Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 18/10/2006, 275643

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu l'ordonnance en date du 14 décembre 2004, enregistrée le 21 décembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application des articles R. 321-1 et R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à cette cour par la SCI « LES TAMARIS », dont le siège est 65, boulevard de Sébastopol à Paris (75001) ;

Vu la requête, enregistrée le 11 octobre 2004 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, et le mémoire complémentaire, enregistré le 11 avril 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCI « LES TAMARIS » ; la SCI « LES TAMARIS » demande :

1°) l'annulation du jugement du 24 juin 2004 par lequel le tribunal administratif de Nice, statuant en exécution d'un arrêt du 5 avril 2001 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, a déclaré que l'affectation à un espace vert et de terrain de jeux ouvert au public doit être regardée comme un « équipement collectif » au sens de l'arrêté du préfet du Var en date du 18 février 1979, portant déclaration d'utilité publique ;

2°) que soit déclaré qu'une telle affectation ne peut être regardée comme un « équipement collectif » au sens de la déclaration d'utilité publique du 18 février 1979 et, à titre subsidiaire, qu'il n'appartient qu'au juge judiciaire, saisi de la demande de rétrocession des parcelles, de se prononcer sur la réalité des aménagements réalisés par la commune d'Hyères-les-Palmiers et, à titre infiniment subsidiaire, que la commune ne peut faire état d'aucun équipement, aucuns travaux ni même démarche sérieuse de nature à justifier que le terrain a été affecté à des « équipements collectifs » ;

3°) que soit mis à la charge de la commune d'Hyères-les-Palmiers le versement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le décret n° 61-1297 du 30 novembre 1961 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mlle Anne Courrèges, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la SCI « LES TAMARIS » et de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la commune d'Hyères-les-Palmiers,

- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;





Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1042 du code général des impôts alors en vigueur : « (...) les acquisitions faites à l'amiable et à titre onéreux par (...) les communes (...) ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor lorsqu'elles sont destinées à l'enseignement public, à l'assistance ou à l'hygiène sociales, ainsi qu'aux travaux d'urbanisme et de construction, et qu'un arrêté préfectoral a déclaré, en cas d'urgence, l'utilité publique de ces acquisitions sans qu'il soit besoin de procéder aux formalités d'enquête » ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : « Si les immeubles expropriés (...) n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique » ;

Considérant qu'en vertu de ce texte, il appartient au juge judiciaire de statuer sur le bien-fondé d'une demande de rétrocession de biens expropriés et, dès lors, de se prononcer sur le point de savoir si les immeubles ont ou non, dans le délai légal, reçu la destination qui était prévue dans la déclaration d'utilité publique ; que, toutefois, celui-ci peut, dans le cas de difficulté sérieuse, renvoyer au juge administratif, seul compétent pour trancher de telles questions, celles de la légalité ou de l'interprétation des dispositions de la déclaration d'utilité publique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, saisie sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique d'une demande de la SCI « LES TAMARIS » tendant à la rétrocession de biens dont l'acquisition par la commune d'Hyères-les-Palmiers en vue de la réalisation « d'équipements collectifs » avait été déclarée d'utilité publique par un arrêté du préfet du Var du 18 février 1979 pris en application de l'article 1042 du code général des impôts, a, par un arrêt en date du 5 avril 2001, décidé de surseoir à statuer et de renvoyer au juge administratif la question préjudicielle de l'interprétation de la notion « d'équipements collectifs » au sens de cette déclaration d'utilité publique et, en particulier, celle de savoir si l'affectation à un espace vert et de terrain de jeux est susceptible d'être au nombre de ces équipements ;

Considérant que, saisi par la SCI « LES TAMARIS », le tribunal administratif de Nice a déclaré l'opération réalisée par la commune d'Hyères-les-Palmiers conforme à l'objet de l'arrêté du préfet du Var du 18 février 1979 ; que, toutefois, pour répondre à la question posée par la cour d'appel, il aurait dû se borner à déterminer ce qu'il fallait entendre par des « équipements collectifs » au sens de l'arrêté du préfet du Var du 18 février 1979 ; que, dès lors, en se prononçant sur les suites données à la déclaration d'utilité publique et sur la conformité de l'opération réalisée à l'objet de cet arrêté, le tribunal administratif a statué au-delà de la question qui lui était posée, à titre préjudiciel, par le juge judiciaire et excédé la compétence de la juridiction administrative ; que, par suite, la SCI « LES TAMARIS » est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande de la SCI « LES TAMARIS » devant le tribunal administratif de Nice ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les conclusions tendant à faire constater par la juridiction administrative que les terrains acquis par la commune d'Hyères-les-Palmiers n'ont pas reçu l'affectation résultant de la déclaration d'utilité publique doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ; que la commune ne peut utilement se prévaloir de ce que l'action dirigée contre la cession, qui serait intervenue dans le cadre des participations exigées des constructeurs, serait prescrite, ni de ce que le code de l'urbanisme n'organiserait pas, sauf en présence d'un plan d'aménagement d'ensemble, d'action en rétrocession des terrains cédés gratuitement et n'ayant pas reçu l'affectation initialement prévue, ces questions n'entrant pas dans le champ du renvoi préjudiciel décidé par le juge judiciaire ; qu'il en va de même de l'invocation par la SCI requérante de l'illégalité de la cession ;

Considérant, en revanche, qu'il appartient au Conseil d'Etat de donner à la cour d'appel l'interprétation demandée de l'arrêté du préfet du Var en date du 18 février 1979 ;

Considérant que si l'acquisition ayant été déclarée d'utilité publique par l'arrêté préfectoral du 18 février 1979 a entendu régulariser une cession qui avait été exigée dès 1963 par la commune d'Hyères-les-Palmiers, sur le fondement de l'article 14 du décret du 30 novembre 1961 au titre de la participation des constructeurs aux dépenses d'exécution des équipements publics, et qui avait été alors justifiée par la nécessité de réaliser une garderie ou un groupe scolaire, il ressort des termes mêmes de l'arrêté portant déclaration d'utilité publique qu'il a été pris sur le fondement de l'article 1042 du code général des impôts et que son objet porte sur la réalisation « d'équipements collectifs » ; que cette dernière mention ne saurait être regardée comme visant seulement le projet initialement envisagé d'un équipement scolaire, mais, au contraire, comme ayant entendu permettre à la commune de réaliser toute installation assurant un service d'intérêt général correspondant à un besoin collectif de la population et répondant à l'un des objets énumérés à l'article 1042 du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur à la date de la déclaration d'utilité publique, c'est-à-dire l'enseignement public, l'assistance et l'hygiène sociales, ainsi que les travaux d'urbanisme et de construction ; qu'à ce titre, un espace vert et de terrain de jeux ouvert au public, dès lors qu'il a donné lieu à un minimum d'aménagements de la part de la commune en vue d'offrir des services à la population, est susceptible de recevoir une telle qualification « d'équipement collectif » au sens de la déclaration d'utilité publique du 18 février 1979 ; que c'est au regard de ces considérations qu'il revient à la juridiction compétente d'apprécier le bien-fondé de la demande de rétrocession présentée par la SCI « LES TAMARIS » sur le fondement de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

Considérant, enfin, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune d'Hyères-les-Palmiers et par la SCI « LES TAMARIS » tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 24 juin 2004 est annulé.

Article 2 : Il est déclaré que l'arrêté du préfet du Var en date du 18 février 1979, portant déclaration d'utilité publique, doit être interprété dans le sens indiqué par les motifs de la présente décision.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCI « LES TAMARIS » tendant à faire constater par la juridiction administrative que les terrains acquis par la commune d'Hyères-les-Palmiers n'ont pas reçu l'affectation résultant de la déclaration d'utilité publique du 18 février 1979 sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la SCI « LES TAMARIS », ainsi que les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Nice et le Conseil d'Etat par la commune d'Hyères-les-Palmiers sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SCI « LES TAMARIS », à la commune d'Hyères-les-Palmiers et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

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