Conseil d'Etat, 7ème et 2ème sous-sections réunies, du 28 avril 2006, 280197, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 3 mai 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la COMMUNE DE TOULOUSE, représentée par son maire ; la COMMUNE DE TOULOUSE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance du 15 avril 2005 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant en application de l'article L.551-1 du code de justice administrative, a annulé la procédure d'appel d'offres ayant pour objet la mise à disposition, la pose, l'entretien et l'exploitation de mobiliers urbains publicitaires sur le territoire de la commune, l'ensemble des décisions qui la composent et la décision d'éviction de la société Jean-Claude Decaux en date du 17 mars 2005 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Escaut, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Luc-Thaler, avocat de la COMMUNE DE TOULOUSE et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la société Jean-Claude Decaux,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (…)/ Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement (…)./ Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel que la COMMUNE DE TOULOUSE a lancé un appel d'offres pour l'attribution d'un marché portant sur la mise à disposition, la pose, l'entretien et l'exploitation de mobiliers urbains ; que le 17 mars 2005, la société Jean-Claude Decaux a été informée du rejet de son offre ; qu'elle a saisi, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse qui, par une ordonnance en date du 15 avril 2005, a annulé la procédure de passation du marché ; que la COMMUNE DE TOULOUSE se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'aux termes du II de l'article 53 du code des marchés publics : Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, la personne publique se fonde sur divers critères variables selon l'objet du marché, notamment le coût d'utilisation, la valeur technique de l'offre, son caractère innovant, ses performances en matière de protection de l'environnement, ses performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté, le délai d'exécution, les qualités esthétiques et fonctionnelles, le service après-vente et l'assistance technique, la date et le délai de livraison, le prix des prestations./ D'autres critères peuvent être pris en compte, s'ils sont justifiés par l'objet du marché./ Si, compte tenu de l'objet du marché, la personne publique ne retient qu'un seul critère, ce critère doit être le prix…. ; que ces dispositions laissent à la collectivité publique le choix des critères d'attribution du marché qu'elle entend retenir dès lors que ces critères sont justifiés par l'objet du marché et permettent d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse ; que si ces dispositions imposent, lorsque l'objet du marché conduit à n'appliquer qu'un seul critère, de retenir celui du prix des prestations, elles n'ont ni pour objet, ni pour effet de rendre obligatoire ce critère lorsque la personne publique adopte plusieurs critères d'attribution du marché dans la mesure où les critères retenus, eu égard à l'objet du marché, permettent de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse que le marché de mobilier urbain envisagé par la COMMUNE DE TOULOUSE prévoyait que les prestations fournies par l'entreprise seraient rémunérées par les recettes provenant de l'exploitation publicitaire des mobiliers urbains ; que dès lors que ce marché ne se traduisait ainsi par aucune dépense effective pour la collectivité publique et que cette dernière avait décidé, ainsi qu'elle pouvait le faire, de fixer elle-même le montant de la redevance d'occupation du domaine public sans le soumettre aux offres des candidats, la COMMUNE DE TOULOUSE pouvait ne pas retenir le prix des prestations comme critère d'attribution du marché ; qu'ainsi, en se fondant, pour annuler la procédure de passation du marché en litige, sur ce que la commune ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article 53 du code des marchés publics, retenir trois critères d'attribution du marché dont aucun ne correspondait à un prix, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE TOULOUSE est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Jean-Claude Decaux ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la COMMUNE DE TOULOUSE a retenu trois critères d'attribution du marché portant sur les qualités esthétiques, la qualité de l'entretien (maintenance et nettoyage) et les qualités techniques du mobilier ; qu'elle a pondéré ces critères à hauteur respectivement de 50 %, 30 % et 20 % ; que la COMMUNE DE TOULOUSE, qui était libre de choisir les critères d'attribution du marché dès lors qu'ils lui permettaient de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse, pouvait, eu égard à l'objet du marché, retenir le critère esthétique ; que toutefois, en donnant à ce critère une place prépondérante sans fournir, ni dans les documents contractuels, ni dans sa réponse du 9 décembre 2004 à la demande de renseignements de la société Jean-Claude Decaux, aucune indication sur ses attentes en la matière, la COMMUNE DE TOULOUSE, à laquelle l'appréciation du critère esthétique a ainsi conféré en l'espèce une liberté de choix discrétionnaire, n'a pas, par suite, organisé un examen des offres garantissant l'égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure ; que la commune a donc manqué aux obligations de mise en concurrence qui lui incombait ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Jean-Claude Decaux est fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché en cause ainsi que de la décision en date du 17 mars 2005 portant rejet de son offre ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que la présente décision implique que, si elle entend poursuivre son projet de passation du marché litigieux, la COMMUNE DE TOULOUSE reprenne intégralement la procédure ; qu'il y a lieu dès lors, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à la COMMUNE DE TOULOUSE de reprendre intégralement la procédure de passation du marché ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la COMMUNE DE TOULOUSE une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés en première instance et en cassation par la société Jean-Claude Decaux et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Jean-Claude Decaux, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la COMMUNE DE TOULOUSE demande en première instance au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulouse en date du 15 avril 2005 est annulée.

Article 2 : La procédure engagée par la COMMUNE DE TOULOUSE pour la passation d'un marché portant sur la mise à disposition, la pose, l'entretien et l'exploitation de mobiliers urbains et la décision du 17 mars 2005 portant rejet de l'offre de la société Jean-Claude Decaux sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint à la COMMUNE DE TOULOUSE, si elle entend poursuivre son projet de marché, de recommencer toute la procédure de passation.

Article 4 : La COMMUNE DE TOULOUSE versera à la société Jean-Claude Decaux une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de première instance de la COMMUNE DE TOULOUSE tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE TOULOUSE, à la société Jean-Claude Decaux et à la société Clear Channel France.


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