Cour administrative d'appel de Paris, 5ème Chambre, 20/12/2012, 10PA05215, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 29 octobre 2010, présentée pour M ; et Mme André B, demeurant ..., par Me Gaspar ; M et Mme B demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0706931 du 14 septembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution sociale auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2001 et 2002 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 décembre 2012 :

- le rapport de M. Vincelet, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Dhiver, rapporteur public,

- les observations de Me Dahmoun, avocat de M. et Mme B,

- et connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 6 décembre 2012, présentée par Me Dahmoun, pour M. et Mme B ;


1. Considérant que dans le cadre d'une vérification de comptabilité, ayant porté sur les années 2001 à 2003, de la société à responsabilité limitée Préférence dont M. et Mme B étaient salariés, l'administration a procédé, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, à une visite domiciliaire des locaux occupés par cette société, après y avoir été autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Bobigny du 16 juin 2004 ; qu'elle a découvert à cette occasion que Mme B était titulaire de comptes bancaires non déclarés ouverts dans deux succursales de banques chinoises établies hors de France et que ces comptes avaient enregistré en 2001 et 2002 des crédits ; qu'elle en a saisi les relevés et regardé les crédits y figurant comme ayant été transférés à l'étranger ; qu'elle a assigné à M. et Mme B les redressements correspondants sur le fondement de l'article 1649 A du code général des impôts ; que, par ailleurs, elle a également notifié aux intéressés, au titre de l'année 2001, des revenus distribués en conséquence de la réintégration de charges injustifiées dans les bases imposables de la société Préférence ; que M. et Mme B demandent l'annulation du jugement du 14 septembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution sociale auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2001 et 2002 en conséquence de ces redressements ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que le tribunal administratif a examiné le bien fondé des redressements assignés aux contribuables en tant que revenus d'origine indéterminée au regard de l'article 1649 A du code général des impôts qui en constituait le fondement ; que, s'il a estimé que les intéressés ne combattaient pas la présomption d'imposition qui résultait de l'article 1649 quater A du même code, cette erreur de plume est demeurée sans incidence sur la solution qu'il a apportée au litige ; qu'ainsi l'irrégularité invoquée n'est pas établie ;

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l'article 164 de la loi du 4 août 2008 susvisée: "IV. - 1. Pour les procédures de visite et de saisie prévues à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales pour lesquelles le procès-verbal ou l'inventaire mentionnés au IV de cet article a été remis ou réceptionné antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, un appel contre l'ordonnance mentionnée au II de cet article, alors même que cette ordonnance a fait l'objet d'un pourvoi ayant donné lieu à cette date à une décision de rejet du juge de cassation, ou un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie peut, dans les délais et selon les modalités précisés au 3 du présent IV, être formé devant le premier président de la cour d'appel dans les cas suivants : (...) d) Lorsque, à partir d'éléments obtenus par l'administration dans le cadre d'une procédure de visite et de saisie, des impositions ont été établies ou des rectifications ne se traduisant pas par des impositions supplémentaires ont été effectuées et qu'elles font ou sont encore susceptibles de faire l'objet, à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, d'une réclamation ou d'un recours contentieux devant le juge, sous réserve des affaires dans lesquelles des décisions sont passées en force de chose jugée. Le juge, informé par l'auteur de l'appel ou du recours ou par l'administration, sursoit alors à statuer jusqu'au prononcé de l'ordonnance du premier président de la cour d'appel (...) 3. Dans les cas mentionnés aux 1 et 2, l'administration informe les personnes visées par l'ordonnance ou par les opérations de visite et de saisie de l'existence de ces voies de recours et du délai de deux mois ouvert à compter de la réception de cette information pour, le cas échéant, faire appel contre l'ordonnance ou former un recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie. Cet appel et ce recours sont exclusifs de toute appréciation par le juge du fond de la régularité du déroulement des opérations de visite et de saisie. Ils s'exercent selon les modalités prévues respectivement aux articles L. 16 B et L.38 du livre des procédures fiscales et à l'article 64 du code des douanes. En l'absence d'information de la part de l'administration, ces personnes peuvent exercer, selon les mêmes modalités, cet appel ou ce recours sans condition de délai (...)";

4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées qu'il n'appartient au juge administratif de contrôler, ni la régularité des ordonnances du juge judiciaire autorisant les opérations de visite et da saisie, ni la régularité du déroulement de ces opérations ; qu'au demeurant, par décision du 23 novembre 2010, la Cour de Cassation, saisie par M et Mme B d'un pourvoi contre l'ordonnance du 10 décembre 2009 du premier président de la Cour d'appel de Paris qui avait rejeté leur recours tendant à ce que soit constatée l'irrégularité de la saisie pratiquée le 17 juin 2004 dans les locaux de la société Préférence au motif qu'avaient été saisis leurs relevés de comptes bancaires personnels ainsi que ceux appartenant à un tiers, a rejeté le pourvoi des intéressés ; que, dès lors, les moyens tirés de ce que les opérations de saisie seraient entachées de détournement de procédure et contreviendraient aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont inopérants ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les revenus d'origine indéterminée :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 1649 A du code général des impôts: "... Les personnes physiques (...) domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus (...), les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger (...) Les sommes, titres ou valeurs transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés dans les conditions prévues au deuxième alinéa constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables"; qu'aux termes de l' article 344 A de l'annexe III du même code: " I. Les comptes à déclarer en application du deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts sont ceux ouverts auprès de toute personne de droit privé ou public qui reçoit habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces (...) III. La déclaration de compte mentionnée au II porte sur le ou les comptes ouverts, utilisés ou clos au cours de l'année ou de l'exercice par le déclarant, l'un des membres de son foyer fiscal ou une personne rattachée à ce foyer. Un compte est réputé avoir été utilisé par l'une des personnes visées au premier alinéa dès lors que celle-ci a effectué au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration, qu'elle soit titulaire du compte ou qu'elle ait agi par procuration, soit pour elle-même, soit au profit d'une personne ayant la qualité de résident"; que, pour l'application de ces dispositions, il appartient à l'administration d'établir la réalité du transfert des sommes dont elle se prévaut, soit d'un compte bancaire non déclaré situé à l'étranger vers un compte bancaire ouvert en France, soit d'un compte en France vers un compte non déclaré situé à l'étranger ; que, lorsque l'administration satisfait à cette obligation, il incombe au contribuable de combattre la présomption de revenu imposable des sommes transférées ;

6. Considérant, en premier lieu, s'agissant de l'année 2001, qu'il résulte de la proposition de rectification du 15 décembre 2004 que le vérificateur a découvert, lors de la visite domiciliaire des locaux de la société Préférence, que Mme B était titulaire d'un compte ouvert auprès de la " Industrial and Commercial Bank of China " située à Luxembourg, et qu'elle n'avait pas déclaré ce compte à l'administration ; que, se fondant sur les documents saisis concernant ce compte et rédigés en langue chinoise, il a estimé qu'y avaient été effectués durant l'année 2001 treize versements en espèces pour un total de 1 292 754 F, soit 197 079 euros ;

7. Considérant, d'une part, que la circonstance invoquée par les requérants, selon laquelle à hauteur de la somme de 332 754 F soit 50 278 euros correspondant à six dépôts en espèces effectués le 6 février 2001, ces versements constitueraient des placements de liquidités à court terme effectués par Mme B, n'est pas susceptible de faire échec à la présomption de revenus imposable des crédits constatés ; qu'est également dépourvu de toute incidence sur le caractère imposable de ces crédits le fait que l'administration des douanes aurait abandonné les poursuites qu'elle avait engagées contre les requérants pour infraction à la réglementation douanière à raison des sommes ainsi transférées à l'étranger ;

8. Considérant, d'autre part et toutefois, s'agissant des 7 autres opérations constatées par le service sur le compte de Mme B en 2001 pour un total de 960 000 F soit 146 351 euros, qu'il résulte des traductions produites par les requérants des documents bancaires utilisés par le service pour asseoir les redressements, que ces opérations, effectuées entre le 6 février et le 19 avril 2001, correspondent en réalité à des demandes de transferts de fonds effectuées par Mme B au profit d'un tiers domicilié en Chine ; que, si l'administration, qui ne conteste pas ces traductions, fait valoir qu'elle n'a pas taxé les débits mais les crédits préalables sur lesquels ces débits se sont imputés, elle n'établit pas la provenance de France desdits crédits en se bornant à soutenir que la vérification de comptabilité de la société Préférence avait révélé la perception, par M . B, d'importants revenus distribués ; qu'elle ne pouvait par suite légalement imposer la somme de 146 351 euros sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1649 A du code général des impôts ;

9. Considérant, en second lieu, s'agissant de l'année 2002, qu'il résulte de la proposition de rectification du 12 juillet 2005 que le vérificateur a également considéré que Mme B était titulaire d'un compte non déclaré numéroté 142274000000055467 ouvert auprès de la " China construction Bank " située à l'étranger, et qu'entre le 20 et le 24 décembre 2002 avaient été effectués sur ce compte, d'une part, onze virements bancaires d'un montant total de 435 565,59 euros, d'autre part, six versements en espèces pour un total de 462 176,93 euros, soit un total de crédits de 897 742,52 euros ; qu'il résulte toutefois des attestations bancaires produites par les requérants, traduites par un traducteur assermenté et non contestées par l'administration, que le compte susmentionné, ouvert dans la succursale de Wenzhou (Chine), de la Banque de Construction de Chine, n'appartenait pas à Mme B, mais à M. Qu Wanxing, son père ; que, si cette circonstance ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que l'administration impose au nom des contribuables les crédits portés sur ce compte, c'est à la condition qu'elle établisse que ces derniers en avaient en droit ou en fait la disposition, soit par le biais d'une procuration sur ce compte soit en y ayant effectué au moins une opération de crédit ou de débit, en sorte qu'ils auraient été tenus de déclarer ce compte ; qu'en se bornant à soutenir que les relevés bancaires concernant le compte concerné se trouvaient dans le bureau occupé par Mme B dans les locaux de la société Préférence, sans apporter le moindre commencement de preuve de ce que ces derniers auraient eu procuration et sans faire état d'une seule opération sur ce compte susceptible d'être imputée à M. et Mme B, l'administration n'établit pas que les contribuables avaient la disposition de ce compte ; qu'il suit de là que les requérants n'étaient pas tenus de déclarer ce compte et que le service ne pouvait taxer les crédits y figurant sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1649 A du code général des impôts ;

En ce qui concerne les revenus distribués :

10. Considérant qu'aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1 Sont considérés comme revenus distribués 1° tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) " ;

11. Considérant que lors de la vérification de la comptabilité de la société Préférence, le vérificateur a réintégré aux résultats imposables de cette société de l'année 2001 une somme de 8 874,61 euros correspondant au coût de billets d'avions libellés au nom de M. B, dès lors qu'à défaut de tout justificatif, le motif professionnel de ces déplacements n'était pas établi ; que sur le fondement du texte précité, il a mis à la charge de M. et Mme B les revenus distribués correspondants, au titre de la même année ; que les requérants se bornent à soutenir de façon générale que la société Préférence s'approvisionne uniquement en Chine ; que, ce faisant, ils n'établissent pas le caractère professionnel de ces charges et ne font en conséquence pas échec à la présomption de distribution édictée par ces dispositions ; qu'ainsi l'administration établit la distribution dont elle se prévaut ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M et Mme B sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande en décharge, en principal et pénalités, des impositions contestées en tant que cette demande concernait l'imposition, comme revenus d'origine indéterminée, d'une part, de la somme de 146 351 euros au titre de l'année 2001, d'autre part, de celle de 897 742,52 euros au titre de l'année 2002 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant qu'en l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande M. et Mme B au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;



DECIDE :
Article 1er : Il est accordé décharge à M. et Mme B, en principal et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution sociale auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2002.
Article 2 : Les bases d'imposition de M. et Mme Su au titre de l'année 2001 sont réduites de la somme de 146 351 euros.
Article 3 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution sociale assignées à M. et Mme B au titre de l'année 2001 et les pénalités correspondantes sont réduites à concurrence de la diminution de bases décidée à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 0706931 du 14 septembre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B est rejeté.
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N° 10PA05215
Classement CNIJ :
C



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