Cour administrative d'appel de Paris, 3 ème chambre , 18/10/2012, 11PA02938, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 30 juin 2011, présentée pour M. François B, demeurant ..., par Me Vuagnoux ; M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1007821/6-1 en date du 29 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite par laquelle le centre hospitalier universitaire Saint Louis a rejeté son recours gracieux présenté le 21 octobre 2009 tendant au retrait de la décision du 12 septembre 2009 refusant son don de sang, et d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au centre hospitalier universitaire Saint Louis de statuer à nouveau sur sa demande sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet du directeur du centre hospitalier universitaire Saint Louis intervenue sur recours gracieux présenté le 21 octobre 2009, ensemble la décision du 12 septembre 2009 refusant son don de sang ;

3°) d'enjoindre au directeur du centre hospitalier universitaire Saint Louis, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de statuer à nouveau sur sa demande tendant à donner son sang ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire Saint Louis la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive n° 2002/98/CE du parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 ;

Vu la directive n 2004/33/CE de la Commission du 22 mars 2004 ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu l'arrêté du ministre de la santé et des sports du 12 janvier 2009 fixant les critères de sélection des donneurs de sang ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 octobre 2012 :

- le rapport de Mme Folscheid, rapporteur,

- les conclusions de Mme Merloz, rapporteur public,

- et les observations de Me Gauch, pour M. B ;

1. Considérant que M. B s'est présenté le 12 septembre 2009 à l'unité de collecte du sang de l'hôpital Saint Louis à Paris, placée sous l'autorité de l'Établissement français du sang (EFS), en vue de procéder à un don de sang ; qu'après avoir rempli un questionnaire, il a confirmé au médecin responsable de la collecte, lors de l'entretien obligatoire préalable au don, avoir des relations sexuelles avec un homme, indiquant que ce dernier était son seul partenaire sexuel depuis douze ans ; que le don de son sang n'ayant pas été accepté, M. B a formé, le 21 octobre 2009, un recours gracieux ayant donné lieu à une décision implicite de rejet dont il a demandé l'annulation au Tribunal administratif de Paris ; que, par jugement en date du
29 avril 2011, dont il relève régulièrement appel, le tribunal a rejeté sa demande ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par l'EFS ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 1222-17 du code de la santé publique : " La fonction de prise en charge médicale du prélèvement comporte la sélection du donneur et la surveillance du prélèvement. " ; qu'aux termes de l'article R. 1221-5 du même code : " Avant l'entretien préalable au don du sang, le candidat à ce don remplit un questionnaire dont la forme et le contenu sont définis par décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé après avis de l'Etablissement français du sang et du centre de transfusion sanguine des armées. (...) Il atteste, en outre, que tous les renseignements qu'il a fournis sont, à sa connaissance, exacts, en apposant sa signature sur la partie du questionnaire prévue à cet effet. Cette partie est contresignée par la personne habilitée à procéder à la sélection des donneurs et qui a obtenu les renseignements relatifs à l'état de santé et aux antécédents médicaux de ceux-ci. Un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, fixe les critères de sélection des donneurs en distinguant notamment ceux qui conduisent à une contre-indication permanente au don de sang et ceux qui conduisent à une contre-indication temporaire. (...) " ; que les tableaux des contre-indications au don du sang, qui figurent à l'annexe II de l'arrêté du ministre de la santé et des sports du 12 janvier 2009 susvisé fixant les critères de sélection des donneurs de sang, distinguent huit catégories de risques pour les donneurs et onze catégories de risques pour les receveurs ; qu'au titre des risques pour les receveurs liés à la transmission d'une infection virale, le tableau identifie notamment le risque d'exposition du candidat au don à un agent infectieux transmissible par voie sexuelle ; qu'il précise que sont exposées à ce risque les personnes ayant eu un ou plusieurs rapport(s) sexuel(s) non protégé(s) avec un partenaire occasionnel, les personnes ayant eu plus d'un partenaire dans les quatre derniers mois, tout homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme, les personnes ayant eu des rapports sexuels non protégés avec un nouveau partenaire depuis moins de deux mois ainsi que les personnes n'entrant pas dans les catégories précédentes mais dont le partenaire sexuel serait exposé lui-même à un risque infectieux ;

3. Considérant qu'il est constant que M. B, qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, a confirmé au médecin responsable de la collecte, lors de l'entretien obligatoire préalable au don, avoir des relations sexuelles avec un homme, entrait au nombre des personnes mentionnées par les dispositions susvisées dont le don de sang est contre-indiqué ;

4. Considérant, en premier lieu, que la liste figurant en annexe de l'arrêté susvisé du 12 janvier 2009 mentionne dix-neuf catégories principales de contre-indications au don du sang, décomposées en de multiples sous-catégories ; que si M. B conteste le bien fondé des données épidémiologiques qui ont conduit le ministre de la santé et des sports à identifier ces contre-indications, dont certaines sont permanentes et d'autres temporaires, au motif notamment que l'enquête épidémiologique aurait été menée dans des lieux particulièrement ciblés, propices à des pratiques sexuelles présentant des risques, et que ses résultats ne sauraient être généralisés à l'ensemble des individus présentant une orientation homosexuelle, il n'assortit cette critique d'aucun élément factuel et objectif permettant d'infirmer ces données et de penser que l'administration se serait fondée sur des informations ou des analyses médicales erronées ; que, contrairement à ce qu'il soutient, la seule circonstance que certaines situations à risque dûment identifiées, dont celle dans laquelle se trouve M. B, exposent de manière statistiquement significative les personnes susceptibles de donner leur sang à une contamination par le virus de l'immunodéficience humaine est de nature à justifier légalement que ces situations figurent sur la liste des contre-indications au don du sang ; que cette liste, contrairement à ce que soutient l'intéressé, ne repose pas sur des critères " sociologiques ", notamment à raison de l'orientation sexuelle des candidats au don du sang ; que si elle prévoit la permanence de la contre-indication au don du sang de la part des hommes ayant eu des relations sexuelles avec un autre homme, sans considération du caractère protégé, multiple ou occasionnel de ces relations, cette circonstance n'est pas de nature à la faire regarder comme discriminatoire à l'encontre des homosexuels en tant que tels ; qu'en outre, elle ne porte atteinte à aucun droit ; qu'en conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'exception d'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2009 dont se prévalait le requérant au motif de la discrimination alléguée ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 19 de la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 prévoit qu'" un examen du donneur, comprenant un interrogatoire, est pratiqué avant chaque don de sang ou de composé sanguin. Un professionnel de la santé qualifié est en particulier chargé de fournir aux donneurs et de recueillir auprès d'eux les informations nécessaires pour établir leur admissibilité à donner et juge en conséquence de leur admissibilité " ; qu'aux termes du 1 du V de l'article 1er de l'arrêté du 12 janvier 2009 : " Lors de l'entretien préalable au don il appartient à la personne habilitée à procéder à la sélection des donneurs d'apprécier la possibilité d'un don au regard des contre-indications et de leur durée, de leur antériorité et de leur évolution, grâce à des questions complémentaires au questionnaire préalable au don. " ; qu'il résulte des dispositions précitées que l'identification des risques par l'arrêté susmentionné ne prive pas le médecin chargé de la sélection des donneurs de sang de sa responsabilité de statuer dans chaque cas d'espèce au terme d'un examen personnalisé ; qu'en l'espèce, le requérant ne conteste pas qu'après avoir rempli le questionnaire, il s'est entretenu avec le médecin chargé de la collecte du sang qui l'a longuement interrogé sur sa situation personnelle ; que c'est par suite sans entacher son jugement d'une erreur de fait que le tribunal a estimé que M. B n'était pas fondé à soutenir que son offre de don du sang n'aurait pas fait l'objet d'un examen personnalisé et que les caractéristiques de sa situation individuelle n'auraient pas été prises en compte ; que si l'intéressé soutient que l'arrêté du 12 janvier 2009 sur lequel sont fondées les décisions litigieuses a été pris en violation des dispositions de l'article R. 1221-5 du code de la santé publique en ce qu'il ne prévoit aucun pouvoir d'appréciation du médecin chargé de la sélection des donneurs de sang pour exclure du don de sang tout candidat masculin ayant ou ayant eu des relations sexuelles avec un autre homme, il résulte des termes mêmes de cet article R. 1221-5 précité que l'arrêté ministériel pris pour son application " fixe les critères de sélection des donneurs en distinguant notamment ceux qui conduisent à une contre-indication permanente au don de sang et ceux qui conduisent à une contre-indication temporaire. " ; que le moyen tiré de l'erreur de droit dont seraient entachées les décisions litigieuses au motif que le médecin qui a reçu l'intéressé se serait mépris sur l'étendue de sa compétence doit, par suite, être écarté ;

6. Considérant, en troisième lieu, que M. B reprend en appel à l'identique le moyen qu'il invoquait en première instance tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont seraient entachées la décision du médecin chargé de la sélection des donneurs de sang en date du 12 septembre 2009 et la décision confirmative de l'EFS ; que ce moyen a été écarté à bon droit par les premiers juges dans le jugement attaqué dont il y a lieu sur ce point d'adopter les motifs ;

7. Considérant enfin que la seule circonstance que les pouvoirs publics, notamment la ministre de la santé, auraient récemment reconnu la discrimination dont font l'objet les homosexuels hommes qui ne sont pas autorisés à donner leur sang en France et que diverses autorités publiques, notamment le comité consultatif national d'éthique (CCNE) et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) auraient recommandé la modification des questionnaires remplis par les candidats au don du sang afin de remplacer la question relative aux rapports sexuels par celle relative aux pratiques sexuelles à risque est sans incidence sur la légalité des décisions contestées ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué en date du 29 avril 2011, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à le charge de l'EFS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente espèce, la somme que demande M. B, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B, la somme que demande l'EFS au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;


D E C I D E :


Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'EFS tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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