Cour Administrative d'Appel de Versailles, 1ère Chambre, 24/01/2012, 10VE03601, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 19 novembre 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour la société par actions simplifiée (SAS) YOPLAIT dont le siège est 170 bis, boulevard du Montparnasse à Paris (75014), par Mes Bidegainberry et Gauthier, avocats à la Cour ; la SAS YOPLAIT demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0811640 du 3 septembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à porter ses déficits constatés au cours de l'exercice 2003 à 1 984 400 euros au lieu de 1 750 335 euros et, par voie de conséquence, à rectifier les résultats déficitaires du groupe Yoplait ;

2°) de procéder à la rectification sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient, en premier lieu, que le tribunal a omis d'examiner le moyen selon lequel la décision prise par l'assemblée générale de ses actionnaires de réduire le capital n'était pas une décision de gestion et ne pouvait dès lors être contestée sur le terrain de l'acte anormal de gestion ; qu'à cet égard, seules les décisions prises par un organe de gestion de la société sont susceptibles d'être qualifiées d'acte anormal de gestion ; qu'en deuxième lieu, alors que ses besoins en financement ne pouvaient plus être assumés par la seule société mère, Sodiaal International, un partenariat financier a été trouvé avec la société Financière Tramontane qui a soumis la réalisation de son investissement à une réorganisation complète de l'activité " produits laitiers frais " ; que cette réorganisation lui a permis de devenir l'entité contrôlant intégralement cette branche d'activité ; que l'opération de rachat de ses propres actions, suivie d'une réduction de capital, qui a abouti à une répartition égalitaire de son actionnariat, constituait l'ultime étape de la mise en place du partenariat stratégique avec la société Financière Tramontane et ne peut être isolée de l'ensemble des opérations de restructuration, ainsi que l'a d'ailleurs admis la Commission départementale des impôts qui, dans son avis du 2 avril 2007, a relevé que les restructurations en question lui avaient permis de devenir la société holding du groupe qui contrôle l'ensemble des activités en cause ; qu'elle avait un intérêt propre à procéder à l'opération de réduction de capital par voie de rachat d'actions et en a retiré de réelles contreparties (obtention des financements nécessaires au développement de la branche Yoplait, prise de contrôle et redressement de l'activité exploitée sous marque Yoplait, perception des redevances de sous-concession de marque et des dividendes provenant de ses filiales, valorisation des actifs qui lui ont été transférés) ; que c'est donc à tort que le service a considéré qu'aucun lien ne pouvait être identifié entre l'opération de rachat de ses propres titres et le transfert, à son profit, de la branche d'activité " produits laitiers frais " et, sur le terrain de l'acte anormal de gestion, a refusé la déduction des frais financiers induits par cette opération de rachat ; qu'enfin, il serait contraire au principe d'égalité devant les charges publiques de refuser la déduction des frais litigieux dès lors qu'il a été admis à plusieurs reprises par la jurisprudence que les charges rattachables à un rachat d'actions propres étaient déductibles ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 janvier 2012 :

- le rapport de M. Huon, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Dioux-Moebs, rapporteur public,
- et les observations de Me Bidegainberry, pour la SAS YOPLAIT ;


Considérant qu'à l'issue de diverses opérations de restructuration, notamment capitalistiques, la SAS YOPLAIT, anciennement dénommée Sodima International et qui exerçait l'activité d'exploitation de la marque et du savoir-faire Yoplait, était détenue à hauteur de 74,68 % et pour 15 097 500 titres, par la société Sodiaal International, et, à hauteur de 25,32 % et pour 5 119 458 titres, par la société Financière Tramontane ; que, par une délibération en date du 4 juin 2002, l'assemblée générale extraordinaire de la SA Sodima International a décidé une réduction de capital et autorisé le conseil d'administration à procéder au rachat d'actions propres en vue de leur annulation ; que, subséquemment, ledit conseil d'administration a procédé à la réduction de capital par voie préalable d'une offre de rachat portant sur 9 978 042 actions adressée à tous les actionnaires de la société ; que cette offre n'a été acceptée que par Sodiaal International, et expressément rejetée par Financière Tramontane ; que l'opération d'annulation a eu pour effet de ramener le capital social à 10 238 916 titres, soit exactement le double du montant de la participation détenue par la société Financière Tramontane, ainsi devenue actionnaire à 50 %, à parité avec la société Sodiaal International ; que la société Sodima International a déduit des bénéfices de l'exercice 2002 les frais qu'elle avait exposés à l'occasion du rachat de ses propres actions ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité ayant porté sur la période du 1er janvier 2001 au 30 juin 2003, l'administration, estimant que l'opération avait été menée dans le seul intérêt de la société Financière Tramontane qui, sans bourse délier, avait vu le pourcentage de sa participation augmenter, a, sur le fondement de l'acte anormal de gestion, rapporté aux résultats réalisés par la société Sodima International au cours de l'exercice 2002, les frais qu'elle avait exposés à l'occasion du rachat de ses propres actions et réduit, à due concurrence, le déficit constaté par la société au titre dudit exercice ; que la SAS YOPLAIT a présenté le 20 novembre 2007 une réclamation en vue d'obtenir le rétablissement de ses déficits reportables au montant de 1 984 400 euros ; qu'à la suite du rejet de cette réclamation par décision du 27 août 2008, la société a réitéré ses prétentions devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; que la SAS YOPLAIT relève appel du jugement du 3 septembre 2010 par lequel le Tribunal a rejeté sa demande ;


Sur les conclusions en rectification du résultat déficitaire de la SAS YOPLAIT et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) " ; qu'il résulte des dispositions précités que les charges pouvant être admises en déduction doivent avoir été exposées dans l'intérêt direct de l'entreprise ou se rattacher à sa gestion normale, correspondre à une charge effective et être appuyées de justificatifs ; qu'à cet égard, la seule circonstance qu'une opération puisse comporter un avantage éventuel pour un tiers, notamment un actionnaire, ne suffit pas à lui donner un caractère anormal dès lors qu'elle n'est pas contraire ou étrangère aux intérêts de la société ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'opération de réduction de capital par voie de rachat de titres a été à l'origine de charges financières pour la SAS YOPLAIT et a, dans le même temps, permis à la société Financière Tramontane, sans exposer la moindre dépense, de porter à 50 % le niveau de sa participation dans le capital de la société requérante ; que, toutefois, la SAS YOPLAIT fait valoir que l'opération de rachat de ses propres actions n'était pas dépourvue de contrepartie pour elle dès lors qu'elle s'inscrivait dans un contexte global de réorganisation de la branche d'activité " produits laitiers frais " de Sodiaal International, rendue nécessaire par un besoin de financement de cette société et que ledit rachat n'était que l'ultime étape d'une opération beaucoup plus vaste de partenariat stratégique ayant permis d'améliorer le résultat consolidé du groupe Yoplait ; que cette réorganisation s'est inscrite dans le cadre d'un partenariat négocié en 2002 avec la société Financière Tramontane moyennant le partage du contrôle de la SAS YOPLAIT ; que ce partenariat s'est accompagné du transfert à cette dernière de la totalité des éléments corporels et incorporels dépendant de la branche " produits laitiers frais " du groupe Sodiaal et a permis d'accéder aux financements nécessaires au maintien et au développement de cette branche d'activité ; qu'il n'est pas sérieusement allégué que, par elle-même, l'opération de restructuration, à l'issue de laquelle la SAS YOPLAIT est devenue une société holding regroupant par filialisation les activités de ladite branche, ait été étrangère à l'intérêt de cette société, le service admettant d'ailleurs qu'elle poursuivait un objectif de rationalisation économique et fiscale ainsi, au surplus, que l'a estimé la commission départementale des impôts qui, dans son avis du 2 avril 2007, a considéré que la société avait " personnellement retiré une contrepartie positive de cette nouvelle organisation " ; qu'ainsi, et dès lors qu'il peut être tenu pour établi que la réduction de capital par voie de rachat d'actions réalisée par la requérante constituait la dernière étape du partenariat conclu entre l'actionnaire historique et la société Financière Tramontane, lequel conditionnait la restructuration sus-décrite, cette opération ne peut être regardée comme étant dépourvue de contrepartie pour la SAS YOPLAIT ; que, par suite, c'est par une inexacte application des principes susrappelés que le service a rejeté, comme ne relevant pas d'une gestion commerciale normale, la déduction des charges correspondantes ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SAS YOPLAIT est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ;


Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS YOPLAIT et non compris dans les dépens ;



DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0811640 du 3 septembre 2010 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.

Article 2 : Le résultat déficitaire de l'exercice clos en 2003 de la SAS YOPLAIT est rétabli au montant de 1 984 400 euros et le résultat d'ensemble du groupe Yoplait dont elle s'est constituée société de tête est rectifié en conséquence.

Article 3 : L'Etat versera à la SAS YOPLAIT une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la SAS YOPLAIT sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

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