date du 20 mai 1999, l'a partiellement déchargé des impositions contestées ; que par l'arrêt attaqué en date du 28 avril 2005, la cour administrative d'appel de Nancy a prononcé une décharge supplémentaire d'impôt, mais a rejeté le surplus des conclusions de M. A ;

Sur les crédits bancaires provenant de comptes courants détenus par le requérant dans différentes entreprises :

Considérant qu'aux termes de l'article 109 du code général des impôts : 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices (...) ; que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé ont, sauf preuve contraire apportée par l'associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'ont également ce caractère les sommes versées par une société à son dirigeant de fait ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les crédits bancaires réintégrés dans les bases taxables de M. A, d'abord en tant que bénéfices non commerciaux puis en tant que revenus d'origine indéterminée, provenaient soit de comptes courants d'associés détenus par celui-ci ou son épouse dans différentes sociétés, soit de sociétés à l'égard desquelles il avait accompli des actes lui conférant la qualité de gérant de fait ; que ces sommes devaient par suite être imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'ainsi la cour, en maintenant leur imposition en tant que revenus d'origine indéterminée, a commis une erreur de droit ;

Sur les bénéfices non commerciaux :

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A contestait la réintégration dans ses bénéfices non commerciaux d'une somme déduite au titre de l'année 1981, correspondant à la perte de créances que celui-ci avait jugé irrécouvrables ; que, si les sociétés débitrices de ces créances se trouvaient alors en liquidation judiciaire, aucune des procédures n'avait encore été close ; que par suite, en adoptant sur ce point les motifs du tribunal administratif de Besançon, jugeant que le caractère certain de la perte de ces créances n'était pas établi au titre de l'année 1981, la cour administrative d'appel n'a entaché son arrêt d'aucune dénaturation ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 13 du code général des impôts : 1. Le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu (...) ; qu'aux termes de l'article 93 du même code : 1. Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession (...) ; qu'il résulte de ces dispositions que les frais exposés par un contribuable exerçant une profession non commerciale dans une localité éloignée de celle de sa résidence principale, tant pour se loger à proximité de son travail que pour effectuer les trajets entre l'une et l'autre localités, sont déductibles de ses revenus professionnels en vertu de l'article 93, 1 du code général des impôts précité, dans la mesure où la double résidence ne résulte pas d'un choix de pure convenance personnelle [v1]; que par suite, en jugeant, pour refuser la déduction de la partie des loyers versés par le contribuable, correspondant à l'usage privatif qu'il faisait de l'appartement où était situé son cabinet parisien, qu'était sans incidence la circonstance que sa résidence principale se trouvât à Montbéliard, sans rechercher si les motifs du choix de sa résidence principale dans cette ville étaient de pure convenance personnelle, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ;

Sur les revenus de capitaux mobiliers :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre de la vérification de comptabilité de la Société française d'études et de distribution de parfums et cosmétiques (FDPC), l'administration des impôts a constaté que l'épouse de M. A avait procédé à des prélèvements sur son compte courant ; que celui-ci ne contestait pas que la société avait mis ces sommes à la disposition de son épouse, mais soutenait toutefois qu'elles correspondaient au remboursement d'un prêt qu'elle aurait consenti à la société ; que les différents courriers produits à l'appui de ses allégations n'avaient pas de date certaine et ne permettaient d'établir aucune correspondance entre les sommes prétendument prêtées et celles versées à son épouse ; qu'ainsi la cour a pu juger, sans dénaturer les pièces qui lui étaient soumises, que M. A ne justifiait pas ses allégations ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les deux autres moyens soulevés par le requérant à l'appui des points où il obtient satisfaction, que celui-ci n'est fondé à demander l'annulation de l'article 6 de l'arrêt attaqué qu'en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des suppléments d'impôts litigieux correspondant, d'une part, à la réintégration dans son revenu global de crédits bancaires provenant des comptes courants qu'il détenait dans différentes entreprises, d'autre part, à la réintégration dans ses bénéfices non commerciaux de frais de double résidence ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler, sur ces points, l'affaire au fond ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, d'une part, que, comme le prescrit l'article R. 200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, applicable à la date du jugement, le jugement attaqué mentionne les noms du ou des magistrats qui ont rendu la décision, c'est-à-dire qui ont participé à l'audience et au délibéré ; qu'aucune disposition ne prescrit qu'il soit en outre mentionné que la composition du tribunal était identique lors de l'audience et du délibéré ;

Considérant, d'autre part, que le tribunal administratif a répondu de manière suffisante aux moyens soulevés par M. A et a analysé les conclusions dont il se trouvait saisi pour y statuer de manière expresse ; qu'ainsi, le moyen pris de l'omission de ces moyens et conclusions dans les visas du jugement attaqué doit, en tout état de cause, être écarté ;

Sur les crédits bancaires provenant de comptes courants détenus dans différentes entreprises :

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut que ces sommes ont été imposées à tort dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée ; que toutefois, le ministre demande que, par voie de substitution de base légale, l'imposition contestée soit maintenue dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ;

Considérant que M. A soutient que les sommes prélevées sur les différents comptes courants d'associés en cause, dont il ne conteste pas le montant, correspondraient à des remboursements d'avances de trésorerie consenties par lui aux différentes sociétés dans lesquelles il avait des intérêts, ou encore à des mouvements de trésorerie entre ces différentes sociétés, opérés par l'intermédiaire de ses propres comptes bancaires ; que ces allégations ne sont pas, faute de justifications précises, de nature à établir que ces sommes n'avaient pas le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'il y a donc lieu de maintenir l'imposition des sommes litigieuses sur le fondement de la nouvelle base légale invoquée par le ministre, ce changement de base légale ne privant M. A d'aucune des garanties de procédure auxquelles il avait droit, dès lors que, s'agissant de ces sommes, une procédure de redressement contradictoire a été suivie ;

Sur la déduction des frais de double résidence :

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, les frais exposés par un titulaire de bénéfices non commerciaux pour se loger à proximité du lieu de son travail dans une localité éloignée de celle où est établie sa résidence principale peuvent, dans la mesure où ils sont nécessités par l'exercice de sa profession, être déduits de ses revenus professionnels ; qu'à ce titre, les frais résultant d'une résidence autre que la résidence principale peuvent être regardés comme nécessités par l'exercice de la profession si le choix du lieu de la résidence principale résulte non pas d'une pure convenance personnelle mais, notamment, d'une obligation légale, de motifs familiaux déterminants ou des conditions d'exercice de la profession ; que M. A, en se bornant à soutenir que plusieurs des plus gros clients de son cabinet parisien avaient leurs sièges à Strasbourg, Belfort ou Dijon, sans apporter aucune précision relative aux conditions d'exercice de sa profession à l'appui de cet argument, n'établit pas que la fixation de sa résidence à Montbéliard constituait une nécessité pour l'exercice de sa profession ; qu'ainsi, il ne peut déduire de ses bénéfices non commerciaux la fraction des loyers de l'appartement où était situé son cabinet parisien, correspondant, pour 17 % en l'espèce, à l'usage privé qu'il en faisait ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1980 à 1983 et demeurant en litige ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'article 6 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 28 avril 2005 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu mis à sa charge au titre des années 1980 à 1983 correspondant, d'une part, à la réintégration dans son revenu global de crédits bancaires provenant des comptes courants qu'il détenait dans différentes entreprises, d'autre part, à la réintégration dans ses bénéfices non commerciaux de frais de double résidence.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A devant la cour administrative d'appel de Nancy mentionnées à l'article 1er sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. A devant le Conseil d'Etat est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Patrick A et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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